Réduction de l'offre ou hausse des prix ? Face à la flambée de l'énergie, Auvergne Rhône-Alpes a tranché

DECRYPTAGE. C'est une décision qui a suscité une nouvelle levée de boucliers de l'opposition de gauche et des usagers, dans un contexte de pouvoir d'achat déjà tendu. Mais face à la flambée des prix de l'énergie, la Région Auvergne Rhône-Alpes conduite par Laurent Wauquiez a finalement fait le choix d'augmenter le prix de ses billets et abonnements TER, là où d'autres Régions craignaient de devoir, à terme, réduire la voilure de certaines dessertes. Un choix assumé, mais qui ne fait pas l'unanimité dans un contexte de décarbonation des mobilités à engager.
Grâce à cette mesure, le Région compte récupérer près de six millions d'euros de recettes supplémentaires sur l'ensemble de l'année (sur un budget de fonctionnement pour les transports qui atteint près de 1,2 milliard d'euros), mais aussi peser sur la politique du gouvernement qui continue de refuser le bouclier inflation demandé par les collectivités.
Grâce à cette mesure, le Région compte récupérer près de six millions d'euros de recettes supplémentaires sur l'ensemble de l'année (sur un budget de fonctionnement pour les transports qui atteint près de 1,2 milliard d'euros), mais aussi peser sur la politique du gouvernement qui continue de refuser le bouclier inflation demandé par les collectivités. (Crédits : DR/ML)

La pilule de la hausse des prix de l'énergie a du mal à passer un peu partout en France, et jusqu'au sein même des Régions, autorités organisatrices de mobilités. D'autant plus qu'elle s'ajoute à une hausse du tarif des droits de péage de 8% qui s'appliquera à compter de 2024.

"Dans l'exercice de leurs compétences de transports ferroviaires, interurbains et scolaires, les Régions assurent chaque jour le transport public de 13 millions de passagers, en particulier dans les TER et en Île-de-France", rappelait une récente communication de Régions de France.

"Particulièrement concernées par la hausse des coûts de l'énergie répercutés par la SNCF, tant l'électricité est devenue spéculative depuis le début de la guerre en Ukraine", les collectivités s'alarment que "dans certains cas, les prévisions d'augmentation de coûts pour les Régions dépasseraient les dépenses effectivement prises en charge par la SNCF, remettant en question leurs équilibres budgétaires déjà mis à rude épreuve par la crise du covid et désormais par l'actuelle situation géopolitique".

Le président de la SNCF Jean-Pierre Farandou estimait lui même que le surcoût de la facture d'électricité pourrait s'élever entre 1,6 et 1,7 milliard d'euros en 2023, dont la moitié serait directement liée à la circulation des trains régionaux.

Alors que faut-il faire, à l'heure où les accords de Paris demandent justement à l'Etat et aux collectivités d émettre un coup d'accélérateur sur les mobilités décarbonées, appuyées par l'émergence des Zones à faibles émissions (ZFE) ?

Une décision assumée

C'est dans un tel contexte que le président LR de la région Auvergne Rhône-Alpes Laurent Wauquiez a pris une décision claire et tranchée : sa commission permanente vient de statuer sur une augmentation prochaine des prix des billets et abonnements TER, sur l'ensemble de son réseau TER et Léman Express, à compter du 1er janvier 2023.

Soit une hausse du prix des billets de +2,95% pour les abonnés (qui représentent "la majorité des billets vendus" sans que le chiffre ne soit communiqué), allant même jusqu'à une augmentation de +8% pour les usagers occasionnels. Une mesure désormais votée, et qui a suscité l'ire des élus de l'opposition de gauche, dénonçant une "décision qui va à l'encontre des politiques actuelles".

"Ce n'est vraiment pas le bon moment pour augmenter les tarifs de train", a taclé le vice-président du groupe Socialiste, Ecologiste et Démocrate au Conseil régional, Johann Cesa. "Quand on voit l'augmentation des tarifs de l'énergie, des tarifs de l'essence (...) C'est à rebours de toutes les politiques qui sont mises en place pour favoriser le fait qu'on renonce à sa voiture et qu'on privilégie les transports publics".

Une hausse voulue "mesurée" pour les abonnés

Du côté du cabinet de Laurent Wauquiez, on justifie en premier lieu ce choix d'augmenter les tarifs des voyageurs occasionnels, afin de "limiter" en contrepartie la hausse pour les usagers réguliers empruntant les TER pour se rendre sur leur lieu de travail.

"Il n'est pas question de réduire les lignes, contrairement à ce que d'autres envisagent".

Tout en rappelant que les tarifs n'avaient pas augmenté depuis 2019, la Région espère regagner, grâce à cette mesure, près de six millions d'euros de recettes supplémentaires sur l'ensemble de l'année, sur un budget de fonctionnement pour les transports qui atteint près de 1,2 milliard d'euros. "La Région Auvergne-Rhône-Alpes prend à sa charge 70% du coût total du service TER, 30% seulement sont pris en charge par l'usager à travers leurs billets", précise-t-on en interne.

En dépit de ce choix, le cabinet de Laurent Wauquiez fait valoir que le prix d'un voyage en TER demeurera "inférieur à un trajet réalisé en voiture" avec la hausse des prix des carburants, mais aussi "inférieur au niveau de l'inflation", qui atteint 6% selon l'Insee, mais uniquement pour ses abonnés.

Une manière également de peser de manière assez ouverte et plus politique sur les positions de l'Etat, qui a jusqu'ici refusé la mise en place d'un bouclier tarifaire sur l'énergie, malgré ses "multiples demandes".

Une mesure décourageante pour le report modal ?

Selon la Région, ce nouveau tarif représentera en réalité "1,20 euro par mois" sur l'abonnement d'un usager qui effectue un trajet moyen de 36 km, soit en moyenne 1,80 euros sur l'un des trajets les plus fréquentés comme Lyon-Saint-Etienne (59 km) par exemple.

De quoi décourager toutefois les usagers d'un mode de transport appelé au contraire à se développer, alors même que le réseau TER, pointé pour ses problèmes de retards fréquents, vient de faire l'objet d'une convention ponctualité, signée entre la Région et SNCF Réseau ?

Le président de la Fnaut Auvergne-Rhône-Alpes, Nicolas Peyrard, en est convaincu : "Il s'agit d'un mauvais signal, qui a qui plus est été décidé en l'absence totale de concertation avec les associations d'usagers. Nous avons appris cette mesure par un courrier du groupe d'opposition alors que nous avions rencontré le vice-président aux transports deux jours avant". Et de noter que si les hausses des prix des billets augmentaient traditionnellement de 2 à 3% tous les deux ans, cette nouvelle étape, "qui dépasse le niveau de l'inflation pour les usagers occasionnels, est beaucoup plus significative.

"D'autant plus que les titres occasionnels étaient déjà moins économiques que les abonnements, alors qu'ils constituent aussi le premier point d'entrée pour les personnes qui souhaitent changer de mode de transport et essayer le train. C'est comme une baguette de pain, il s'agit d'un tarif très sensible et symbolique", ajoute Nicolas Peyrard.

Pour Alexandre Rigel, chercheur spécialisé sur la question des mobilités à l'Ecole urbaine de Lyon, "les prix de la mobilité, tout comme le périmètre des déplacements des Français, ont explosé au cours des 60 dernières années. Et malgré le fait que le train reste globalement moins cher que la voiture, celle-ci continue d'avoir une place importante au coeur des mode de déplacements, ce qui démontre qu'en soi, le prix n'est pas l'élément le plus important, même si une hausse brutale des prix peut créer un petit trouble à court terme".

Car à plus long terme, c'est la question de l'expérience proposée aux voyageurs, à travers la fréquence et le maillage du réseau TER, qui fait selon lui partie des véritables leviers du report modal, à l'image de ce qui se fait en Suisse : "Les usagers sont capables d'accepter des trains qui vont moins vite ou qui peuvent être parfois moins ponctuels tant que la fréquence de passage des trains est élevée et qu'on leur garantit un certain niveau de confort, et des interconnections facilitées avec d'autres réseaux de transports".

Un enjeu au coeur du développement des RER métropolitains, un outil de transport public souhaité désormais par l'ensemble des grandes métropoles, mais dont le chemin est encore semé d'embûches à Lyon comme ailleurs, que ce soit en matière d'infrastructures que de financement et de grille de tarification unifiée.

Autre région, autre posture du côté des Hauts-de-France, où un autre élu LR, le président  de la Région Jean Rottner, avait lui-même averti lors d'une assemblée plénière régionale que des régions françaises seront contraintes de « fermer les lignes » ferroviaires au cas où l'État ne fasse rien pour juguler la flambée des prix de l'électricité.

Depuis, il a rétropédalé au sein des médias, le 21 octobre dernier, en affirmant qu'il n'avait pour l'heure "pas de lignes TER dans le viseur. "La situation n'en est pas encore là. Et j'ai bon espoir que la négociation et le dialogue permettent de trouver une solution." Evoquant surtout une main tendue au gouvernement à destination du gouvernement et de la SNCF en faveur "d'un véritable New Deal" visant à (ré)inventer le réseau de transport ferré de demain.

L'opération gratuité, un premier retour d'expérience ?

C'est dans un tel contexte, troublé par la hausse des prix de l'énergie que de l'autre coté, des régions comme l'Occitanie ont, au contraire, mis en place une opération "TER à un euro" le week-end du 15 octobre dernier. Objectif affiché : faciliter les déplacements des habitants face à la pénurie de carburants, en faisant en contrepartie l'illustration des atouts d'une opération à tarif réduit...

Ce sont près de 96.000 billets qui ont été vendus (soit cinq fois plus que sur la même période l'an dernier), conduisant la présidente PS de la Région, Carole Delga, à affirmer : "Nos concitoyens jouent le jeu des transports en commun lorsque les tarifs sont bas. Ce constat, s'il répond aujourd'hui à une situation exceptionnelle, doit inviter le gouvernement à réinterroger très sérieusement la question de la tarification des transports publics".

Une position nuancée tant par le chercheur Alexandre Rigel que par la FNAUT :

"A l'échelle intramétropolitaine, on se rend compte quelle gratuité des transports bénéficie en premier lieu à des usagers qui utilisaient jusqu'ici le vélo ou la marche, même si à plus long terme, des épisodes de grève comme ce que l'on avait connu à Paris avaient ensuite permis de faire redémarrer les réseaux cyclables".

"Nous sommes par principe contre le principe de la gratuité depuis plusieurs année car cela signifie aussi une absence de marge de manoeuvre pour les investissements dont le réseau ferré a besoin", ajoute le président de la FNAUT Auvergne Rhône-Alpes, plus favorable à l'établissement d'un "juste prix" et à des cartes de réduction destinées aux familles.

De son côté, la Région Auvergne Rhône-Alpes avait également mis en place une opération flash de "libre accès" au réseau de transport régional (TER, Bus) mais elle n'a pas donné lieu à un bilan chiffré. "Compte-tenu du fait que la Région a opté pour  le libre accès, il n'y a pas eu de billet acheté et donc pas de bilan chiffré en terme de fréquentation", assure-t-on en interne, où l'entourage de Laurent Wauquiez rappelle que sa logique reste de déployer, d'ici 2035, le RER métropolitain. Un dossier titanesque qui, dans les faits, mérite encore de boucler plusieurs étapes ainsi que des financements, y compris de l'Etat sur le volet investissement du nouveau CPER (contrat de plan Etat-Région).

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