« Nous allons encore renforcer les contrôles des usines » (Jean-Philippe Deneuvy, directeur de la Dreal AuRA)

Dans le cadre d’une feuille de route nationale et régionale, la Dreal (direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement) Auvergne-Rhône-Alpes a mené 2.675 inspections des installations industrielles classées dans la région. Soit 35% de plus qu’il y a quatre ans. Dans une région très industrielle, où le risque technologique et chimique est largement présent, la Dreal prévoit d’intensifier encore son action pour les prochaines années.
Jean-Philippe Deneuvy, directeur de la Dreal Auvergne Rhône-Alpes.
Jean-Philippe Deneuvy, directeur de la Dreal Auvergne Rhône-Alpes. (Crédits : DR)

LA TRIBUNE- La Dreal Auvergne-Rhône-Alpes vient de publier son bilan 2022 concernant les installations classées pour la protection de l'environnement (ICPE). En quatre ans, les contrôles ont progressé de plus de 35%, beaucoup plus que le nombre de sites ICPE. Pourquoi ?

JEAN-PHILIPPE DENEUVY- En 2022, notre équipe composée de 200 inspecteurs (Dreal et DDPP, direction départementale de la protection des populations) a assuré 2.675 contrôles, soit effectivement 35% de plus qu'il y a quatre ans. Ces inspections sont devenues de plus en plus prioritaires au fil des années, afin de s'assurer que toutes les entreprises concernées respectent bien leurs obligations vis-à-vis de la protection de l'environnement et des populations. Ces inspections permettent aussi d'épauler les industriels et de les guider vers des pratiques plus optimales. Ces contrôles vont continuer de s'intensifier. Depuis le début de l'année, nous avons déjà créé cinq postes supplémentaires d'inspecteurs et nous allons continuer de nous renforcer. Les sujets sont nombreux et nécessitent d'accélérer : au-delà des contrôles des sites en exploitation, les inspecteurs sont également mobilisés pour l'instruction des dossiers avant implantation, avec une attention particulière portée aux délais d'instruction.

Quel est l'état des lieux des ICPE dans la région ?

L'Auvergne-Rhône-Alpes est la première région industrielle de France avec près de 500.000 emplois. L'industrie représente 18% de la valeur ajoutée régionale, soit près de 5 points de plus que la moyenne nationale. Cela signifie aussi, forcément, que la région héberge de nombreuses installations classées. En Auvergne-Rhône-Alpes, nous avons 176 sites Seveso (sur 1.291 en France), dont 74 Seveso seuil bas et 102 seuil haut contrôlés au moins une fois par an ; 612 installations soumises à directive IED (Industrial Emissions Directive) en raison de risques chroniques et contrôlées régulièrement ; trois mines ; 538 carrières et 6.059 kilomètres de canalisations de transport dont 4.107 pour le gaz naturel.

Suite à l'accident Lubrizol qui avait eu lieu en 2019 dans l'agglomération de Rouen, est-ce que des contrôles renforcés ont été mis en place dans la région ?

La prévention du risque technologique est devenue absolument prioritaire. Un plan d'action national avait été lancé, et déployé localement par notre ancien Préfet de Région, puis poursuivi par Fabienne Buccio. Première région Seveso de France, nous nous devons d'être absolument exemplaires sur le sujet. Entre 2019 et 2022, tous les sites seveso seuil haut et un tiers des seuils bas ont été contrôlés sur la base des premiers éléments de retour d'expérience de l'incendie de Lubrizol. Les établissements voisins de ces usines Seveso ont été systématiquement contrôlés afin d'identifier d'éventuels risques d'effets dangereux pouvant avoir un impact sur le site Seveso en question. Nous nous sommes aussi focalisés sur la connaissance des stocks et nous avons mis en œuvre des exercices de crise inopinés, y compris en pleine nuit. En parallèle, des opérations coups de poing sur le risque incendie ont été menées dans les installations non seveso.

L'ensemble de nos 2.675 inspections ont donné lieu à 324 mises en demeure, 18 amendes et 35 astreintes financières.

Quel bilan des accidents ?

Le dernier accident grave remonte à 2018 dans la région. L'année dernière, nous enregistrons un accident classé comme « majeur » (sur quatre en France), il a concerné le site Arkema de Jarrie.

Globalement, le nombre d'accidents a baissé l'année dernière, avec 52 accidents contre une tendance de 63/65 les années précédentes. Nous devons confirmer cette tendance baissière.

Plus de la moitié concerne des incendies, 7 des explosions. 39 de ces 52 accidents ont généré des rejets de matières dangereuses ou polluantes et deux ont causé la mort de deux opérateurs (Ugitech à Ugines et Poudres Hermillion à la Tour en Maurienne). Quatre événements ont engendré quatre blessés graves et 18 autres des blessés légers. Cinq événements ont conduit au confinement des populations.

Autre sujet sensible dans la région, celui des rejets, en particulier des perfluorés. Où en est-on et quelle est l'action de la Dreal sur ce point ?

Concernant les risques chroniques, nous sommes effectivement amenés à effectuer des contrôles inopinés des rejets aqueux, des rejets atmosphériques et des eaux des circuits des tours aéroréfrigérantes. En 2022, 136 contrôles inopinés des rejets aqueux dans les eaux superficielles ont été menés en AuRA (950 ICPE concernées potentiellement par des contrôles sur ce thème NDLR), 99 contrôles des rejets atmosphériques (600 ICPE concernées) et 60 contrôles des installations de refroidissement évaporatif par dispersion d'eau (444 ICPE).

Concernant les perfluorés, nous sommes typiquement dans le cas de figure de la découverte d'un rejet. Nous avons mis en place un plan d'action régionalisée sur le sujet avec 125 contrôles inopinés, avec des actions et contrôles spécifiques dans les secteurs de Pierre-Bénite (69) et de Rumilly (74). 14 de ces contrôles ont montré effectivement des rejets significatifs de PFAS (composés perfluorés), - sans être au niveau néanmoins de Pierre-Bénite et Rumilly - et donnent lieu à des investigations plus importantes afin de comprendre d'où viennent ces émissions et accompagner les industriels concernés. Rappelons que le cadre scientifique et réglementaire des composés perfluorés est encore émergent, nous n'avons pas encore les valeurs de référence dans le milieu naturel pour chacun des milliers de ces composés... L'arrêté ministériel concernant l'analyse des PFAS dans les rejets aqueux des ICPE a été publié en juin 2023. Il constituera notre cadre de travail pour 2023 et 2024, nous allons pouvoir multiplier par quatre ou 5 nos contrôles, 630 sites en AuRA sont concernés.

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Pour Pierre-Bénite et Rumilly, nous sommes sur des niveaux bien différents, avec des contraintes imposées aux industriels. En mai 2022, un arrêté préfectoral a prescrit aux industriels de la plateforme de Pierre-Bénite (Arkema et Daikin) une surveillance quotidienne des rejets en PFAS dans l'eau. Puis en septembre 2022, un autre arrêté a prescrit à Arkema la cessation de l'utilisation de toute substance PFAS d'ici le 31 décembre 2024 au plus tard, et d'ici là, la réduction par palier de ses rejets dans l'eau. Un premier palier de -65% a déjà été respecté en mars 2023.

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Pour Rumilly, les sources sont multiples et certaines sont historiques, nous avons établi des programmes de surveillance.

Où en est-on des PPRT, les plans de protection contre les risques technologiques ?

La région compte 52 PPRT, pour lesquels l'Etat a engagé 130 millions d'euros de crédit pour leur mise en œuvre. Sachant que les PPRT de la Vallée de la Chimie (33,5 millions d'euros pour l'Etat), le PPRT de Pont de Claix (37 M€) et le PPRT de Jarrie dans l'Isère (41,5 M€) concentrent 90% de ces montants.

A ce jour, 92,3 millions d'euros de financement de l'Etat ont déjà été utilisés : 50 des 64 expropriations prescrites ont été réalisées (37 logements et 13 entreprises). Par ailleurs, 3.336 logements ont fait l'objet d'un diagnostic financé par l'Etat (pour 9.402 concernés dans la région NDLR).

Des mesures supplémentaires, cofinancées par l'Etat, la collectivité et les industriels, ont été mises en œuvre dans le cadre des PPRT : par exemple, la mise en place d'un bunker de confinement pour les gaz toxiques sur le site Tredi de Saint-Vulbas (01), pour un investissement total d'1,5 million d'euros ou le changement de technologie d'électrolyse sur l'établissement Arkema de Jarrie (64 millions financés par l'exploitant et 40,9 millions par l'État). Cela a permis d'éviter des procédures d'expropriation et de délaissement qui auraient été encore plus coûteuses. Pour Tredi par exemple, les distances d'effet des accidents ont été pratiquement divisées par deux, évitant ainsi 90 millions d'euros d'autres mesures.

Quels sont vos nouveaux sujets d'action ?

La sécheresse avec un plan de sobriété hydrique annoncé par Fabienne Buccio, la décarbonation, la sobriété énergétique, les énergies renouvelables, notamment les éoliennes pour lesquels les projets sont très complexes. Il faut les accompagner.

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