Caroline Tisserand (Cité du Design) : "Je veux dédiaboliser la relation avec les entreprises"

Caroline Tisserand, nouvelle directrice de la Cité du Design de Saint-Etienne, nommée fin août, veut renforcer l'offre de services de l'établissement public de coopération culturelle (EPCC) pour l'ancrer plus fortement auprès des entreprises du territoire. Elle nous livre sa feuille de route. Entretien.

Vous avez été retenue, il y a quelques semaines seulement, parmi plusieurs candidats, dont des candidatures internes. Quels sont les facteurs, selon vous, qui ont séduit Gaël Perdriau, le maire de Saint-Etienne ?

Mon parcours probablement ! J'ai 42 ans, une formation d'ingénieur civil des mines (Nancy) et une expérience de 16 ans à la Chambre de commerce et d'industrie du Grand Hainaut (Hauts-de-France NDLR). En 2014, on m'a demandé de prendre la direction de l'école de la Serre numérique de Valencienne, Rubika, une structure privée dont la CCI était actionnaire et regroupant enseignement supérieur, recherche et développement, incubateur et pépinière d'entreprise. Tout cela dans un même bâtiment installé dans un quartier créatif ressemblant un peu à celui sur lequel est implantée la Cité du Design de Saint-Etienne.

Rubika est construite autour de trois filières : le cinéma d'animation, le jeu vidéo et le design industriel. J'ai assuré cette mission pendant 3 ans avec une feuille de route en trois volets : refonte du modèle pédagogique de l'école en créant de la transversalité entre les filières, le développement à l'international et la création d'une communauté autour de l'école (entreprises, étudiants...).

Cette expérience possède donc de nombreux parallèles avec la Cité du design...

Effectivement, quand le poste de Saint-Etienne s'est présenté, je me suis positionnée car les besoins de la Cité me semblaient assez semblables à ceux de Rubika. C'est probablement ce qui a constitué le point fort de ma candidature. Avec une notion de territoire encore plus forte ici, puisque l'EPCC Cité du design est voulu par Saint-Etienne Métropole comme un véritable outil de développement territorial.

Vous n'êtes pas designer, n'est-ce pas un handicap pour occuper ce poste  ?

Non, être designer est loin d'être une nécessité, ni même un atout pour être directrice. En revanche, j'ai un goût très prononcé pour le design.

Vous êtes arrivée fin août.  Quel est votre projet ? Quelles nouvelles orientations souhaitez-vous impulser ? Quelles options ont déjà été validées ?

Validées ? Aucune pour l'instant, je viens d'arriver ! Ceci étant, mon parcours ne peut pas vous laisser aveugle. Un des axes forts est de renforcer les liens avec les entreprises. Cela se jouera à différents niveaux, sans que l'établissement n'y perde son âme. J'en serai la garante. Ce rapprochement avec les entreprises pourra passer, par exemple, par l'Ecole supérieure d'Art et de design. Nous pouvons envisager un renforcement des partenariats pédagogiques avec les entreprises en faisant travailler nos étudiants sur des projets concrets. Cela permettra une meilleure compréhension mutuelle, une dédiabolisation.

Intéresser les étudiants plus tôt aux problématiques des entreprises permettrait-il de briser la barrière qui existe encore aujourd'hui entre un certain nombre de PME et les designers ? Beaucoup d'entrepreneurs affirment être prêts à s'ouvrir au design mais se disent, également, échaudés par des expériences malheureuses avec des professionnels peu affûtés aux stratégies et langages d'entreprise...

C'est un peu excessif, mais ce n'est pas tout à fait faux. C'est d'ailleurs pour cette raison que nous allons faire évoluer encore plus nos étudiants avec des jeunes issus d'autres formations : avec des élèves des écoles d'ingénieurs, de l'Université, de l'école de commerce, etc. Je vous rejoins sur le fait que les designers ont une place prépondérante, au sein des entreprises, dans des équipes et des projets transversaux. Il est donc indispensable qu'ils soient aptes à comprendre les problématiques économiques.

J'aimerais néanmoins faire passer un message aux entrepreneurs déçus par ce type d'expérience : il faut  absolument associer les designers dès le démarrage du projet, et non pas  uniquement à la fin de celui avec l'idée de "peaufiner" le côté esthétique de leur produit. Sinon, effectivement, le risque d'incompréhension est grand.  Les entrepreneurs doivent aussi apprendre à manager un designer.

Quels sont les autres biais que vous comptez utiliser pour renforcer le lien avec les entreprises ?

Nous allons développer les activités de recherche et de soutien à l'innovation. Les entreprises attendent que nous soyons à leur écoute et que nous puissions leur proposer une offre globale correspondant à leur niveau de maturité en matière de design. Je tiens toutefois à préciser que nous ne nous substituerons pas aux agences de design privées. Chacun sa place.

Concrètement, comment va se traduire votre arrivée pour les entreprises du territoire ?

Nous allons réfléchir à une nouvelle offre, plus globale. Nous devons aussi aller un peu plus loin dans la professionnalisation du service que l'on rend. Nous élargirons notre champ de partenariats en nous ouvrant à tous les types et toutes les tailles d'entreprise. Nous devons pour cela avoir une logique collective avec les autres acteurs économiques : les services économiques de Saint-Etienne Métropole, la CCI, la Région...

Est-ce qu'une nouvelle feuille de route financière a été fixée pour résoudre les problèmes récurrents de déficit de l'établissement ?

Ce point précis n'a pour l'instant pas été signalé comme prioritaire mais je vais évidemment faire en sorte que la Cité puisse dégager plus de recettes, notamment avec cette nouvelle offre de services que je souhaite mettre en place. L'EPCC est un équipement très structurant pour le territoire, la Métropole investit donc beaucoup d'argent pour le soutenir et le développer. L'enjeu est de maintenir les subventions mais, en parallèle, de faire monter en puissance nos ressources propres.

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Le climat social au sein de la Cité n'était pas vraiment au beau fixe sous l'ère Ludovic Noel. Comment avez-vous été accueillie par le personnel?

Je pense que vous faites référence à des articles de presse publiés au moment de son départ. Je les ai lus aussi évidemment. Très honnêtement, ce n'est pas la première chose qui saute aux yeux quand on arrive ici. On ne m'a pas accueillie avec des piquets de grève ! En revanche, je sens une forte attente de la part des collaborateurs à mon égard et une envie de travailler ensemble.

Lire aussi : Saint-Étienne : Cité du design, une bombe à retardement ?

Ludovic Noël

Ludovic Noël, ancien directeur de la Cité du design

Quelle sera votre stratégie à l'international ?

Nous appartenons au réseau des villes Unesco. Il s'agit d'un atout formidable que nous exploitons mais d'une façon encore insuffisante. Cet atout doit être encore plus mis à la disposition des entreprises rhônalpines.

C'est-à-dire ?

Nous faisons de la veille et nous travaillons avec des organismes étrangers. Nous pourrions par exemple être amenés à identifier des problématiques semblables entre une entreprise partenaire française et une étrangère. Nous pourrions servir de pont et faciliter le partenariat entre les deux parties. L'objectif étant de faire profiter les entreprises du territoire de la renommée dont dispose la Cité du Design à l'échelle internationale.

Aujourd'hui, ce n'est pas forcément une évidence pour les entreprises de profiter de manière opérationnelle de notre force de frappe.

Lille a été désignée capitale mondiale du design 2020 (une distinction décernée par l'International Council of Societies of Industrial Design). Alors que Saint-Etienne s'est autoproclamée depuis longtemps capitale du design, pourquoi n'a-t-elle pas postulé à ce titre ? Avait-elle peur d'échouer ?

Si Saint-Etienne avait voulu ce label, elle aurait dû se positionner depuis longtemps, comme l'a fait Lille. En réalité, je pense que ce n'est pas utile pour nous. Saint-Etienne est intégrée au réseau des villes Unesco. Elle est, à mon sens, déjà au-delà de cette distinction. Cette distinction, c'est du un one shot. Notre ville est une capitale mondiale permanente pour le design, et non pas uniquement sur un an. Le rayonnement à l'international est donc déjà très fort et durable.

Je connais bien le dossier puisque j'arrive de cette région. Lille avait déjà candidaté une fois, puis elle est venue s'inspirer à Saint-Etienne. C'est de bonne guerre, je ne peux que lui souhaiter une pleine réussite.

Quelle est votre vision de la prochaine Biennale ?

C'est trop tôt pour vous en parler, je n'ai pas encore pu travailler sur ce dossier.

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