Les 100 jours de Grégory Doucet à la Ville de Lyon [1/2]

GRAND ENTRETIEN. Propulsé aux commandes de la ville de Lyon et ses 516.000 habitants en pleine crise sanitaire du Covid-19, Grégory Doucet occupe désormais le fauteuil de Gérard Collomb. Décryptage, en deux volets (9 et 10 novembre), des ambitions, des méthodes, du style et du programme en rupture que l'ex-cadre humanitaire veut mettre en oeuvre. En "force tranquille", Grégory Doucet saura-t-il démontrer aux milieux économiques et décisionnels, pour l'heure perplexes, qu'il sera bien plus un allié qu'un adversaire ?
(Crédits : Renaud Alouche)

LA TRIBUNE AUVERGNE-RHÔNE-ALPES - Nous sommes aux 100 premiers jours de votre mandature. Quel premier bilan tirez-vous, après une prise de fonctions réalisée tout juste entre les deux vagues de Covid-19 ?

GREGORY DOUCET - « Le plus significatif est d'avoir été très rapidement opérationnel. Le 4 juillet, jour du premier conseil municipal, nous nous situions alors entre les deux vagues. A ce moment-là, la crise sanitaire n'était pas le sujet le plus central au quotidien, même si j'ai aussitôt demandé à mon adjointe à la Santé et à la Prévention de monter une cellule de veille. C'est ce n'est donc pas sur la dimension sanitaire que nous avons été le plus tôt mobilisés et interpellés, mais plutôt déjà, sur les répercussions économiques. Fin juillet, nous avons ainsi voté le Fonds d'urgence pour le secteur de la Culture. L'idée était d'être très vite opérationnel. J'avais notamment mis à profit la période de confinement pour travailler sur la constitution de mon exécutif ».

Vous avez justement fait entrer une majorité de nouveaux élus au sein du conseil municipal. Une manière, parmi d'autres, de vous démarquer très rapidement de votre prédécesseur ?

« Notre souhait était de bâtir au final une équipe de jeunes élus, qui avaient une expérience dans leurs domaines de compétences respectifs, mais pas en tant qu'élus. Nous avons mis en place un exécutif avec un découpage des délégations sensiblement différent de la précédente mandature, et dans lequel les frictions quant aux périmètres de délégation se révèlent pour autant quasiment nulles.

Quand je nomme par exemple, pour la première fois dans l'histoire de la ville, une femme comme première adjointe aux Finances, Audrey Henocque, qui de plus est en fauteuil, c'est un message fort, et qui n'est pas isolé : les plus importantes délégations en termes budgétaires sont animées par des femmes.

L'intitulé de certaines délégations est un autre signe fort, je fais notamment référence à celle de la Démocratie locale, redevabilité, évaluation, prospective et qui est aussi relations avec l'université. Redevabilité : un terme peu usité, mais qui à mes yeux est très porteur de sens. »

Vous devez prendre à bras le corps des dossiers brûlants, comme la gestion sanitaire et économique ; cette inexpérience n'est-elle pas, dans des circonstances aussi exceptionnelles, un lourd handicap ?

« Nous nous sommes tout de suite mis au travail, autour de méthodes claires de gouvernance et de travail. Par exemple, nous avons établi une réunion hebdomadaire avec l'ensemble de l'exécutif en intégrant les maires d'arrondissements, les membres du cabinet, et le directeur général des services. Objectif : partager l'information, s'assurer que nous soyons tous sur une même ligne d'informations. Car on apprend aussi en posant un cadre de travail rigoureux.

Sur un grand nombre de sujets, comme celui de la Fête des Lumières, nous étions assez préparés. Nous disposons d'une adjointe très qualifiée à la Santé et à la prévention, et j'ai moi-même eu l'occasion, dans le cadre de mes fonctions antérieures chez Handicap International, de travailler sur des crises sanitaires. Pour ces raisons nous sommes, au contraire, mieux équipés que le précédent exécutif pour traiter ce type de sujets.

Depuis le début de cette crise, le rôle des élus locaux a été parfois mis à mal par le gouvernement d'Edouard Philippe puis de Jean Castex. Vous-même avez réclamé, à plusieurs reprises et aux côtés d'élus EELV comme Bruno Bernard (Métropole de Lyon) ou Eric Piolle (Ville de Grenoble), davantage de données de la part du ministre - isérois - de la Santé, Olivier Véran...

« J'entretiens une excellente relation avec le préfet, les HCL, l'ARS, mais également la Métropole avec laquelle nous partageons des données épidémiologiques anticipées. Ce que nous avons exprimé auprès du premier ministre et d'Olivier Véran, c'est que disposer des indicateurs "aujourd'hui" n'est pas suffisant ; nous devons être informés des données grâce auxquelles nous pouvons nous projeter et anticiper.

Vous faites référence à la "méthode". Quelle méthode allez-vous justement employer pour "apprivoiser" un monde économique pour l'heure "au mieux" sur sa réserve, au pire sur le qui-vive à l'égard du nouvel exécutif ? Et qu'attendez-vous, aussi, de lui ?

« De tous les groupes sociaux lyonnais que j'ai rencontrés à ce jour, ce sont ceux du monde économique auxquels j'ai consacré le plus de temps depuis mon élection. Qu'il s'agisse de personnages publics (Jean-Michel Aulas, Olivier Ginon, etc), mais aussi de représentants d'entrepreneurs ou du milieu institutionnel (Chambre de commerce, Medef, CPME, etc), des commerçants, de l'insertion, du monde de la construction (avec notamment Samuel Minot)... La liste est longue, et n'est pas composée que de grands acteurs.

Bien entendu, personne n'a envie de se fâcher, surtout dans les milieux économiques. Ils ne nous abordent pas frontalement, en nous traitant "d'ayatollahs de l'écologie". Ce dont ils ont besoin, comme tout chef d'entreprise, c'est de visibilité, de comprendre leur environnement, de réduire les risques. Rien n'est pire pour un dirigeant d'entreprise qu'un climat d'incertitude. On entend régulièrement qu'il faut "remonter le moral" des entrepreneurs. C'est d'ailleurs assez étonnant pour ce que l'on nous présente souvent comme une "science exacte". C'est la preuve, s'il en était besoin, que l'économie n'est pas une science exacte, mais plutôt une science sociale. »

Que comptez-vous donc proposer voire impulser auprès de ces acteurs économiques ? Et comment allez-vous les accompagner dans l'application, nécessairement contraignante, des nouvelles règles écologiques ?

« Nous devons d'abord les rassurer sur la lisibilité et l'efficacité de notre organisation. Certains craignaient quelques flottements, je pense qu'ils peuvent tous être rassérénés par la fluidité et la logique de notre organigramme. Ensuite, nous devons leur indiquer une direction, un cap clair. C'est ma responsabilité, et c'est ce que j'ai fait, en allant par exemple à la rencontre des constructeurs et promoteurs immobiliers. Je leur ai présenté ce à quoi vont ressembler l'aménagement de la ville et l'urbanisme de demain.

Avec, par exemple, le besoin d'intégrer le sujet des mobilités dans un milieu plus large. Je ne  souhaite pas "faire" la Part-Dieu, comme d'autres l'ont envisagé avant nous, en n'intégrant que du tertiaire et en créant un aspirateur à voitures au milieu de la ville. Ça n'a pas de sens, car ensuite on est contraint d'installer des 2 x 3 voies pour faire circuler les voitures. Ce n'est pas ce que je veux, et d'ailleurs personne ne veut de cela aujourd'hui. Nous devons penser l'urbanisme et l'aménagement de la ville en songeant aux nouveaux types de mobilités à encourager ».

En tant que nouveau président de la SPL Lyon Part-Dieu, chargée de l'aménagement de ce quartier d'affaires emblématique, vous aviez déjà fait part de votre opposition à concentrer davantage de tours à bureaux. Une vision qui dénote de votre prédécesseur. Comment imaginez-vous justement la ville, et qu'exprimez-vous aux acteurs économiques pour les convaincre de vous suivre dans cette vision ?

« La majorité des dirigeants que je reçois viennent avec des propositions, et commencent par me dire combien ils sont sensibles à l'écologie et même la pratiquent concrètement. Tout le monde a la transition écologique chevillée au corps. Je ne suis d'ailleurs pas étonné, car tout bon chef d'entreprise observe, sent la réalité, anticipe, s'adapte. Et en fonction de l'environnement, du contexte, ils appuient - ou non - sur l'accélérateur et se fixent un cap plus ou moins rapidement.

Le précédent exécutif était peu sensible à ces enjeux. Aujourd'hui, ce sont les acteurs de la construction eux-mêmes qui me disent être déterminés à travailler sur les déchets de construction, les matériaux biosourcés, l'isolation thermique des bâtiments, etc. Ils viennent me parler d'écologie, et moi, en retour, partage avec eux la direction vers laquelle je veux les emmener. C'est comme ça que s'établit le contact ».

Parmi les sujets à l'agenda des entreprises, figurent notamment ceux du télétravail et des nouveaux espaces de bureaux. Comment la ville est-elle questionnée par ce sujet de société ?

« Quel rôle peut jouer la ville dans cette transition ? Cette question, nous devons la poser. Les grandes entreprises n'ont pas besoin de la Ville de Lyon pour penser leur organisation du travail. En revanche, les PME et TPE n'ont pas forcément la possibilité d'aménager leurs espaces à bureaux pour passer à une échelle plus massive de la pratique du télétravail.

C'est pourquoi nous pourrions réfléchir, aux côtés des acteurs de la construction, à faciliter l'implantation de sites tertiaires qui intègrent cette logique de télétravail. Avec des entreprises dont le besoin de bureaux pérennes décline, mais dont le besoin ponctuel d'utilisation de certains espaces croît. Les métiers de la créativité en sont un bon exemple ».

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Commentaires 2
à écrit le 09/11/2020 à 17:07
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Taux d'abstentions aux municipales à Lyon 1er arrondissement : 59,3 % des inscrits (+5,36 points) 2e arrondissement : 57,6 % (+0,23) 3e arrondissement : 60,7 % (+0,7) 4e arrondissement : 56 % (+0,26) 5e arrondissement : 61,...

à écrit le 09/11/2020 à 8:54
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L'avantage de prendre la place d'un gars comme Collomb c'est que du coup rien qu'en changeant de maire il a du récupérer vachement plus de budget ! Des bonnes surprises !

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