« L’enjeu ? Ramener des lignes de production qui n’ont jamais existé » (Stéphanie Pernod-Beaudon, Région Auvergne Rhône-Alpes)

ENTRETIEN. Depuis juillet dernier, Stéphanie Pernod-Beaudon est devenue le bras droit du président LR Laurent Wauquiez en assumant la 1ère vice-présidence en charge de l’Economie, de la Relocalisation et de la Préférence régionale de la Région. Avec, au sein de sa feuille de route, l’objectif de « ramener des lignes de production qui n’ont jamais existé », de généraliser les « plan Marshall » pour que l’ensemble des délégations se mettent au « produit en AURA », ou encore d’être une région « accueillante » pour les entreprises, avec un soutien marqué vers des filières comme le vélo ou l'aéronautique.
En parallèle à son mandat de vice-présidente à l'économie, Stéphanie Pernod Beaudon vient d'être élue à la présidence d'une nouvelle Académie aéronautique régionale : soit un nouvel outil à 5 à 7 millions d'euros, qui se placera en lien direct avec les grands donneurs d'ordres du secteur aéronautique.
En parallèle à son mandat de vice-présidente à l'économie, Stéphanie Pernod Beaudon vient d'être élue à la présidence d'une nouvelle "Académie aéronautique" régionale : soit un nouvel outil à 5 à 7 millions d'euros, qui se placera en lien direct avec les grands donneurs d'ordres du secteur aéronautique. (Crédits : DR)

LA TRIBUNE - Vous étiez la 12e vice-présidente en charge de la formation lors du précédent mandat, et vous êtes promue cette année directement à la 1ère vice-présidence. Avec, dans votre portefeuille, l'économie, de la relocalisation et de la préférence régionale : des compétences majeures pour ce second mandat ?

STEPHANIE PERNOD BEAUDON - Nous souhaitons en effet en faire une priorité, car notre région demeure la première région industrielle de France et présente une vraie dynamique économique. Après les difficultés rencontrées lors de la crise sanitaire, nous avions lancé des juillet 2020 un plan de relance régional afin de sortir de cette période le plus vite possible.

Avec parmi les fondamentaux, la thématique de la préférence régionale, que nous avions déjà défendue par le passé, et le contexte actuel ne fait que conforter notre choix.

Notre second sujet sera celui de la relocalisation, c'est-à-dire de « comment on ramène chez nous des lignes de production qui n'ont jamais existé, ou qui étaient parties ».

Vous aviez justement annoncé une réflexion autour de la préférence régionale : sur quels terrains souhaitez-vous désormais monter en puissance sur ce second mandat ?

Nous avions déjà commencé par instaurer une forme de "plan Marshall" sur les lycées, en demandant à notre administration de réfléchir à des dispositifs qui permettent aux entreprises régionales de répondre aux marchés que nous passions. Cette ambition nous a par exemple conduit à diviser des lots, pour permettre à de plus petites entreprises d'accéder à certaines portions de contrats, auxquels elles n'auraient pas eu accès, si le marché était de taille plus importante.

Cela passe aussi par le fait de donner une prime d'équipement de 150 euros aux apprentis, afin qu'ils s'équipent uniquement en local. Bien entendu, ils pouvaient se rendre au Darty du coin, mais l'idée est avant tout de faire vivre l'économie locale.

A travers ce mandat, nous souhaitons aller un cran plus loin et interroger l'ensemble des délégations pour qu'elles travaillent à la mise en place des dispositifs engageants à destination de l'ensemble des entreprises régionales.

Cela nous conduira également à aller discuter avec les élus européens afin de faire bouger les choses, en ce qui concerne l'élargissement du quota des marchés que l'on peut soumettre à ce critère.

La relocalisation est posée comme l'une des priorités de votre programme à venir.... C'est toutefois un vaste défi, qui imbrique plusieurs niveaux de compétences : comment comptez-vous l'aborder plus spécifiquement à l'échelle régionale ?

Il faut déjà commencer par être une région accueillante pour les entreprises de notre territoire, et faire passer ce message.

Or, il est très compliqué aujourd'hui pour nous d'osciller entre ce que nous proposons aux côtés des chambres consulaires, et la vision projetée par d'autres acteurs, comme la Métropole de Lyon. Cela pose un vrai problème de crédibilité et une forme d'inquiétude chez nos partenaires.

Pourtant, la métropole écologiste a placé l'industrie au cœur de ses priorités à travers différentes actions (manifeste, fonds dédié aux pépites industrielles, etc). A ce sujet, n'existe-il pas des terrains où vous pouvez vous rejoindre ?

La Métropole dispose d'un fonctionnement autonome, compte-tenu de son statut spécifique en France, et de compétences qu'elle choisit d'exercer ou non. De notre côté, nos politiques publiques sont tournées vers les entreprises et notre vision est d'être d'abord un territoire accueillant, pour l'ensemble des acteurs économiques.

Auparavant, on pouvait avoir peur que la métropole prenne tout. Aujourd'hui, ce sont bien ces territoires situés en périphérie qui profitent de la difficulté de la métropole à être claire à ce sujet, et qui cultive une image de ne plus vouloir accueillir certaines activités, à l'échelle de son territoire.

Ce sont donc bien deux visions qui s'opposent et pour l'instant. Même si nous nous parlons, nous n'avons pas trouvé de sujet, ni d'occasion de nous rejoindre. Chacun est dans sa feuille de route qui procède d'une vision politique.

Laurent Wauquiez évoquait également la possibilité de mettre en place une foncière à l'échelle du tissu régional. Pourquoi un tel axe de travail peut-il être déterminant, en matière de relocalisation ?

Les entreprises qui choisissent de s'implanter sur un territoire le font pour différentes raisons, mais cela passe par des outils, comme le fait d'avoir du foncier disponible pour leur installation, dont du foncier clé en main où elles puissent s'installer rapidement, en fonction de leurs besoins.

C'est pourquoi nous travaillons avec notre agence Auvergne Rhône-Alpes Entreprises sur ce sujet, en parallèle à la mise en place du dispositif Territoires d'industrie, dont Jean Castex a annoncé l'élargissement, avec plusieurs projets déjà financés dans notre région.

Car le foncier existe actuellement, mais il est réparti entre le tissu privé, ainsi que les terrains gérés par le domaine public via des EPCI, ou encore des zones d'activité et parcs industriels. Nous devons donc nous demander quel est le meilleur outil, et si notamment une foncière régionale est intéressante, afin de trouver la solution la plus efficace pour répondre à ce type de besoins.

Il s'agit d'un enjeu majeur pour certaines filières comme le textile par exemple, où l'on sait déjà que fabriquer en France permet de diviser par deux notre empreinte carbone par rapport à une fabrication en Chine. Il s'agit donc d'un vrai sujet environnemental.

Lorsque l'on parle de relocalisation, on pense à l'installation de gigafactories comme Verkor, un projet isérois pour lequel la région Auvergne Rhône-Alpes d'ores et déjà annoncé la possibilité d'une enveloppe, notamment en matière de R&D, sous conditions que le projet s'implante en Auvergne Rhône-Alpes. Pour autant, les sommes engagées représentent un défi de taille pour une collectivité comme la vôtre, et la compétition est rude pour attirer ce type de projets ?

Il s'agit d'un domaine très concurrentiel, mais nous avons vraiment intérêt à ce que ce type d'acteurs demeure chez nous. Mais on ne va pas se mentir : s'ils choisissent de s'installer en France, nous n'allons pas leur en vouloir. Cela n'est pas vraiment un sujet tant que ces projets souhaitent demeurer dans l'Hexagone.

Auvergne Rhône-Alpes reçoit d'ailleurs un certain nombre de dossiers de relocalisation à l'échelle nationale, car il s'agit d'une région dynamique, qui possède de grands axes routiers, etc... Il nous faut être en capacité de les absorber, et c'est notre travail que de créer de bonnes conditions d'accueil pour ces projets.

Vous serez aux commandes d'un portefeuille, et notamment d'un plan de relance régional doté de plus d'un milliard d'euros d'investissement annoncés jusqu'au terme du mandat, en 2027. Alors que le débat d'orientation budgétaire commencera à se tenir à compter du mois prochain dans l'hémicycle régional, de quoi sera composé ce plan en priorité ?

Nous n'avons pas encore découpé précisément ce nouveau budget, notre feuille de route stratégique est actuellement en cours d'écriture et sera présentée devant les élus en décembre prochain lors de l'assemblée plénière, avec un débat sur les grandes orientations du budget à venir. Mais nous sommes en train de revoir l'ensemble des dispositifs de l'ancienne mandature, afin de voir ceux qui, à la lumière de la crise Covid, n'ont plus vocation à exister, et ceux que l'on souhaiterait au contraire reconduire.

Notre priorité ira vers l'accompagnement des entreprises à relocaliser, à les aider à investir dans du matériel et à développer leurs lignes de production... Cet investissement massif a été rendu possible par la saine gestion que nous avons pu réaliser au cours du mandat précédent, et qui nous a permis d'être en capacité de gérer l'urgence durant la crise sanitaire.

Selon un premier bilan, ce sont près de 190 millions d'euros d'aides aux entreprises qui ont ainsi pu être octroyées durant cet épisode.

Justement, les élus de l'opposition de gauche, ainsi que l'association des contribuables lyonnais Canol, ont reproché notamment à l'ancienne mandature voir distiller des aides « à la petite semaine », sans véritable stratégie globale. Que répondez-vous aujourd'hui à ces propos ? Ce second mandat sera-t-il l'occasion de développer une feuille de route plus précise à ce sujet ?

Je crois qu'il ne faut pas mélanger le train-train politique et la vie économique. Nous avons toujours accompagné des entreprises qui ont effectué une demande auprès de nos services, et qui avaient un vrai projet.

Nous ne choisissons pas nous-mêmes ces entreprises, elles se rapprochent de nous selon leurs besoins, et nous regardons ensuite si elles rentrent dans nos principaux critères établis à l'échelle du mandat, et qui seront par exemple, pour cette mandature, la relocalisation et la préférence régionale. Car l'économie a aussi besoin d'avoir une forme de liberté.

Bien entendu, il existe tout un processus d'instruction de dossiers, de délibérations, suivies d'un vote des élus, qui suit la réglementation en vigueur : nous n'avons pas eu de débordements constatés à ce sujet. D'ailleurs, les chiffres montrent que notre économie régionale s'est plutôt bien sortie de cette crise. Et si nous pouvons continuer d'être aux côtés des acteurs économiques, nous le ferons.

Parmi les filières ciblées par les besoins de réindustrialisation, le secteur du vélo fait notamment partie des nouvelles « filières » dont la Région vient de s'emparer, en organisant une matinée d'échanges avec l'ensemble de ses acteurs, et qui fait face à des enjeux en matière de relocalisation. Est-ce que l'un des secteurs où vous prévoyez de « mettre tout particulière la gomme » sur ce mandat ?

Nous avons eu l'occasion en effet de rencontrer les acteurs de cette filière et dès qu'on le pourra, nous le ferons aussi avec d'autres secteurs. L'enjeu est de participer à la structuration de ces filières afin que l'ensemble des acteurs se connaissent de l'amont à l'aval, et échangent sur leurs problématiques.

Nous nous sommes rendus compte qu'il existait un certain nombre de trous dans la raquette, notamment sur le plan des freins, qui ne sont pas fabriqués en France, et que les acteurs sont contraints d'aller acheter à l'étranger.

Cela va nous permettre d'établir des ponts et de voir ce que nous pouvons lancer, quels types de projets d'innovation soutenir, pour accompagner les acteurs du vélo à être capables de produire chez nous, et de manière compétitive.

On se souvient de l'image du « quoi qu'il en coûte » et du rôle que les aides publiques peuvent jouer pour les filières économiques. Vous aviez vous-même appelé à ce que ces aides cessent. Comment passer désormais de l'aide à l'autonomie ?

L'idée est de passer par des aides publiques au départ, mais qui permettront ensuite à la filière de se mettre en place et de vendre des vélos fabriqués chez nous, qui créeront de l'emploi, contribuant ainsi à rendre cette industrie totalement autonome. On remarque d'ailleurs aujourd'hui que sur plusieurs sujets, ces acteurs n'ont pas besoin de nous.

Nous pouvons cependant les accompagner sur la R&D, afin qu'ils puissent ensuite vivre de leurs contrats, qu'ils signeront grâce à leurs nouvelles productions. C'était d'ailleurs la même chose avec les masques, où la Région a commencé par passer des commandes afin d'assurer un seuil de production minimal à des entreprises qui étaient certaines de vouloir se lancer dans ce domaine, et qu'elles puissent ensuite voler de leurs propres ailes.

En parallèle à votre mandat régional, vous venez d'être élue à la présidence de l'Académie aéronautique régionale. Cette nouvelle structure lancée par la Région compile deux de vos expertises, formation et économie. Quelles vont être plus précisément ses missions, alors que d'autres acteurs, comme le Cluster Aerospace, existent déjà à l'échelle régionale ?

La création de cette entité remonte à deux ans en arrière, lorsque les donneurs d'ordres régionaux et internationaux nous avaient expliqué, au salon du Bourget, qu'ils étaient satisfaits de leur implantation en Auvergne Rhône-Alpes, mais qu'ils ne trouvaient pas de personnel correctement qualifié sur place, déjà à l'époque.

Ainsi, lorsqu'ils embauchent une nouvelle recrue, il leur faut près de deux ans pour qu'elle se fasse la main, ce qui était un handicap. Est donc venue l'idée de créer une structure en partenariat, afin de repérer les métiers les plus en demande au sein de la sous-traitance aéronautique (électriciens, soudeurs, chaudronniers, etc), puis de labelliser ensuite près de 250 formations existantes sur l'ensemble de la région.

Avec, comme seconde étape, la création d'une académie puis la construction d'un bâtiment dédié sur notre base aérienne d'Ambérieu en Bugey, afin que ces nouvelles recrues puissent passer quelques semaines à quelques mois sur des plateaux techniques. L'objectif étant qu'elles aient l'opportunité de se professionnaliser, aux côtés de formateurs et de donneurs d'ordres.

Quelle est la nature de ce partenariat ? Il s'agit d'un investissement financier également pour la Région ?

Nous sommes en attente de pouvoir lancer la construction du bâtiment sur la base aérienne, car nous avons pour cela besoin d'une autorisation du Ministère des armées.

Dès le début, nous avons acté le fait que les donneurs d'ordres de l'aéronautique mettent à disposition leurs propres formateurs, tandis que la Région finance en échange la construction du bâtiment, et gère les logements qui y seront associés.

Nous avons déjà recruté un directeur général pour cette nouvelle Académie, dont le budget est évalué à 5 à 7 millions d'euros pour la construction du bâtiment et le plateau technique associé. Le budget de fonctionnement sera ensuite partagé entre ses membres.

Qu'en est-il justement de votre perception de la relance, pour cette industrie pour laquelle la région Auvergne Rhône-Alpes demeure tout de même le troisième berceau, à l'échelle française ?

Même si le secteur aéronautique a quand même payé le prix lourd au sein de cette crise, on sent que le carnet de commandes commence à se rallonger : la situation est globalement bien meilleure qu'il y a six mois, même si nous n'avons pas encore retrouvé le niveau d'avant-crise.

Dans certains métiers de la sous-traitance, le sujet est encore de trouver de la main-d'œuvre pour relancer la production, et d'avoir des gens qui aient le temps d'être formés. C'est le cas pour d'autres secteurs convexes également, comme l'industrie des transports au sens large, ou la logistique.

Lorsqu'on parle des secteurs touchés par la crise, on pense également aux dossiers de fonderies et industriels locaux comme Ferropem ou Photowatt, menacés par une disparition de leurs sites, dans des métiers pourtant essentiels à la transition énergétique (silicium et photovoltaïque). Quelle est la marge de manœuvre de la Région sur ces dossiers, au titre de sa compétence économique ?

Nous avons tout d'abord un affect particulier pour les entreprises familiales, et nous nous sommes posés comme des partenaires privilégiés sur des dossiers comme Ferropem ou Luxfer afin de mettre tout le monde autour de la table et de voir quelles pouvaient être les difficultés à adresser.

Notre philosophie est de chasser en meute, sinon, nous n'y arriverons pas. Cela peut par exemple nous conduire à établir un plan de sortie de crise qui puisse être appuyé par les pouvoirs publics en fonction des moyens disponibles : nous avons par exemple déjà proposé à l'un de ces dossiers de pouvoir financer un ensemble des formations de remise à niveau des salariés à de nouveaux métiers...

À chaque fois, il s'agit cependant d'une analyse fine, car nous prenons toujours des risques mesurés. Ce ne peut pas être aux collectivités de « sauver » un dossier en tant que tel, mais nous restons attentifs à la situation.

Pour conclure, êtes-vous confiante sur l'avenir des entreprises régionales alors que d'un côté, les indicateurs semblent plutôt au « vert » du point de vue des prévisions de croissance mais aussi avec, de l'autre, l'arrêt des dispositifs d'aide comme le fonds de solidarité qui pourraient fragiliser certains acteurs... Des enveloppes d'urgence peuvent-elles encore être débloquées ?

Nous suivons la situation au jour le jour, mais il est certain qu'il y a des secteurs qui demeurent plus fragiles que d'autres. La bonne question à se poser et de savoir si la mauvaise santé d'une entreprise est due à la crise ou était présente auparavant. Car il faudra que l'on soit attentifs à tous les paramètres, tout en restant lucides : on ne sauvera pas tout le monde.

Du côté des entreprises qui étaient notamment déjà en grandes difficultés, il faut se demander si elles sont encore capables de s'en sortir, et à quel moment on prend véritablement un risque d'investir encore plus d'argent public dans ces structures... Pour cela, nous suivons les signaux faibles de l'ensemble de nos partenaires : tribunal de commerce, chambres consulaires, Bpifrance, etc... Mais l'on peut dire que nous sommes aujourd'hui sortis des aides d'urgence.

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