Municipales : "Notre arrivée au pouvoir n’entraînera pas de rupture totale" Bruno Bernard, EELV

Fondateur dirigeant d'une entreprise spécialisée dans le désamientage (25 salariés, 3 millions d'euros de chiffres d'affaires), investisseurs et soutiens de plusieurs autres projets entrepreneuriaux, le candidat des Verts pour les élections métropolitaines, détaille pour "La Tribune" les grandes orientations de son projet économique. Il s'articule autour de la mobilité, la création d'emplois locaux, la structuration de nouvelles filières. Le tout au service de la lutte contre la pollution et la préservation du climat. Premier volet de notre exploration des programmes économiques des candidats à la présidence de la Métropole de Lyon.
(Crédits : Renaud Alouche)

Ce titulaire d'un diplôme d'ingénieur en mécanique, qui a grandi dans l'environnement socialiste - son père était le socialiste Roland Bernard, ancien sénateur, député et  maire d'Oullins - s'est tourné vers l'écologie depuis l'élection présidentielle de 1995. "Je considère qu'on ne naît pas écologiste, on le devient : j'en suis la preuve", explique-t-il. À 49 ans, le candidat des Verts à la présidence de la Métropole de Lyon, sérieux challenger de Gérard Collomb même si ce dernier est toujours en tête des sondages, s'est mis en retrait de ses activités professionnelles pour se consacrer pleinement à son objectif : "gagner".

LA TRIBUNE - Quelle est votre vision à venir pour la Métropole de Lyon ?

BRUNO BERNARD - Nous considérons que l'économie dépend davantage des chefs d'entreprise que du président de la Métropole. Ceci dit, c'est tout de même une puissance publique qui a de l'influence. Notre volonté, c'est donc de passer d'une approche de compétitivité des territoires à une approche de coopération des territoires.

Si aujourd'hui l'attractivité économique de la Métropole est forte, eut égard à la politique de Gérard Collomb, il faut se méfier de la concentration d'activités. Elle ne doit pas se faire au détriment de la qualité de vie des habitants. Si l'on créé des entreprises dont les débouchés et les salariés sont sur le territoire, c'est normal et sain. Mais lorsque ces activités nécessitent des salariés qui n'habitent pas la métropole, l'intérêt de ce type d'emplois est moins évident. Si d'un côté il y a un problème de logements pour ces salariés, avec un coût du foncier qui explose, et des services publics qui ne suivent pas, on assiste de l'autre à une saturation des déplacements aux heures de pointe, ce qui, dans notre priorité de préserver le climat, ne va pas dans le bon sens.

On peut rééquilibrer cet ensemble, certains services, certaines économies, y compris certaines entreprises en répartissant mieux l'activité autour de la Métropole. Par exemple, à Saint-Etienne, qui a longtemps perdu des habitants, même si maintenant cela va un peu mieux, on pourrait inciter des entreprises à installer leur succursale pour éviter des déplacements nocifs pour les salariés et pour le climat. Elles y gagneraient même puisque que le coût du foncier y est plus faible.

Réduire les inégalités territoriales passe par la répartition économique mais aussi par la mobilité : il faut que tout le monde puisse se déplacer librement dans la Métropole sans voiture. Le système sera totalement équitable, et efficace en termes de lutte contre la pollution quand les habitants des 59 communes auront le choix de dire : "là, je peux m'y rendre sans ma voiture".

Concrètement, que diriez-vous à une entreprise qui voudrait s'installer dans la Métropole ?

Je ne financerais pas une entreprise qui proposerait des emplois qui ne sont pas d'ici, je ne ferai pas le forcing alors qu'elle serait mieux à Saint-Etienne, Roanne ou Bourg en Bresse. Si je peux le résumer comme cela, je dirai que tout emploi n'a pas la même valeur : quand on crée 80 emplois en CDI, via le dispositif Territoire Zéro Chômeur, et qu'on a ramené vers l'emploi des personnes qui en étaient très éloignées, c'est non seulement très positif pour eux mais c'est aussi bénéfique pour la collectivité à moyen et long terme puisqu'on réduit potentiellement le versement de minima sociaux pendant plusieurs années. Ce type d'emplois a plus de valeur que si j'incite un salarié de Paris ou Bordeaux à venir travailler à Lyon.

Vous êtes donc davantage tourné vers les entreprises de la région ?

Notre projet est bon pour les entreprises locales, il est créateur d'emploi. La rénovation thermique des bâtiments est, par exemple, une activité à la fois bonne pour le climat - on réduit ses émissions - bonne pour la facture énergétique des habitants mais aussi bonne pour l'activité des entreprises, très souvent locales, de bâtiments et d'isolation. On estime que pour les 12 000 logements déjà rénovés dans le cadre du dispositif Ecorenov, cela leur a rapporté 200 millions d'euros de travaux. Nous, on veut passer de 4 000 logements à 10 000 logements rénovés par an. On comprend bien l'effet démultiplicateur...

Autre levier : nous voulons fortement augmenter les dépenses du Sytral et construire une liaison express pour les vélos. Ce sont des travaux publics conséquents. Que l'on construise des pistes cyclables ou un périphérique, cela produira de l'emploi de la même façon. C'est faux de dire que si on ne fait pas l'Anneau des sciences, il y aura moins de travail pour les entreprises.

Par ailleurs, on veut réduire par deux l'incinération des déchets et passer à une politique de tri, de sensibilisation des habitants et d'installation de compost. Cette ambition nécessite de créer de l'emploi local. On estime que cette filière déchets peut créer près de 5 000 emplois sans coût pour la collectivité alors que si l'on doit renouveler nos incinérateurs en fin de vie, il faudrait investir au moins 500 millions d'euros. Car réduire la collecte, c'est, au final, faire des économies aussi.

Notre modèle est écologiquement vertueux et créateur d'emplois. Il redonne du sens à l'économie. Dernier point, nous sommes plus favorable au commerce de proximité qu'au développement des grandes surfaces. D'ailleurs, les Français nous rejoignent de plus en plus sur ce point : les familles prennent de moins en moins la voiture pour se rendre en périphérie, elles préfèrent se faire livrer, aller à la supérette du coin... Si une grande surface ferme, ce ne sera pas de mon intervention : c'est qu'à un moment donné, ce modèle économique ne marchera plus.

On veut donc anticiper et aider à la redynamisation des centre villes : quand on apaise les centres, que l'on installe des zones 30, que l'on piétonnise en partie et que l'on végétalise, cela y contribue. Bien sûr, reste la question du foncier. Nous allons travailler avec les mairies pour faciliter l'accès au foncier et le maîtriser pour favoriser le commerce.

Dans ce modèle, vous semblez exclure les grandes entreprises, pourtant pourvoyeuse d'emplois dans notre région ?

Pas du tout ! Lorsqu'on réalise des travaux de voirie et de tramway, c'est naturellement des grosses entreprises qui sont à la manœuvre. Néanmoins, nous allons mettre en place un schéma d'achat responsable pour la Métropole pour améliorer notre politique d'achat en termes de responsabilité sociale et environnementale. Par exemple, on impose encore dans les appels d'offre des produits neufs, très souvent importés de très loin avec des composants qui ne sont pas facilement recyclables. Et bien, nous allons imposer, à terme, qu'il y ait une part de matériaux recyclés dans les appels d'offres. Pour le moment, ce n'est pas possible, mais nous allons faire changer cela. Et puis nous devrons travailler à la construction d'une filière. Nous allons travailler avec les acteurs du terrain, les citoyens et bien sûr les entreprises.

Comment allez-vous jouer la transition entre une métropole qui a une assise économique héritée d'une histoire industrielle, touristique, commerçante... vers ce nouveau modèle que vous défendez ?

Il n'y a pas de volonté de rupture totale. Cela va se faire au fur et à mesure avec les acteurs locaux, les entreprises, les citoyens et tous ceux qui veulent discuter. Le rôle de la Métropole n'est pas si important sur l'économie réelle. Il faut rester modeste : nous ne faisons qu'accompagner l'ensemble. D'ailleurs, si l'on compare les courbes d'emplois sur les bassins de Grenoble et de Lyon, on constatera que les résultats ne sont pas si différents...

Mon seul rôle, en tant que président de la métropole, sera de créer un emploi pour un salarié de la métropole et de privilégier les filières qui réduisent les taux de pauvreté - on a encore 30% de taux de pauvreté dans plusieurs communes de la Métropole. Mon rôle de puissance publique, c'est de travailler prioritairement à destination des personnes au chômage, éloignées de l'emploi.

Cela n'empêchera pas l'économie de se développer sans nous ou avec nous. Il restera un pôle industriel ou un pôle pharmaceutique. Ces activités existent : il n'est pas question qu'elles partent. Par contre, je veux travailler avec elles sur davantage d'écoresponsabilité, ou pour celles qui sont concernées, sur la gestion des risques. Il y a beaucoup à faire. Il y a de la place pour beaucoup de choses. Par exemple, on lancera un cluster vélo. Il y a une forte demande autour du vélo à assistance électrique et le territoire compte déjà des acteurs du secteur.

Cette métropole a érigé le partenariat public/privé comme un modèle pertinent et gagnant, qu'en dites-vous ?

Pour moi, le partenariat public/privé, c'est par exemple, la liaison Rhônexpress... On en a un bilan assez net en France : c'est une catastrophe pour les collectivités publiques, on paye toujours deux fois le projet. L'entreprise ne prend aucun risque, elle a des juristes beaucoup plus compétents que les nôtres, et, à chaque fois la puissance publique perd. Je n'ai aucun souci à faire des choses avec le secteur privé, mais le concept est une catastrophe économique pour les collectivités. Ce type de partenariat, pour moi, ça ne marche pas.

Par contre, il y a des activités que l'on peut confier au privé ou garder dans le public. Typiquement, pour la gestion de l'eau, j'irai vers le retour en régie publique. C'est plus qu'un symbole, c'est une valeur philosophique : l'eau est notre bien commun le plus précieux, il faut préserver la ressource, c'est notre première priorité. Et, avec ce type de contrat, on peut introduire des tarifs sociaux auxquels je tiens. A contrario, je n'ai aucun souci avec la délégation de service public pour les transports en commun. Cela fonctionne bien en la confiant au secteur privé. Ceci dit, on ne cassera aucun contrat, la délégation de service public pour la collecte des déchets vient d'être renouvelée, et cela restera ainsi.

Pourriez-vous néanmoins faire exception avec le Rhônexpress ?

Ce contrat est déséquilibré et scandaleux. Notre priorité première reste que les habitants de l'Est de la métropole puissent se déplacer au mieux, notamment en retrouvant l'usage de cette ligne. Nous sommes donc favorables à la rupture de la concession pour améliorer le service pour les habitants.

Quelles sont vos relations avec les milieux économiques ? Si vous êtes auditionnés par la CPME ou la FFB, vous n'avez pas été sollicité par le Medef ?

Je suis moi-même un chef d'entreprise. C'est rare qu'un chef d'entreprise puisse être aux manettes d'une collectivité. Déjà, je comprends leurs problèmes et j'ai la volonté de faire avec eux ! Je sais qu'il y a une inquiétude chez les chefs d'entreprises, mais j'en ai rencontré beaucoup, je discute encore beaucoup avec eux pour convaincre.

Apparemment, le Medef, et en particulier le Medef Lyon-Rhône, est un peu... fermé. Je ne sais pas pourquoi. J'ai bien rencontré son président, mais ils ont refusé de nous recevoir devant leurs adhérents. Ce n'est pas très grave : chaque syndicat a le droit de recevoir qui il veut.

Malgré la volonté de mon concurrent principal d'essayer d'expliquer que ce serait la catastrophe si les écologistes arrivaient au pouvoir, les entrepreneurs d'ici savent voir où se situe leur intérêt et comprendre que leur activité est tout à fait compatible avec ce que nous portons. D'autant que c'est aussi un enjeu dans leurs entreprises dont les salariés et les futurs salariés attendent un peu d'éthique.

Le risque, pour un entrepreneur, c'est de subir, dans quelques années, la même vague que l'agri bashing, si on n'intègre pas à nos managements d'entreprise des paramètres écoresponsable. Il faut intégrer à nos entreprises, en plus de leur fonction naturelle qui est de se développer et de faire du business, une ouverture aux enjeux sociétaux et aux communs.

J'écoute ce que l'on me dit. Par exemple, j'ai assoupli mes positions sur la Zone à Faible Émission (ZFE). Je veux reposer les choses pour les professionnels, les artisans notamment. Je comprends que dans certains cas, comme un départ proche à la retraite, ce n'est pas possible de changer son véhicule. J'aurai une approche très pragmatique même si, mon objectif premier, reste de réduire la pollution et de sortir du diesel d'ici 2026. Il faudra voir comment on peut les accompagner dans cette transition.

Il faut travailler avec les acteurs économiques quand cela les concerne. Nous trouverons des solutions ensemble. Notre volonté politique est claire et concerne la pollution, le climat et les habitants. Après, il faut trouver le bon moyen d'y arriver. Les entrepreneurs savent très bien s'adapter. Ils ont la capacité d'adopter la situation qui leur sera le plus favorable dans le cadre fixé.

Assumez-vous ce terme d'écologiste pragmatique ?

En soi, l'écologie est pragmatique. Ne pas tenir compte des enjeux du climat et de la pollution et des souhaits de la population, c'est être utopiste, et à côté de la plaque. C'est désormais une évidence pour tout le monde. Quand on isole les bâtiments, les habitants voient bien que c'est une solution économiquement viable, que leur appartement prend de la valeur, etc. Certains utilisent le terme d'écologie punitive... je ne sais pas trop ce que cela veut dire. Ce que je sais, c'est que lorsqu'il y a des pics de pollution, ce sont les citoyens qui sont punis, que certains ne peuvent plus circuler, que les enfants ne peuvent plus sortir dans les cours d'école.

Cette mobilité est au coeur de votre programme, y compris économique...

L'économie dépend de la mobilité. Si un salarié doit faire des trajets trop longs, il ne sera pas totalement efficace. Et cela aura un impact sur son activité. La mobilité en terme d'économie, de pollution, de transition écologique, d'égalité territoire est un enjeu majeur et fait partie de notre compétence. Nous allons instaurer la tarification unique sur tout le territoire, pour qu'un salarié ne paye qu'un seul abonnement pour se déplacer dans toute la Métropole, trains compris.

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> Lire notre DOSSIER complet paru dans La Tribune Hebdo n°320, 2e cahier :

UNE HEBO 320

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Commentaires 2
à écrit le 12/02/2020 à 12:09
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Un écolo, c'est joli, ça fait propre dans le paysage, mais ce sont des bons à rien, des dogmatiques et des propagateurs d'idées fausses.... Ce sont également des crypto socialistes, grands amateurs de taxes, de contraintes stupides et inutiles, et to...

à écrit le 11/02/2020 à 15:51
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désamientage voire désamiantage

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