Archéologie : Lyon, la nouvelle Rome ?

Les découvertes s'amoncellent depuis des décennies et permettent de mieux comprendre l'origine de Lugdunum et plus largement de l'époque romaine. Néanmoins, si Lyon est élevée au rang des grands sites archéologiques par quelques aficionados, peut-elle être considérée véritablement comme une grande ville de l'archéologie mondiale à l'image de Rome ? Pas tout à fait encore même si elle regorge de prestigieux vestiges et accueille chercheurs et étudiants du monde entier.
(Crédits : Laurent Cerino)

"Parc Saint-Antoine. D'ici 2020, la place d'Albon sera entièrement réaménagée. Dans le cadre du projet Rives de Saône." Lyonnais et touristes peuvent lire tout un monde de panneaux informatifs dressés entre la patrimoniale et imposante église Saint-Nizier, la jadis galante et aujourd'hui gastronomique rue Mercière et les quais de Saône, avec vue sur le tout aussi patrimonial et touristique quartier du Vieux-Lyon, dominé par la colline de Fourvière, basilique à l'appui. Point de départ de tout cela : un nouveau volet du vaste projet lancé en 2002 par le Grand Lyon (aujourd'hui devenu Métropole), visant à rendre la rive de la rivière lyonnaise à ses habitants. Composante d'importance de l'opération : le forage d'un nouveau parc souterrain, avec un parking de 800 places, remplaçant l'actuel.

Un chantier déclenchant comme souvent en terre lyonnaise une action préalable d'archéologie préventive. Un genre d'opération menée dans le but de préserver et d'étudier les éléments significatifs du patrimoine local, menacés par les travaux d'aménagement au sein de tout un ensemble de composantes, des fouilles préventives aux mesures de sauvetage. Un travail de mémoire du sol que la multiplication des grands travaux d'aménagement du territoire et de constructions alors lancés a évidemment stimulé.

L'expression "archéologie préventive" aurait d'ailleurs été employée pour la première fois ici en 1979 par Jacques Lasfargues, alors conservateur des musées archéologiques de Lyon et de Saint-Romain-en-Gal (Isère).

"Lyon n'a pas de grande particularité, car la taille de la ville antique est un cran en dessous de certaines villes européennes comme Rome, souligne Luc Françoise dit Miret, ingénieur au service régional d'archéologie de la Direction régionale des affaires culturelles Auvergne-Rhône-Alpes, responsable de Lyon. Néanmoins, elle fait partie des premières villes en France à avoir développé l'archéologie de sauvetage, aujourd'hui appelée préventive. Ce qui en fait une spécificité symbolique."

En 1986, un décret a d'ailleurs généralisé la réalisation des fouilles préventives avant tout travail constructif.

C'est la raison pour laquelle la Ville s'est rapidement « armée » d'un service actif spécialisé. En 1933, alors que le maire de l'époque, Édouard Herriot, est intéressé par ces découvertes, la cité lance sur un pan de la colline de Fourvière le dégagement des vestiges de ce que d'aucuns croient être le recherché amphithéâtre romain où furent suppliciés les premiers chrétiens en l'an 177. Mais qui se révéleront être finalement le diptyque théâtre-odéon antique, où a lieu chaque été le festival des Nuits de Fourvière.

Un atelier de fouilles est alors constitué, sous forme d'une équipe de 27 chômeurs engagés en qualité d'ouvriers, œuvrant sous la houlette de l'archéologue Pierre Wuilleumier. Ces premières recherches s'accompagnent de la création, deux ans plus tard, d'un atelier municipal de fouilles archéologiques qui devient le premier service archéologique de collectivité territoriale en France.

Un site de choix

Les villes se sont renouvelées au fil des siècles en s'édifiant sur leurs propres ruines et les fouilles archéologiques dévoilent les occupations successives d'une strate à l'autre, d'un quartier à l'autre, de l'Antiquité à notre siècle. Dans cet univers tout terrain, la ville de Lyon occupe une place de choix, depuis sa fondation en 43 av. J.-C. comme colonie de droit romain baptisée Lugdunum et installée avant tout sur la colline de Fourvière, d'ailleurs préalablement occupée par un site gaulois... comme l'ont confirmé de récentes fouilles. De quoi alimenter les débats entre experts.

"À l'image de Marseille, Lyon intéresse fortement la communauté spécialisée de l'Empire romain, puisqu'il s'agit d'un site sur lequel on a vécu depuis tout temps. Ce n'est pas qu'une petite capitale régionale", explique Franck Perrin, maître de conférences en protohistoire et en archéologie celtique à l'université Lyon 2.

Les chantiers se suivent donc intensément, d'autant plus qu'une loi de 1941 intègre la première protection spécifique au patrimoine archéologique et soumet dès lors les recherches archéologiques au contrôle de l'État.

archéologie

Découverte en 2006, dans le quartier de Vaise, d'une chambre funéraire.

Pour sa part, la paix revenue, la ville de Lyon étend sa politique archéologique au-delà du seul dégagement de ses monuments. Les grands travaux d'aménagement urbain et l'explosion immobilière engagés depuis les années 1960-1970 amènent à une prise de conscience des "risques patrimoniaux". Des zones archéologiques sensibles sont alors annexées dans le Plan d'occupation des sols (devenu Plan local d'urbanisme).

Des fouilles encore et encore

En concertation avec les services de l'État, la Ville crée une politique de sauvegarde du patrimoine, les missions du service sont redéfinies et son équipe se professionnalise. L'atelier des fouilles prend l'appellation de service archéologique, rattaché à la direction des affaires culturelles.

Il est soumis au contrôle scientifique et technique de l'État et est chargé, en collaboration avec les services compétents de l'État via la Drac, de la détection, la conservation et la sauvegarde du patrimoine archéologique de la ville, mission qui se décline en plusieurs volets comme les opérations archéologiques (archéologie préventive, archéologie programmée, découvertes fortuites), allant des études scientifiques aux interventions sur le terrain.

En 1991, nouveau changement : le département du Rhône s'octroie les sites archéologiques et le musée gallo-romain. La Ville conserve le service, mais procède à une refonte complète de l'organisation municipale de la structure, débouchant sur l'actuel Service archéologique de la ville de Lyon (SAVL), travaillant en liaison avec le Pôle éducatif local, la Maison de l'Orient et de la Méditerranée, etc.
Il regroupe aujourd'hui 52 agents, permanents (pour une moitié d'entre eux) ou contractuels (recrutés pour les besoins temporaires d'une mission ou d'un chantier). À leur tête : Anne Pariente.

"Sur les trois dernières années, le service a réalisé entre quatre et douze diagnostics annuels. Ainsi qu'entre six et neuf fouilles, dont quatre suivies de travaux", précise-t-elle. Et encore, il ne s'agit que des opérations du service municipal, les prescriptions du service régional de l'archéologie sont "plus nombreuses". "On peut d'ailleurs espérer des découvertes tous les mois, soutient Franck Perrin. Le plateau de la Croix-Rousse sera le sujet à venir après celui de Vaise."

Lire aussi : Les aventures archéologiques d'Anne Pariente

Rôle sociétal

Chaque chantier apporte dès lors sa contribution à de plus amples connaissances sur le "matelas historique" du passé lyonnais mais pas que. Nombreux sont les étudiants et chercheurs à avoir fait de Lyon leur objet de recherches afin de mieux comprendre l'époque romaine. Depuis quelques années, l'immense et diversifié chantier de l'ancien Hôtel-Dieu du bord de Rhône s'est imposé en première ligne dans un domaine bien particulier : celui des nombreux squelettes enterrés là du XIVe au XVIIIe siècle. L'étude a montré, matériels et traces à l'appui, que les catholiques y voisinaient avec des protestants et des juifs.

"Une véritable expérience humaine sachant l'importance de ces découvertes funéraires liées au rapport des diverses sociétés avec la mort et le respect du corps comme du squelette. Un rôle sociétal qui est toujours celui de notre monde, laïc ou religieux", analyse Anne Pariente.

"De plus, dans un monde instable et incertain, il est rassurant de se plonger dans les racines, donnant les moyens d'aller de l'avant et de se projeter dans le futur. C'est tout l'intérêt de l'archéologie", pense Franck Martin.

Ces découvertes peuvent aussi apporter quelques données essentielles, notamment pour les architectes actuels. "Les matériaux référencés donnent des clés pour comprendre les pratiques et les techniques utilisées et peuvent leur redonner des idées dans la conception de leur bâtiment", reconnaît Luc Françoise dit Miret.

Des découvertes ouvrant d'autres dossiers qu'elles vont contribuer à mieux connaître dans le futur ?

"Les exemples sont divers et variés, en particulier sur le chantier du quai Saint-Antoine. Par les nouveaux éléments mis au jour, nous avons redécouvert des entrées extérieures, côté rivière, qui permettaient de pénétrer directement dans les caves des habitants du bord de l'eau. La lecture des encrages a déjà pu déterminer que l'on faisait entrer par là du vin. Du vin entrant par l'eau, en quelque sorte ! ", évoque Anne Pariente.

Grâce à ce travail, cette reconnaissance et ces centaines de découvertes, Lyon peut-elle être ainsi considérée comme un grand site de l'archéologie mondiale ? Pas tout à fait. Un site pour mieux comprendre les villes urbaines à l'époque romaine certainement "mais il manque un élément pour affirmer que Lyon ressemble à Rome : nous n'avons pas encore découvert de nécropole", estime Franck Martin, confiant sur une telle découverte qui pourrait survenir un jour.

Si tel est le cas, la capitale d'Auvergne-Rhône-Alpes "occupera alors un rôle beaucoup plus important sur la scène internationale" et pas seulement auprès de la communauté mais plus largement auprès de celle du grand public.

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