La culture face à la crise (2/3) : les aides seront-elles à la hauteur des attentes ?

ENQUÊTE - ÉPISODE 2/3. Cette semaine, La Tribune Auvergne Rhône-Alpes s'intéresse de plus près à la manière dont le secteur culturel fait face à la crise. Etat et collectivités locales ont annoncé une succession d’aides aux acteurs du spectacle vivant. Ces dispositifs, parfois gérés par des opérateurs tiers (DRAC, Centres nationaux de la musique, du cinéma, etc) seront-ils pour autant suffisants et bien orientés pour répondre aux défis de ce secteur, particulièrement morcelé ?
La filière culturelle, qui emploie près de 20.000 personnes à l'échelle de la métropole de Lyon, devrait voir son chiffre d'affaires baisser de 25 % en moyenne 2020 à cause de la crise sanitaire, et même de -72 % pour le secteur du spectacle vivant.
La filière culturelle, qui emploie près de 20.000 personnes à l'échelle de la métropole de Lyon, devrait voir son chiffre d'affaires baisser de 25 % en moyenne 2020 à cause de la crise sanitaire, et même de -72 % pour le secteur du spectacle vivant. (Crédits : DR/ Philippe Sassolas)

> VOIR L'épisode 1 : Face à la crise, le spectacle vivant retient son souffle

« Aujourd'hui, la question que tout le monde se pose, c'est : comment se relever de la situation actuelle », résume Thierry Bordereau, représentant du Syndeac, le syndicat des acteurs publics du spectacle vivant, qui regroupe une cinquantaine de lieux et d'équipes artistiques de la filière.

Si cette situation « hors cadre » touche plus particulièrement les acteurs du spectacle vivant, c'est aussi parce que leur modèle économique s'appuie sur différents piliers : « Certains acteurs identifiés comme exerçant des missions de service public reçoivent de l'argent public pour développer leurs spectacles, tandis que d'autres ont développé des modèles axés davantage sur la vente de leurs créations à travers des cessions à des partenaires. On voit aussi des acteurs qui mènent des actions d'éducation culturelle et artistique au sein des écoles par exemple, et une partie d'entre eux qui mixent plusieurs de ces modèles », traduit Jeanne Guillon, la déléguée régionale du Synavi (Syndicat National des Arts Vivants. Sans surprise, les acteurs qui s'en tirent le mieux demeureraient pour l'heure ceux qui ont choisi de s'appuyer sur un modèle « mixte », associant de l'autoproduction, des contrats de cession de spectacles, et des subventions.

A une exception près tout de même : alors que la Ville de Lyon a mené une première évaluation de la situation, son constat s'avère particulièrement alarmant : la filière culturelle, qui emploie près de 20.000 personnes à l'échelle de la métropole de Lyon, devrait voir son chiffre d'affaires baisser de 25% en moyenne 2020 à cause de la crise sanitaire, et même de -72% pour le secteur du spectacle vivant, en raison notamment des fermetures de lieux imposées.

« La billetterie, qui reste souvent l'une des principales ressources des professionnels de ce secteur, a été fortement touchée à nouveau », rappelle l'adjointe à la culture de la Ville de Lyon, Nathalie Perrin-Gilbert. C'est pourquoi la municipalité EELV a annoncé un large plan d'aides aux acteurs culturels établi sur son périmètre, de près de 4 millions d'euros lors du premier confinement, et qui visait principalement à accorder des aides d'urgence.

Et d'après les derniers chiffres, 182 structures, 97 artistes et deux établissements (auditorium et théâtre) ont ainsi pu être accompagnés à compter du mois d'octobre, pour un montant de 2,9 millions d'euros. «Les acteurs culturels nous ont fait remonter que leur plus grand défi serait déjà de parvenir à passer l'année », confie Nathalie Perrin-Gilbert.

Et pour couvrir les effets induits par ce second confinement, la ville compte utiliser les 1 million d'euros restants pour distribuer 500.000 euros de commandes publiques à des artistes, afin de les accompagner à la relance de leur activité, tout en allouant à nouveau 500.000 euros d'aides au cas par cas, « pour pallier aux urgences induites par ce second confinement ».

Différents dispositifs mis en place à l'échelon local

Du côté de la région Auvergne Rhône-Alpes, un large plan de relance de 32 millions d'euros a été acté, comprenant un fonds régional d'urgence culture de 15 millions d'euros, pensé pour se substituer au remboursement du capital des emprunts, dans la limite de 5.000 euros par bénéficiaire. Il est couplé à différentes mesures dont le maintien des subventions aux événements annulés, ou encore la création d'un fonds régional de prêt destiné aux micro-entreprises et associations.

« Nous avons fait un état des lieux avec une quinzaine de syndicats du spectacle vivant, afin de savoir de quelle façon accompagner cette nouvelle étape de reconfinement. Ce qui a été le plus difficile pour les acteurs culturels, c'est d'être en constante réadaptation au fur et à mesure des dispositions sanitaires », observait Florence Verney-Carron, vice-présidente à la culture de la région Auvergne Rhône-Alpes.

Culture spectacle vivant 4 danse

Ainsi, pour le premier fonds d'urgence dédié aux acteurs culturels et mis en place au printemps dernier par la Région, Florence Verney-Caron affirmait avoir reçu près de 900 dossiers, « toutes esthétiques confondues », pour une enveloppe de près de 4 millions d'euros est distribués. « Certains dossiers seront encore validés jusqu'à la fin décembre, lors de notre dernière commission permanente. Nous allons probablement réfléchir, en lien avec le budget 2021, afin de savoir si l'on isole à nouveau un fond d'urgence correspondant au secteur culturel, mais avec des critères plus souples visant à accompagner un grand nombre de projets », dévoilait la vice-présidente à la Culture, qui constate que l'annonce du reconfinement s'était avérée brutale également pour les collectivités.

Pour compléter le tableau régional, la direction de la DRAC Auvergne-Rhône-Alpes affirmait que des aides de fonctionnement ont également versées, au cas par cas, à des structures et des compagnies dans le besoin au fil de la crise, sans pour autant préciser de chiffre à ce stade. « C'est quelque chose que nous continuerons à faire à chaque fois que cela sera nécessaire », s'est engagé son directeur régional Marc Drouet, précisant qu'il était toutefois trop tôt pour établir de bilan chiffré à ce stade.

Une "territorialisation" des aides à instaurer

« De telles initiatives permettent de faire circuler de l'argent dans le secteur et de pour re-remplir les trésoreries », concède Thierry Bordereau. Deux questions se posent néanmoins à ce stade, alors qu'une partie des aides promises par le gouvernement - à hauteur de 2,9 milliards d'euros sous différentes formes (activité partielle, fonds de solidarité, prêts garantis par l'Etat, exonérations de charges) se font encore attendre : comment seront mis en œuvre ces différents plans, et surtout, existe-t-il des « trous dans la raquette » face à un secteur culturel déjà particulièrement morcelé ?

Avec un premier enjeu de coordination des financements, dont le schéma de distribution se base sur l'organisation de la filière, comme le rappelle Marc Drouet : « la particularité de la culture est qui s'agit d'une compétence partagée, pas uniquement par l'État mais aussi par des opérateurs spécialisés (Centre National du Cinéma, Centre National de la Musique, Centres des Monuments Historiques, etc), par la DRAC et par les collectivités territoriales. Chacun finance en fonction de ses compétences un pan de ce secteur, qui contribue tout de même à 47 milliards d'euros au niveau national au PIB français ».

Il rappelle à ce titre qu'en plus des aides d'urgences, ce sont près de 1,9 milliard d'euros d'investissements qui ont également été annoncés dans le cadre du plan de relance, à destination de la Culture. « A l'intérieur, des opérations seront portées par la DRAC ainsi que d'autres centrales et opérateurs dont les modalités ne sont pas encore toutes connues, mais devraient s'échelonner de 2021 à 2023 ».

Selon lui, onze projets seraient ainsi actuellement à l'étude dans le cadre de ce plan de relance au sein de la région AuRA, pour une première enveloppe de 6 millions d'euros. « Nous irons plus loin », s'engage Marc Drouet. Car si ce volet dédié à la relance n'est pas là pour répondre à l'urgence sociale, « il doit cependant permettre à des secteurs touchés par la crise de relancer leur activité générale », note-t-il.

Pour autant, la situation sur le terrain fait état de grandes disparités. « L'une des première difficultés, c'est que dans le cadre des politiques publiques traditionnelles, on connaît bien les modalités d'attribution des subventions. Mais dans le cas du Covid, nous sommes complètement hors cadre », note le représentant du Syndicat des entreprises artistiques et culturelles (Syndaec). Et d'ajouter : « Il serait par exemple plus simple de dire que l'on compense les pertes de billetterie des lieux, ce qui est en effet une mesure importante, mais cela exclut par exemple les TPE artistiques des plans de soutien ».

Des nouveaux critères à inventer

« Dans le milieu du jazz par exemple, il existe aussi de petits clubs, dont une partie des ressources proviennent non pas de la billetterie, mais des activités de bar et restauration. Or, les mesures de compensation de la billetterie ne prennent pas en compte ce volet », résume Bernard Descotes, le président sortant de Jazz(s)RA, une plateforme qui regroupe plus de 130 artistes, structures de diffusion, production, et enseignement.

La situation serait également complexe pour les producteurs de jazz, dont une partie des revenus issus des tournées ne permettraient pas de prétendre aux aides aux TPE.

Même chose pour Jeanne Guillon, déléguée régionale du Synavi (Syndicat National des Arts Vivants), qui remarque que certains professionnels pratiquant de l'autoproduction ou des missions éducatives sont passés au travers du système d'aides, faute d'accès à certains justificatifs demandés. « Beaucoup ont aussi renoncé à demander par manque d'informations ou en raison de la charge de travail que cela représente ».

Ainsi, face à la difficulté de repérer et identifier l'ensemble des professionnels, les associations sectorielles se sont rapprochées des collectivités pour tenter de faire émerger les besoins qui remontent du terrain, mais aussi de nouvelles modalités d'accompagnement, qui demeurent à inventer.

« Les modes de financement actuels ainsi que leur critérisation ne sont plus adaptées au monde d'aujourd'hui. Car si l'on veut pouvoir déposer une demande de subventions pour un festival se tenant au printemps prochain, on a besoin d'aides qui doivent pouvoir s'adapter au contexte», explique Bernard Descotes.

Alors qu'auparavant, une compagnie conventionnée par un partenaire public devait s'engager, en échange de cette subvention, à effectuer un certain nombre de représentations ou à attirer un certain nombre de public en salle, « aujourd'hui, c'est tout simplement rendu impossible par le Covid, dans une situation au mieux, on ne peut pas remplir les salles », avance Thierry Bordereau.

Une occasion de rebâtir un dialogue

Les acteurs du spectacle vivant estiment donc que cette crise pourrait être l'occasion de bâtir un nouveau dialogue avec leurs partenaires, et défendent pour cela la création d'une plateforme de concertation régionale plus institutionnalisée, en vue de représenter l'ensemble des acteurs du champs culturel régional. En d'autres mots, « porter la concertation au cœur de millefeuille territorial » .

« Ce qui nous fait défaut actuellement est d'avoir une instance de dialogue pérenne, avec un ensemble d'outils et des réunions plus régulières. Nous aurions par exemple besoin d'avoir aussi un interlocuteur direct au sein des préfectures, qui sont chargées d'appliquer les décisions de l'État au niveau des départements», illustre Bernard Descotes.

Car bien qu'une quinzaine de partenaires culturels se rassemblent déjà, de fait, sous l'égide d'une « plateforme » pour dialoguer avec les collectivités, celle-ci n'a actuellement pas de forme juridique, ni de fonctionnement pré-établi, comme pouvaient l'être les Conférences territoriales pour la culture, mises en place dans certaines régions sur proposition de l'ex-Ministre de la culture, Franck Riester, ou encore les Comités Régionaux des Professions du Spectacle (Coreps), existants par exemple en Occitanie.

Les acteurs culturels souhaitent donc en profiter pour passer d'un mode d'échange volontaire et informel, à une plateforme plus structurée à l'avenir.

Avec, comme autre sujet de préoccupation, la période budgétaire qui s'annonce, dans laquelle les collectivités s'apprêteront bientôt à définir les grandes lignes de leurs investissements et dépenses pour 2021.

Les acteurs culturels craignent qu'à cette occasion, les collectivités ne se retrouvent elles aussi affectées par les baisses de recettes enregistrées durant cette crise, et n'en profitent pour abandonner le volet de l'action culturelle en vue de se recentrer sur des missions qu'elles estimeraient plus prioritaires.

A Lyon, l'adjointe à la Culture Nathalie Perrin-Gilbert souhaite déjà rassurer les acteurs de son territoire : « le maire de Lyon Grégory Doucet s'y est engagé, la culture ne sera pas une variable d'ajustement pour 2021 », rappelant que son budget annuel demeurera de 105 millions d'euros.

Et ce, malgré des baisses de recettes enregistrées cette année en raison de chutes de la billetterie de certains établissements municipaux comme les musées, ou encore d'exonération de loyers, consentis à certains acteurs culturels pour leur permettre de traverser cette mauvaise passe.

« Il faudra cependant éviter que certaines zones du territoire se retrouvent en retrait dans ce domaine », ajoute Thierry Bordereau, en référence aux communes rurales. Comme certains de ces confrères, il rappelle que cette crise ne pourra se résorber « sans que l'on ne bâtisse des plans d'interventions pluriannuels, en lien avec les collectivités qui sont nos partenaires, en se donnant les moyens d'un amortissement sur le long terme ».

> VOIR L'épisode 3 : La culture face à la crise : les raisons d'espérer et de se réinventer

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Commentaires 2
à écrit le 25/12/2020 à 19:39
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y a pas assez d'argent pour la culture! mon beau frere, qui travaille genereusement 510 heures par an, est indigne du fait qu'il ne puisse plus se produire, le risque etant que quand l'economie reparte, il y aura plein d'animations qui n'auront plus...

à écrit le 02/12/2020 à 8:30
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Dans tous les cas de figure il serait très interessant de connaitre les budgets alloués mais détaillés pour savoir quels sont les gens qui profiteront le plus de ces aides.

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