Pôles de compétitivité : l’inquiétude se profile

Avec le changement de majorité, les questions qui agitent la politique des pôles depuis leur création sont plus vives que jamais. Combien de pôles méritent pleinement l’effort public porté sur eux ? Et au sein des pouvoirs publics, quel rôle l’Etat pourra-t-il continuer d’exercer dans cette politique ? Avec dix pôles, c’est l’un des principaux piliers de l’innovation en Rhône-Alpes qui risque d’être remis en question.
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Coup de fil au seizième étage de la Tour Swiss Life, au coeur du quartier de la Part-Dieu. "Il te manque 327 000 euros? T'inquiète pas, je pense que ce projet là va passer. On va trouver une solution". Le jeune homme raccroche. 28 ans tout au plus, bosseur et rapide : ENS Cachan, Corps des Mines. C'est son premier poste. Simon Ulmer coordonne pour le compte de l'Etat l'ensemble des neuf pôles de compétitivité de Rhône-Alpes, ainsi que le pôle Viaméca dont le siège est à Saint-Etienne mais les équipes installées à Clermont-Ferrand (voir carte page 25). Pour l'heure, il peut encore répondre favorablement à son interlocuteur.
Mais à moyen terme, les certitudes s'estompent. Face à lui : un imposant tableau croisé dynamique récapitulant l'ensemble des projets de la région retenus dans le cadre du dernier appel à projets, et la totalité des financeurs : entreprises, Etat et collectivités territoriales. A lui de mettre de l'huile dans les rouages, et de s'assurer que chaque porteur de projet bouclera son budget. "C'est un jeu d'acteurs compliqué, reconnaît-il. Il faut du doigté". 1,3 milliard d'euros ont été investis par l'Etat au titre du FUI (Fonds unique interministériel) depuis le lancement des pôles en 2005, soit l'équivalent d'un millier de projets soutenus. Bien que cette politique ait été mise en place par un gouvernement de droite, la plupart des collectivités territoriales de gauche ont joué le jeu : en Rhône-Alpes 14,543 millions d'euros ont été investis par le Conseil régional au titre des pôles de compétitivité sur l'exercice 2011, 4,881 millions d'euros par la Métro (communauté d'agglomération Grenoble-Alpes métropole), 3,5 millions d'euros par le Grand Lyon.

 

Manque de visibilité

 

Mais quatre mois après le changement de présidence, l'inquiétude est palpable. Le rapport d'évaluation rédigé par un consortium de cabinets indépendants (Erdyn, Technopolis et Bearing Point) et remis cet été au gouvernement a beau avoir dressé un tableau très positif des pôles rhônalpins (sept sont jugés "très performants" et trois sont qualifiés de "performants"), la question se lit sur toutes les lèvres : la magie des pôles perdurera-t-elle ? En ligne de mire : un manque de signaux forts de l'Etat en faveur des pôles de compétitivité. "Nous subissons un contexte de flottement, regrette un responsable d'équipe d'animation. Il nous est sans cesse demandé de produire des études, des rapports,

 

des feuilles de route méthodologiques, mais sans qu'aucune direction stratégique ne nous soit communiquée". La principale interrogation des pôles porte sur la pérennité du FUI, la cagnotte qui finance les projets de R&D. Ce dernier vient s'additionner aux investissements d'avenir, aux aides d'Oseo et à celles de l'Agence nationale de la recherche (ANR) : une multiplication des dispositifs d'aides publiques à l'innovation qui a poussé plusieurs parlementaires à dénoncer un "mille-feuille de l'innovation". L'avenir du FUI est-t-il remis en question ? "[Cette question] n'est pas tranchée, déclarait fin août Geneviève Fioraso à nos confrères de L'Usine nouvelle. C'est quelque chose qui se regarde en ce moment". Le gouvernement a en effet indiqué vouloir reposer sur la table les grands principes de contractualisation entre les pôles et les pouvoirs publics. Les caisses de l'Etat sont vides, et le maintien des investissements à volume constant n'est rien moins qu'acquis, notamment pour les pôles jugés moins performants - une sanction qui ne concerne aucun des pôles pour lesquels le préfet de Rhône-Alpes est le chef de file.
Jusqu'en novembre, le calendrier officiel est celui de la concertation. Mais mi-septembre, le dialogue entre les différents acteurs ne semblait pas réellement établi. La DGCIS aurait ouvert une boîte mail, pour faire remonter les propositions d'orientation stratégique de la phase 3. Au sein des pôles, on évoque bien plus un climat "d'attentisme" qu'une réelle concertation. A la Direccte, Simon Ulmer reconnaît que la période est délicate: "Les pôles attendent les grandes orientations de l'Etat, et les objectifs d'atteindre 50 % de financement pour les équipes d'animation créent une certaine pression pour plusieurs d'entre eux".

 

Quelle légitimité ?

 

Est-ce la légitimité des pôles qui est remise en cause ? Officiellement, rares sont les critiques qui pointent à cet égard. Du côté des pouvoirs publics comme des équipes d'animation, on défend "une dynamique qui marche", un équilibre financier "satisfaisant", et un attachement viscéral à la continuité du FUI. "Les gens nous le disent : ils nous voient comme une équipe jeune, très engagée, sur le terrain et proche des entreprises", rapporte Isabelle Scarabin, directeur des relations économiques et internationales de Lyonbiopôle. "Nous nous félicitons que le rapport ait validé l'efficacité des pôles, et montré l'importance de la R&D collaborative", note quant à lui Jean Chabbal, délégué général de Minalogic. Chez Techtera (textiles et matériaux souples) et Plastipolis, on évoque une "culture PME/PMI" : "Nous nous entendons bien avec les gens qui sont dans une logique de prise de risque, entrepreneuriale", explique Patrick Vuillermoz, directeur général de Plastipolis. "D'une manière générale, les pôles sont des organisations qui fonctionnent bien par rapport à d'autres structures plus institutionnelles. Nous avons peu de moyens mais nous sommes libres d'orienter notre stratégie comme nous l'entendons".
Autre argument en faveur des pôles : ces derniers s'imposeraient comme des interlocuteurs uniques dans le dédale des dispositifs en faveur de l'innovation. Face à la multiplicité des structures, le pôle est perçu comme l'interlocuteur qui fait l'effort d'orienter les entreprises vers les dispositifs les plus adaptés. Les directeurs de pôles insistent également sur un attachement viscéral à leur indépendance vis-à-vis de tout corporatisme. Autre gage de qualité, Techtera a obtenu la certification ISO 9001. "80 % des projets que nous labellisons sont portés par des PME. Nous passons beaucoup de temps à accompagner les dirigeants pour structurer le projet, faire sauter les verrous et identifier les bons partenaires. Mais au final, 54 % des projets labellisés décrochent un financement, ce qui est un très bon taux", explique Corinne Farace, déléguée générale de Techtera. "Les pôles ont permis d'instaurer un climat de confiance, qui est la condition de réussite des projets collaboratifs. Nous participons à l'évolution des mentalités sur ces sujets", complète quant à lui Pierre-Henri Bigeard, président d'Axelera.

 

Qui financera les pôles demain ?

 

Mais une petite bombe figure en fin du rapport d'évaluation: le consortium questionne la capacité des pôles à mesurer avec précision leurs retombées technologiques et économiques. "Les pôles sont très tournés vers les projets de R&D. Il faut compléter la chaîne de valeur, développer les liens avec les clusters, faciliter la mise en relation des PME avec les grands groupes. La finalité des pôles n'est pas uniquement de monter des projets de R&D, mais de créer de l'activité", estime Michel Lacave, du cabinet Technopolis. Sur les 2 500 projets d'innovations initiés par les pôles entre 2008 et 2011, seuls 977 brevets ont été déposés, selon l'enquête du consortium, et 93 start-up créées. Un sujet sensible pour les pôles. "Il est difficile d'évaluer objectivement le volume de créations d'emplois, admet Hugues Verdier, responsable de l'activité secteur public chez Bearing Point. Cela a donné lieu à de nombreuses discussions au sein du comité de pilotage". Du côté des pôles, on nuance cette carence statistique en rappelant la longueur des temps de mise sur le marché : "Le développement d'un projet d'innovation dure en moyenne quatre ans, les premiers projets sont arrivés à maturité en 2010, c'est la raison pour laquelle nous n'avons pas encore de donnée statistique", explique Pierre Juliet, délégué général de Tenerrdis.

 

Des catégories obsolètes

 

Le rapport pointe également une classification obsolète des pôles Depuis 2005, ces derniers sont classés en trois catégories : mondiale, à vocation mondiale et nationale. "Ce classement n'est accompagné d'aucune contrepartie, ni de critères de sélection transparents", analyse Florian du Conseil régional délégué au développement économique. "La Région n'a pas pour mission de compenser le désengagement de l'Etat". Si ce dernier scénario est loin de faire l'unanimité, la majorité des pôles s'accorde sur la nécessité de voir évoluer un classement jugé aujourd'hui sans fondement. "Les Français ont décrété qu'il y avait des pôles mondiaux. Mais certains ne méritent pas leur titre, avance Patrick Vuillermoz. Par ailleurs, se présenter dans un meeting international comme un pôle mondial est grotesque : les bons clusters ne s'affichent pas comme cela". Chez Lyonbiopôle non plus, le scénario ne séduit pas. Pour Isabelle Scarabin, une des décisions importantes espérées est l'annonce du maintien du FUI pour la prochaine phase : "Pérenniser le FUI sur les trois prochaines années, voilà qui serait un signal fort. Si l'Etat se retire des pôles nationaux, les collectivités se désengageront des pôles internationaux, car les budgets ne pourront pas extensibles, et in fine tout le monde y perdra. A un moment donné, l'Etat devra prendre une décision. Nous ne pourrons pas faire tourner 71 pôles avec la moitié du FUI".

 

 

Pas de pôle énergie de niveau mondial

 

Sur les cinq pôles de compétitivité français dédiés à l'énergie, aucun ne se classe au rang international. Faut-il y voir le signe d'un retard de la France dans ce secteur régalien par excellence ? Tenerrdis, qui vient d'être récompensé de la mention "pôle très performant", compte bien faire valoir sa dimension internationale auprès de l'Etat. "Passer en pôle à vocation mondiale ? C'est plus qu'une idée que nous avons derrière la tête, reconnaît Pierre Juliet, délégué général de la structure. Plusieurs grands laboratoires américains sont venus nous chercher cette année, et nous avons rejoint en 2011 le cercle des happy few de l'International Cleantech Network, ce qui nous permet de proposer à nos adhérents de nombreux contacts au niveau international."

 

 

 



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