TER Lyon-Grenoble : la ligne de la discorde entre la SNCF et la Région (qui mène jusqu'au RER métropolitain ? )

DECRYPTAGE (1/2). Pour la deuxième fois en quelques mois, le président de Région Laurent Wauquiez tape du poing sur la table et menace la SNCF de pénalités, après de nouvelles perturbations enregistrées sur la ligne Lyon-Grenoble. Car si la collectivité n'a toujours pas évoqué sa volonté de suivre le chemin de la Région PACA concernant l'ouverture à la concurrence de son réseau, le sujet de la desserte TER fait grincer des dents. C'est aussi le cas du côté de la fédération des associations d'usagers, qui va jusqu'à reposer le sujet des investissements dédiés au ferroviaire. Avec en première ligne, le sujet du RER à la lyonnaise.
(Crédits : DR)

Qui est responsable des perturbations (et des pénalités qui pourraient survenir) sur la ligne Lyon-Grenoble ? La question pourrait mériter d'être soulevée, tant les parties en jeu se renvoient la balle.

La Région, présidée par Laurent Wauquiez, semble même avoir fait de cette question son cheval de bataille au cours des derniers mois. Cela fait déjà deux reprises que l'exécutif régional monte au créneau, en publiant des communiqués de presse ciblant directement son partenaire, la SNCF.

A l'automne dernier déjà, la division du trafic par deux annoncée par la SNCF n'était pas du goût de la Région, qui avait enjoint le transporteur à honorer les termes de son contrat et à rétablir au plus vite une desserte normalisée. Ce à quoi l'entreprise ferroviaire avait répondu par une conjonction de facteurs, pour justifier son impossibilité d'assurer temporairement la reprise d'un service "normal", et ce, sur une période de quelques semaines.

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Cette fois, c'est au terme d'une nouvelle semaine, émaillée d'incidents de circulation sur la ligne Lyon-Grenoble, que la Région a à nouveau tapé du poing sur la table. A travers un nouveau communiqué, l'exécutif durcit le ton auprès du gestionnaire du réseau :

"Laurent Wauquiez exige le paiement de pénalités", affirme ce document envoyé à la presse, qui rappelle la valeur de l'enjeu : "cette ligne, empruntée chaque jour par de nombreux usagers, avait déjà connu une période de perturbations, en décembre dernier. Une telle situation n'est acceptable ni pour les voyageurs, ni pour la Région".

Et d'ajouter : "Face à la multiplication des retards et incidents, Laurent Wauquiez, président de la Région Auvergne-Rhône-Alpes, demande à nouveau des comptes à la SNCF. Chaque retard est aujourd'hui enregistré et décompté ; chaque retard entraînera le paiement de pénalités, tel que spécifié dans la convention entre la Région et la SNCF, signée en 2017".

Une situation pas si simple que sur le papier

Pour autant, la situation ne semble pas si simple que sur le papier : contactée, la Région n'a pas précisé l'ampleur des retards enregistrés, ainsi que le montant des pénalités qui pourraient survenir. "Nos services sont en train d'étudier et de chiffrer l'ensemble des retards accumulés, qui pourraient remonter plus largement que ceux de la semaine écoulée", nous précise une source interne. Sans pour autant être en mesure d'indiquer à ce jour quelle sera la période concernée par cette étude.

De son côté, la SNCF, à travers son entité SNCF Voyageurs qui est responsable des flux de voyageurs, répond avoir enregistré un total de quatre perturbations en l'espace d'une semaine, sur la ligne qui relie la capitale des Gaules à la ville iséroise, qui fait aussi partie aussi des axes les plus fréquentés de son réseau : à commencer par lundi matin (entre 6h et 9h), où un "dérangement d'installation aux alentours de Moirans a occasionné quelques suppressions et retards de train".

Puis mercredi matin, toujours entre 6h et 9h, "un accident de personne à Moirans a occasionné quelques suppressions et retards de train". Jeudi, c'est entre 20h et 23h qu'un véhicule a "heurté un passage à niveau du côté d'Eyrieux et occasionné des retards". Enfin, vendredi matin, un dérangement d'installation a été enregistré sur le même passage à niveau en caisse la veille, et dont "la cause n'a pas encore été identifiée à ce stade et occasionné également des retards".

Et de conclure : "Il n'y a pas de lien avec les problématiques de maintenance, ce sont des incidents ponctuels"

Quant aux perturbations enregistrées en fin d'année dernière, l'opérateur ferroviaire assure que la situation n'est pas comparable à celle rencontrée cette semaine :

"SNCF Voyageurs s'était engagé à un retour à la normale du plan de transport TER Auvergne-Rhône-Alpes sur Lyon - Grenoble. Depuis le début de l'année, conformément aux engagements pris, l'offre de transport TER s'est largement améliorée, avec un retour à la normale des circulations ferroviaires sur l'axe Lyon - Grenoble (deux circulations par heure)", indique SNCF Voyageurs.

"Un manque structurel de matériel dans la région"

Pour autant, le vice-président de l'antenne Auvergne Rhône-Alpes de la Fédération Nationale des Associations d'Usagers des Transports (FNAUT), François Lemaire, estime que les pénalités annoncées par Laurent Wauquiez resteront, dans les faits, peu applicables. Et voici pourquoi :

"La Région a passé une convention uniquement avec l'entité SNCF Mobilités (devenue SNCF Voyageurs, ndlr), qui s'applique notamment si la circulation est impactée par un problème lié à une panne de train par exemple. Mais aucune convention n'a été signée avec SNCF Réseau  comme l'on fait d'autres régions et comme nous l'avions demandé à plusieurs reprises"

Une convention qui exclurait donc de fait les problèmes d'infrastructures relevant de SNCF Réseau, "et qui ne serait pas non plus opposable dans le cadre des accidents liés à des éléments extérieurs comme des personnes ou des véhicules, qui ne sont pas du ressort de la SNCF". Une information qui n'a pas été, à ce stade, commentée à ce stade par la Région.

Pour la FNAUT, cette ligne, qui fait partie des axes les plus fréquentés au sein du réseau (avec environ 28.000 des 200.000 voyageurs par jour, TER et cars compris) pâtirait en premier lieu d'un manque de rames :

"La SNCF ne dispose pas d'assez de matériel pour assurer le service sur cette zone. Nous le constatons tous les jours avec le nombre de rames proposées, qui n'est pas suffisant et où les gens doivent embarquer debout, ainsi que par des trains supprimés par manque de solutions de remplacement. Or, c'est bien à la Région qu'incombe la responsabilité d'acheter de nouvelles rames", souligne-t-il.

Contactée, la Région précise que le budget annuel de 800 millions d'euros dédié au ferroviaire se scinde en deux parties : une première enveloppe de 570 millions d'euros pour la convention liant la Région et SNCF Voyageurs et concernant les dépenses de fonctionnement, ainsi qu'une seconde enveloppe de 230 millions d'euros sur le volet investissements, comprenant le matériel et les infrastructures, voies ferrées et gares notamment.

Reste que dès 2017, une contribution du délégué syndical CGT Antoine Fatiga avait alerté sur le fait que la décroissance du budget régional liée à la convention TER 2017-2022, aboutirait à une "convention irréalisable" :

"L'équation financière est claire : 549 millions d'euros en 2014 sur Auvergne-Rhône-Alpes, 560 millions en 2016 et 510 millions en 2017. C'est donc 49 millions d'euros qui manqueront en 2017, auxquels il faut ajouter les augmentations mécaniques de la convention, qui ne sont plus intégrées. Il manquera donc en cumul 70 millions d'euros en 2017 et plus de 150 millions en 2022 pour tenir l'objectif de la qualité de service élevée au premier rang des priorités de la Région", affirmait-il, dans un recueil d'avis publié le 28 Novembre 2017 par le Ceser Auvergne Rhône-Alpes, concernant la convention Région-SNCF 2017-2022.

Le dossier du RER et noeud ferroviaire s'invite dans les débats

Plus largement, François Lemaire regrette un "manque de volonté politique" à l'échelle locale pour déployer de grands projets comme celui d'un RER à la lyonnaise, qui visait à augmenter la fréquence des dessertes et absorber une hausse de la fréquentation annuelle.

A horizon 2035, de premières évaluations évoquaient en effet une hausse de fréquentation attendue de 25% pour les TER à l'échelle régionale et de 15% pour la seule gare de Lyon Part-Dieu, comprenant entre autres, le trafic qui pourrait être généré par un projet de RER lyonnais.

"Il ne faut pas oublier que la ligne Lyon-Grenoble assure déjà plusieurs fonctions : celle d'une desserte TER et TGV entre les villes de Lyon, Grenoble et Chambéry, mais aussi celle d'une desserte périurbaine pour des villes voisines de la métropole lyonnaise, qui continuent de se développer comme Bourgoin Jallieu, la Tour du Pin, etc", rappelle le vice-président de la FNAUT AURA.

Un dossier lui-même connecté à deux autres enjeux ferroviaires régionaux, plus larges : la question des accès français de la Lyon-Turin, qui permettraient selon la FNAUT "d'améliorer la desserte entre les agglomérations lyonnaise, grenobloise et savoyarde" mais dont le financement par l'Etat n'est toujours pas acté, mais aussi celle de l'étoile ferroviaire lyonnaise, un goulot d'étranglement où convergent 15 lignes ferroviaires européennes, 36 millions de voyageurs par an, 66 gares, 722 kilomètres de voies ferrées... et responsable d'un piètre taux de régularité des trains (chiffré à 82% en 2015, soit 10 points de moins que la moyenne nationale).

L'étoile ferroviaire lyonnaise a néanmoins déjà fait l'objet d'un premier grand plan d'investissements, séquencé en 32 opérations entre 2015 et 2025, pour un budget total de 310 millions d'euros (abondé par l'Etat, la Région, l'UE, SNCF Réseau, la Métropole de Lyon et la CNR).

Et c'est désormais l'étape d'après, à savoir un nouveau plan d'investissement qui vise à relever les enjeux des 20 prochaines années, et notamment à répondre à l'accueil de nouveaux trains, qui est encore soumis à des discussions entre les collectivités et parties prenantes.

"Un débat public s'était tenu en 2019, et il y avait consensus à travailler le noeud ferroviaire aujourd'hui saturé, ainsi que sur le projet de RER à la lyonnaise : mais aujourd'hui, ce dernier sujet n'avance pas, alors que d'autres villes comme Marseille, Bordeaux, Toulouse ou encore Strasbourg ont toutes mises en action leur projet de RER métropolitain", souligne François Lemaire.

Un dossier fortement politisé, où là encore, les intérêts divergent : en début de semaine, le président EELV de la Métropole de Lyon adressait d'ailleurs un nouveau courrier, enjoignant le président LR Laurent Wauquiez à se remettre autour de la table pour avancer sur une question jugée "prioritaire" du RER à la lyonnaise. La réponse de la Région pourrait intervenir également sous peu, glisse-t-on en coulisses, tandis que, contactée par La Tribune également, SNCF Réseau renvoie la balle vers son commanditaire.

(actualisé le 30/03 à 21:35)

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