Région Auvergne-Rhône-Alpes : "malaise" et "souffrances" au sein de l’exécutif

Par Denis Lafay  |   |  911  mots
"J'adore mon travail ; je déteste les conditions dans lesquelles je l'exerce." Un vice-président. (Ici, l'exécutif, auquel manque Etienne Blanc et Patrick Mignola)
Les vicissitudes et même les turpitudes organisationnelles, managériales, idéologiques et politiques qui frappent le fonctionnement de la Région Auvergne-Rhône-Alpes ne sont pas rapportées par le "seul" corps social. Elles émanent aussi de ceux que le président Laurent Wauquiez a lui-même recrutés : certains membres de son exécutif, qui mettent en cause nommément leur supérieur.

"Violent. Très violent." C'est ainsi que, murmuré à l'oreille du journaliste, un(e) vice-président(e)* croisé(e) inopinément dans une file d'attente de l'aéroport Saint-Exupéry un début de week-end résume le management de Laurent Wauquiez à son endroit. Est-il(elle) seul(e) dans ce cas ? Deux autres vice-présidents et un élu de la majorité aux commandes d'importantes délégations exposent, confidentiellement, leur mal-être. Le plus mesuré déplore que son président, au nom de son impatience et de sa vitesse d'exécution, puisse être "aussi cassant" avec des élus, "n'accepte pas qu'on le conteste ou qu'on se mette en travers de sa route", confine les membres de l'exécutif à n'être "rien" selon son mode de fonctionnement.

Le plus embarrassé opte d'abord, en guise de réponse aux questions portant sur ledit management et la considération de son président, pour un franc et silencieux sourire. Puis se risque. "Oui, son style personnel provoque le malaise au sein de l'exécutif, oui son mode de gouvernance nous déjuge au sein des délégations, oui l'extrême politisation dont il a fait le choix d'incarner sa responsabilité rejaillit défavorablement sur et dans l'institution." Et "oui", l'orientation idéologique "qui consiste à lorgner les plates bandes du Front national" et blesse "mes valeurs humanistes, sociales, résolument européennes, et transpartisanes lorsque l'intérêt général est en jeu", l'ébranle. Au point, si se poursuivent les "coups de canifs" dans son engagement originel d'imperméabiliser strictement ses fonctions nationales et régionales, qu'il prendra ses responsabilités dans le courant de l'été.

"Je ne participerai pas à la droitisation de la Région, à ce qui s'apparenterait à une prise d'otage idéologique et politicienne de l'institution."

"Violence"

Quant au plus affecté des quatre témoins, il livre un examen méticuleux. Séduit il y a vingt mois par l'énergie et la vision du futur président, mais surtout par l'envergure des projets qui lui sont promis, il accepte de "plonger", et pour cela de se soumettre à des "codes singuliers" et notamment à un système féodal dans lequel vassal et suzerain sont indissociablement liés ; "On abandonne une partie de sa liberté contre de la protection." La première "violence", c'est de constater l'absence de gestion, de formation, de culture RH (ressources humaines) ; dans son service cohabitent des agents "en burn out" et d'autres "en bore out", et six mois seront nécessaires avant d'obtenir le "feu vert" pour structurer a minima sa délégation.

A cet état des lieux participe l'absence "effrayante" de lisibilité décisionnelle et de rigueur procédurale. L'opacité, la profusion "d'injonctions paradoxales" et, là encore, les court-circuitages dominent.

"Des décisions sont actées, commencent de « descendre » dans les services, puis sont interceptées, remontent au plus près de Laurent Wauquiez, puis nous reviennent, amendées voire annulées."

Au plus près ? "Chez cet absolu c....... d'Ange Sitbon", qui siège "à la droite de Dieu" auprès de qui il exerce son "omnipotence" et exploite à son profit sa "fine connaissance de la carte électorale."

Magma

Quant au jugement destiné à Laurent Wauquiez lui-même, il est empreint de "grande amertume." "Il" l'avait convaincu - sans pour autant qu'il soit "dupe" de toutes ses motivations -, "il" personnifiait une logique et des ressorts entrepreneuriaux et innovants "alléchants", "il" promettait "tant... " Dix-huit mois plus tard, le vice-président reconnait que "sa vista intellectuelle et son énergie « font indéniablement avancer ». Des projets voient le jour après une année contre trois ou quatre dans d'autres conditions." Mais au prix d'une part de négligences organisationnelles qui entravent la fluidité de l'exécution, d'autre part de substantiels dommages collatéraux au sein du corps social.

"Et cela, qu'il s'agisse de l'exécutif, où certains de mes collègues sont, comme moi, en souffrance, ou des salariés. La bienveillance et la considération, nécessaires à tout management respectueux et performant, n'ont d'existence que si elles sont incarnées au sommet de la hiérarchie."

Au final, y compris à l'aune de la polarisation nationale de ses arbitrages et de ses discours politiques, mais aussi de la conviction, progressive, "que sa responsabilité de président de Région lui pèse", "Laurent Wauquiez est l'une de mes plus belles rencontres. Et de mes plus grandes déceptions... dans cet ordre ! J'adore mon travail ; je déteste les conditions dans lesquelles je l'exerce. Je « tiens » parce que je ne suis pas seul dans cette situation, et parce que mon action fait sens. Pour le territoire et au fond de moi." Que six des douze vice-présidents, c'est-à-dire la moitié de l'exécutif, aient choisi la bataille des législatives synonyme d'abandon de leur mandat en cas de victoire, a peut-être "aussi" pour origine ce magma.

* L'identité et le genre retenus assurent l'anonymat des interlocuteurs.

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