Lyon-Turin : les enjeux du scénario « grand gabarit » désormais privilégié pour les accès

Alors que le ministre des Transports Clément Beaune a rencontré la semaine dernières les principales collectivités concernées par le Lyon-Turin, la question des accès tant attendus sur ce dossier titanesque n'a toujours pas été tranchée, mais elle avance. L'un des scénarios proposés, celui des infrastructures dites de "grand gabarit" et plutôt réservées au fret, semble se dégager, même s'il ne fait pas le bonheur de Chambéry et de la Haute-Savoie, qui comptaient aussi sur ce dossier pour mettre un coup d'accélérateur à leur trafic voyageur.
Pour la France, la question n'est plus vraiment de savoir si les accès seront livrés à temps, mais plutôt de savoir comment faire pour livrer le moins tard possible. Le financement des accès, qui pourraient donc s'élever à 10 milliards, pourrait être pris en charge à 50% par l'Union Européenne.
Pour la France, la question n'est plus vraiment de savoir si les accès seront livrés à temps, mais plutôt de savoir comment faire pour livrer le moins tard possible. Le financement des accès, qui pourraient donc s'élever à 10 milliards, pourrait être pris en charge à 50% par l'Union Européenne. (Crédits : Caroline Moureaux)

Le futur du Lyon-Turin pourrait désormais se résumer en un mot : le scénario du grand gabarit. Car alors que les travaux de l'ouvrage principal ont déjà débuté, c'est toujours la question des accès de ce vieux serpent de mer qui demeurait en suspens depuis plusieurs mois.

"Ce projet a été déclaré d'utilité publique en 2013, et depuis il ne sait presque rien passé en 10 ans du côté français", rappelle Stéphane Guggino, le délégué général de la Transalpine, une association qui regroupe acteurs et collectivités en faveur du projet. Car si le tunnel principal ainsi que les accès italien ont été décidés, il n'en est toujours pas de même pour les infrastructures françaises, qui devront relier le nouveau projet aux lignes ferroviaires régionales, déjà en grande partie saturées.

"Le gouvernement avait chargé le préfet de région en 2020 de constituer un comité de pilotage qui associe collectivités locales, parlementaires, et l'ensemble des acteurs concernés par le dossier", rappelle Stéphane Guggino.

Trois scénarios présentés, un seul à privilégier

C'est dans ce cadre que plusieurs scénarios d'accès avaient été présentés, suite à des études menées par SNCF Réseau. Avec parmi eux, deux qui se dégageaient tout particulièrement : un scénario de trafic dit mixte, passant par Chambéry et permettant un trafic mixte entre passagers et fret (17 millions de tonnes de marchandises par année) ainsi qu'un scénario dit de "grand gabarit".

Plus coûteux (6,7 milliards d'euros), celui-ci contournerait finalement la métropole de Chambéry par le biais de trois tunnels, se concentre principalement sur le fret afin de proposer de plus grandes capacités transportées  (28 millions de tonnes annuelles).

Scénario grand gabarit Lyon Turin

Et c'est précisément cette option qui semble avoir été validée, lors des échanges qui se sont tenus à huit clos la semaine dernière, par le ministre Clément Beaune et les collectivités présentes (et notamment les métropoles de Lyon, Grenoble et Chambéry, ainsi que les départements de l'Isère, Haute-Savoie, Savoie, et de l'Ain, ainsi que la Région Auvergne Rhône-Alpes).

Un choix qui ne ferait pas l'unanimité tout de même, puisque la métropole de Chambéry, ainsi que le département de la Haute-Savoie, qui nourrissaient ainsi l'ambition d'améliorer, grâce à ces nouvelles infrastructures, leur desserte passagers, restent sur leur faim.

Le maire LR de Chambéry, Thierry Repentin, avait d'ailleurs déjà affirmé qu'il ne contribuerait au financement des accès du Lyon-Turin que sous cette condition, et a rapporté à la presse que le scénario mixte "aurait permis d'avoir des TER qui soient enfin concurrents de l'autoroute entre Lyon et les Alpes du nord", arguant pat ailleurs que le scénario grand gabarit n'était "pas solution qui avait été actée à l'occasion de la déclaration d'utilité publique, qui prévoyait un tunnel mixte".

De son côté, le président LR du département de la Savoie et ancien ministre de l'Economie et des finances, Hervé Gaymard, se porte en soutien total à ce nouveau scénario : "Nous pensons que sur ce dossier, la priorité doit être donnée au fret, qui vite ainsi de passer par le centre de Chambéry. De plus, la Savoie est déjà à 2h50 de Paris avec la ligne existante, et les travaux compris sur la section de Saint-André le Gaz - Chambéry à 600 millions d'euros -qui sont inclus dans ce scénario- permettront déjà d'améliorer les transports du quotidien", estime Hervé Gaymard à La Tribune. 

L'enjeu du tour de table, et du retard accumulé

Désormais, tout l'enjeu se résumera donc en deux étapes : savoir comment se bouclera réellement le tour de table d'un scénario qui pourrait atteindre 10 milliards d'euros (si l'on compte les accès du contournement Est de Lyon, qui pourraient être intégrés à ce projet de manière convexe, avec d'autres questions comme quelques travaux entre Saint-André le Gaz et Chambéry, ainsi qu'entre Dijon et Modane).

Mais également quand ces nouvelles infrastructures ferroviaires pourront entrer en fonctions et jouer le rôle pour lequel elles sont attendues, alors que la livraison du principal ouvrage du Lyon-Turin est désormais prévue entre 2030 et 2032.

"Les Italiens ont déjà pris les décisions concernant leurs propres accès et ont fait en sorte qu'ils soient livrés en même temps que le tunnel. Pour la France, la question n'est plus vraiment de savoir si les accès seront livrés à temps, mais plutôt de savoir comment faire pour livrer le moins tard possible...", prévient Stéphane Guggino, qui rappelle également que tout l'enjeu sera de décider avant la fin 2022, afin de ne pas rater le train des subventions européennes.

Car concrètement, il faudra compter une douzaine d'années pour que les accès, qui comprennent notamment la création de trois tunnels en Belledonne, Chartreuse et dans le massif du Glandon, soient réalisés.

"Tout ce qu'attend Bercy, c'est la signature d'un acte d'exécution, qui correspondrait au lancement des travaux sur deux ans à hauteur de 20 millions d'euros environ", ajoute Hervé Gaymard.

200 millions par an pour "le projet du siècle"

Côté budget, "l'Union européenne a déjà indiqué en 2019 lors de l'assemblée générale de la Transalpine que les travaux de la section françaises étaient éligibles à 50% aux aides européennes", rappelle Stéphane Guggino.

Là encore, le scénario qui se dessine pourrait être celui d'une financement à 50% par l'Europe, et à 50% par l'Etat, avec à l'intérieur, une répartition à envisager avec les collectivités locales concernées. "Il est peu probable que l'on aille à 50-50 entre Etat et collectivités, toute la question sera de voir entre une répartition à 70-30 ou à 80-20", résume un observateur du dossier.

Pour autant, le département de Savoie ajoute : "Il faut que l'on décide le plus rapidement possible désormais, car on ne peut pas dire qu'un grand pays comme la France ne peut pas mettre 200 millions par an pendant 10 ans pour financer le grand projet du siècle". Tout en assurant que les collectivités locales s'engageront également sur ce dossier, "à hauteur de leurs compétences", notamment sur les sections voyageurs impliquées, mais pas sur le fret, qui demeure une compétence de l'Etat.

"Il ne faut pas oublier qu'à l'époque, les Italiens avaient accepté une clé de répartition plus élevée pour eux, car ils estimaient qu'ils n'avaient pas les accès des pré-Alpes, plus compliquées, à financer. Mais ils pourraient aussi décider de revenir sur ce choix si la France ne fait pas sa part", ajoute un proche du dossier.

La question environnementale en embuscade ?

Enfin, reste une question en suspens : celle de la question environnementale, qui a fait l'objet, depuis le démarrage du projet, de plusieurs manifestations et alertes de la part de collectifs de citoyens et d'élus (écologistes, LFI notamment) opposés au projet.

Avec, comme dernier en date, le projet de résolution déposé par le député LFI de la 6e circonscription du Rhône Gabriel Amard, qui a recueilli les signatures de près de 80 députés Nupes pour demander une commission d'enquête concernant les impacts du projet au titre de la loi sur l'eau notamment.

La question, qui doit encore passer devant les rangs de l'Assemblée, pourrait-elle mettre une nouvelle épine dans le pied du projet ? "Quand on fait des infrastructures, on a forcément des impacts sur l'environnement, il ne faut pas se leurrer. Mais il faut regarder par rapport aux gains obtenus et tout ce qui peut être amélioré doit être amélioré, et ce projet a mis la barre particulièrement haut à ce sujet", estime le délégué général de la Transalpine, qui conteste les affirmations d'assèchement réalisées sur le chantier.

De là à perturber la création des trois tunnels nécessaires au projet ? Il n'y croit pas : "La mise en oeuvre des trois tunnels peut être étalée dans le temps sous forme de phasage, mais ce que disait déjà la déclaration en 2013 était que ce projet était d'utilité publique et urgent. Le Lyon-Turin a été construit, dès le départ, comme un projet global qui prévoyait un tour cohérent avec la question des accès, mais ces interventions pourraient bien polluer le débat".

Face à la Ville de Lyon, dont le maire écologiste Grégory Doucet a évoqué, outre l'impact environnemental du projet, la nécessité de renforcer la réglementation en faveur du report modal comme condition "sine qua none" de réussite de la future LGV lors de son échange avec Clément Beaune la semaine dernière, Stéphane Guggino abonde :

"Notre position a toujours été de dire que sans les infrastructures, on ne fera rien, mais aussi que les infrastructures ne feront pas tout. Il faut également des mesures d'accompagnement, qui sont actuellement en discussions à l'échelle européenne, comme avec la question de la fiscalité écologique, et le principe du pollueur payeur, avec un coût du carbone à établir. Mais cela ne pourra pas se faire sans infrastructures".

C'est un peu la même chose pour Hervé Gaymard, puisque le président du Département de la Savoie rappelle qu'avec la fermeture annoncée du tunnel du Mont-Blanc (pour travaux, ndlr), il est dans l'intérêt des transporteurs routiers, même sans obligation juridique, de pouvoir réaliser la portion la plus longue possible par le fret (et qui pourrait, dans ce scénario de grand gabarit, leur permettre de charger les camions de l'Est lyonnais jusqu'à Turin) :

"Ces travaux sont d'autant plus importants que dans la perspective de la fermeture tôt ou tard, de la vallée de Chamonix, qui pourrait être classée au patrimoine mondial de l'Unesco. Il est à craindre que si l'on en vient à interdire les camions dans le tunnel du Mont-Blanc, la circulation se reporte et puisse encombrer complètement la Savoie, s'il n'existe pas de réponse au fret".

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Commentaires 2
à écrit le 21/09/2022 à 10:11
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Ça fait patate chaude, ce projet, on y va à reculons car il faut trancher une bonne fois. Proposer un tunnel c'est bien si les transporteurs l'utilisent (on ne connait pas encore les tarifs, peut-être plus cher mais plus rapide que par la route, le ...

à écrit le 20/09/2022 à 20:38
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Je lis des articles depuis 1988 et on parle de 2028 voir +, chaque année la France paye les entreprises internationales de btp groupes italiens ....

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