Famille Verney-Carron : amour, gloire et business

Jean, Guillaume, Pierre, Jo, Florence, Archibald, Boniface, Richard, Estelle, Marie-Sophie... Ils portent tous le même nom, Verney-Carron, mais œuvrent dans des secteurs diamétralement opposés. Du côté de la Loire, la dernière génération de fabricants d'armes. De l'autre côté du Rhône, un nom connu des amateurs d'art contemporain, et des milieux politiques et culturels locaux. Mais qui sont les Verney-Carron ? Quels sont leurs liens ? Portrait d'une famille devenue incontournable, qui a su puissamment tisser son réseau entre Lyon et Saint-Étienne, et l'exporter au-delà.
La famille Verney-Carron lors d'une cousinade.
La famille Verney-Carron lors d'une cousinade. (Crédits : DR)

"Quel chasseur ne connaît pas la marque Verney-Carron ? C'est un vrai symbole pour nous, chasseurs." Luc Alphand, plus célèbre pour ses exploits sportifs que pour sa passion pour la carabine, est intarissable sur le sujet. Il est l'égérie de la ligne de vêtements développée par la PME stéphanoise. Marque iconique des chasseurs, comment cette entreprise familiale a-t-elle réussi à survivre à la disparition de la plupart de ses concurrents ? "Dans la famille, il n'y a jamais eu de génie." Jean Verney-Carron, 48 ans, président du directoire de l'entreprise stéphanoise éponyme, répond en reprenant la phrase fétiche de son père, Claude, décédé l'année dernière à l'âge de 91 ans alors qu'il était encore président du conseil de surveillance. Ce dernier justifiait ainsi la longévité de cette PME familiale vieille de près de 200 ans. "Aucun père n'a écrasé son fils, chacun a tracé sa voie et l'entreprise a pu perdurer."

Avec un chiffre d'affaires de 16,3 millions d'euros pour 90 salariés (un million d'euros de résultat net) en 2017, la PME est effectivement toujours debout, et bien vaillante.

"Nous avons survécu parce que nous avons su gérer nos affaires. Les transmissions entre générations ont toujours été bien maîtrisées", raconte Pierre Verney-Carron, 75 ans, directeur technique puis PDG de l'entreprise.

Il préside le conseil de surveillance depuis la disparition de son frère Claude mais s'est désormais retiré de l'opérationnel.

"Il n'y a pas eu de crise entre les frères, les cousins aux manettes et ceux qui restaient au second plan. C'est suffisamment rare pour être admirable", confirme André Mounier. L'ex-président de la chambre de commerce et d'industrie de Saint-Étienne a côtoyé Pierre Verney-Carron pendant plus de dix ans à la CCI, lorsque celui-ci supervisait le Banc national d'épreuve des armes. "Nous avons toujours fait entrer seulement les membres de la famille qui en avaient les compétences", affirme Pierre Verney-Carron, pour justifier encore la longévité de l'entreprise. Les compétences, certes, mais aussi, malgré tout, une tradition ancrée depuis la création en 1820 : c'est toujours le fils aîné qui est appelé à prendre les rênes.

Verney Carron

Pierre, Jean et Guillaume Verney-Carron.

Cette tradition est doublée de celle d'une transmission des prénoms, de père en fils aîné. Aujourd'hui, le président est donc le 3e Jean de la lignée, fils du 3e Claude. Il est épaulé par son cousin Guillaume Verney-Carron, fils de Pierre. D'abord chargé de l'export, le quadragénaire occupe depuis deux ans la direction générale de l'entreprise. Un souffle nouveau qui semble aujourd'hui réveiller cette vieille entreprise stéphanoise.

Avoir les mains libres

Verney-Carron a réalisé une année "exceptionnelle" en 2017. Grâce notamment au développement de l'export, au renouvellement de la gamme avec l'introduction du design ainsi qu'à la croissance du département "Security" autour du Flash-Ball, cette arme de défense non létale commercialisée depuis 1990. "La stratégie est de nous développer via l'innovation", insiste Guillaume.

"Nous percevons un vrai renouvellement. Les deux dirigeants actuellement aux manettes ont fait entrer la modernité dans l'entreprise", soufflent dans l'ombre, et en substance, plusieurs patrons stéphanois.

Probablement bridés par leurs aînés, englués dans un fonctionnement devenu immuable, les deux cousins ont dû attendre leur heure. "Il était difficile de faire bouger les lignes", expliquent-ils. Ils ont désormais les mains libres pour bousculer cette entreprise devenue une institution.

Une bousculade en douceur qui s'opère sur l'ensemble des aspects opérationnels de la PME, accompagnée par un redéploiement des réseaux. Le contact facile - il a d'ailleurs épousé une professionnelle de l'événementiel (Estelle Verney-Carron) -, Guillaume Verney-Carron s'occupe de la représentation : à lui la vice-présidence du cluster Eden (Défense), il est aussi membre du CJD, conseiller du commerce extérieur (CCE) et membre associé de la CCI métropolitaine. Son cousin président, Jean, abandonne quant à lui volontiers cette mission : "Je n'aime pas les mondanités... " À tel point d'ailleurs que même les journalistes se trompent parfois sur le nom du président de Verney-Carron.

Erreur que ne tolère pas Jean. À ses côtés, son cousin plaisante :

"Jean n'aime pas que l'on dise que le vrai patron, c'est moi... Il ne doit pas oublier quand même que nous sommes issus du même aïeul."

Une boutade accueillie avec un petit sourire par le (vrai) président, signe que la nouvelle direction de Verney-Carron a pris ses marques. Un nouveau souffle qui permet de faire oublier l'année 2014 et son résultat net, négatif de plus d'un million d'euros. Catastrophique certes, mais pas au point de changer radicalement la donne de l'entreprise comme l'avait fait la crise de 1976. À cette époque, l'entreprise avait été sauvée par Pierre Guichard, fils du fondateur de Casino et beau-père de Claude Verney-Carron, le père de l'actuel dirigeant.

Des Verney-Carron à Lyon : la fibre artistique

"Cette famille est très ancienne, mais elle n'a rejoint l'élite économique qu'à partir du XXe siècle. Elle présente toutes les caractéristiques de la bourgeoisie stéphanoise", commente Nicole Verney-Carron, maître de conférences en histoire à l'Université de Bourgogne et auteure d'une thèse intitulée "Le ruban et l'acier, les élites économiques de la région stéphanoise au XIXe siècle".

Elle est aussi l'épouse de Richard Verney-Carron, ex-directeur de l'Urssaf Saint-Étienne et cousin germain de Jean Verney-Carron. "Jusqu'à la génération de mon mari, il y avait une très forte endogamie. Les Verney-Carron épousaient d'autres élites du territoire." Les Guichard par exemple. Mais aussi les Louison, à la tête d'une entreprise textile très implantée localement. Aujourd'hui plus modeste après quelques difficultés économiques, elle a compté jusqu'à 200 salariés.

"Dans le football, les Lyonnais nous appellent les consanguins. On n'ira pas jusque-là, mais Saint-Étienne est un grand village, les bourgeois stéphanois se sont longtemps mariés entre eux", plaisante Andy Louison, 31 ans, 6e génération à la tête de l'entreprise familiale.

Famille bourgeoise incontournable à Saint-Étienne, entremêlée avec celle des Guichard, les Verney-Carron font aussi parler d'eux dans la métropole lyonnaise voisine. Dans un domaine aussi opposé que possible à celui de l'arme : l'art contemporain.

"Les Lyonnais, c'est la branche artistique de la famille !", expose Guillaume Verney-Carron, neveu et cousin germain de ce segment familial "expatrié"hors des frontières ligériennes. À l'origine de ce feeling artistique, Georges Verney-Carron, le frère de Pierre (actuel président du conseil de surveillance).

Verney Carron

Archibald Verney-Carron.

"Jo", comme tout le monde le surnomme, n'a fait qu'un passage éclair dans l'entreprise familiale.

"Après mes études, j'ai commencé à réfléchir à des projets de ligne de vêtements, de cosmétiques..., raconte l'homme âgé de 74 ans. J'ai essayé de bousculer un peu les habitudes. Au bout de trois mois, on m'a convoqué... J'ai quitté le bateau."

Depuis, Jo Verney-Carron a creusé son sillon à Lyon. Plus que creusé d'ailleurs puisqu'il a contribué à façonner la ville. Via ses agences de communication et "Art Entreprise", il est à l'origine du quartier de Confluence et de ses immeubles bigarrés. Expert du mariage entre l'art, l'architecture et le design, c'est lui qui a proposé à Gérard Collomb l'idée de ce quartier appelé à devenir le nouvel emblème de la ville de Lyon.

Verney Carron

"Jo" Verney-Carron.

Et le septuagénaire possède de nombreuses autres cordes à son arc, il est ainsi l'instigateur de l'association art et architecture dans les seize parkings de Lyon Parc Auto. Il a également possédé une galerie d'art contemporain.

"L'art est indispensable à la vie. Mais peu de gens vont au musée. Il faut donc faire de la ville une œuvre d'art."

Cette passion qu'il exerce principalement à Lyon est née à Saint-Etienne, dans les couloirs du musée d'Art et d'Industrie. "Nous habitions juste en face. Avec mon frère Pierre, nous traînions de longues heures là-bas. On y a fait un sacré paquet de bêtises... Nous nous sommes même fait enfermer sur place."

Depuis quelques années, Jo passe progressivement la main à l'un de ses fils, Archibald, 32 ans. Ensemble, ils ont été récemment amenés à stopper les activités de communication (agence Communiquez) et de galerie d'art et se sont recentrés sur leur spécialité de l'art urbain. Si le nom Verney-Carron est principalement connu du grand public pour ses armes de chasse, les professionnels de l'urbanisme ont donc une deuxième porte d'entrée dans la famille.

La politique aussi

Le milieu culturel dispose d'une troisième entrée avec Florence, l'épouse de Jo. Jeune conseillère municipale et communautaire à Caluire (Rhône) entre 1977 et 1983, elle a renoué récemment avec la politique en acceptant la proposition de Laurent Wauquiez pour le poste de vice-présidente de la région Auvergne-Rhône-Alpes chargée de la culture. Une fonction difficile à mettre en œuvre pour cette novice de la politique, qui plus est au sein d'un exécutif peu marqué par la préoccupation culturelle. Plutôt à gauche, elle justifie ainsi son choix :

"J'ai été séduite par l'énergie de Laurent Wauquiez et sa volonté de faire changer les choses", tient-elle à assurer.

Verney Carron

Florence Verney-Carron.

Pour un bilan, deux ans plus tard, plus que mitigé. Une décision qui a néanmoins surpris les milieux de l'art et de la communication au sein desquels l'amie de 40 ans d'Olivier Ginon (fondateur de GL Events) évoluait depuis plusieurs décennies aux côtés de son mari, mais que semble accepter de bonne grâce sa famille.

Son fils Archibald explique : "Nous nous interdisons de travailler avec la Région désormais. Mais de toute façon, nous ne faisions déjà rien avec cette collectivité, cela ne change pas pour l'entreprise."

L'élue confie : "Je compartimente tout, je fais très attention. Par exemple, je ne parle de rien chez moi et je ne vais jamais aux événements organisés par Estelle, ma nièce (la femme du Stéphanois Guillaume, directeur général de l'entreprise, NDLR), ou par Marie-Sophie, ma belle-fille." La première travaille pour l'agence lyonnaise Média Sport Promotion aux côtés de Jean-Claude Pietrocola. La seconde, la femme d'Archibald, s'occupe de la communication de l'Idrac Business School. Finalement, la branche politico-artistique lyonnaise est presque aussi connue que les industriels ligériens.

"Lorsque je donne mon nom, on me demande si je suis la femme ou la fille des Verney-Carron de Saint-Étienne, ou si j'ai un lien avec Jo ou Florence", rapporte Estelle Verney-Carron.

"Eh bien les deux, chère madame !", répond avec humour la jeune femme. L'industrie de l'arme, la politique et l'art semblent si éloignés que peu de gens font finalement le rapprochement facilement. Et encore moins imaginent des liens si serrés entre les Stéphanois et les Lyonnais.

Le réseautage métropolitain

Parmi ceux-ci, le partage de ces fameuses parties de chasse pendant lesquelles se retrouvent, ou se retrouvaient, Jo et son frère Pierre, le plus passionné de tous, mais aussi Guillaume, Jean, et de temps à autre Florence et d'autres membres de la famille. Au cœur de ces moments sportifs, le plaisir de se retrouver en famille. Mais certainement pas, promettent-ils à l'unisson, de parler affaires. Les discussions se font aussi lors des fêtes de famille. La tradition s'était perdue, mais s'est réactivée récemment, avec l'organisation en 2017 d'une cousinade réunissant les deux branches géographiques de la famille.

Seul sujet de discorde ouvertement admis : le football. Les uns soutiennent l'AS Saint-Étienne, les autres l'OL. Sauf Jo, le Lyonnais à contre-courant qui a gardé son amour pour le Chaudron. D'ailleurs, même s'il ne s'est jamais décidé à réintégrer le bercail familial, Georges Verney-Carron n'en a jamais été bien loin non plus. C'est lui, par exemple, qui a introduit le design dans le dessin du Flash-Ball en 1986. Qui envoie de temps en temps des artistes à Saint-Étienne pour concevoir de nouveaux dessins pour les crosses. Ou encore qui asticote Guillaume et Jean pour repenser la façade, plutôt lugubre il est vrai, de l'entreprise familiale. "Il est scandaleux que cette entreprise de plus de deux siècles soit aussi moche !" Son neveu Guillaume assume : "C'est vrai, on y réfléchit très sérieusement. Nous pourrions travailler avec des architectes pour faire quelque chose de très bien, en adéquation avec ce quartier de Saint-Étienne en pleine ébullition."

Verney Carron

Boniface Verney-Carron et sa compagne Arizona Muse.

Le directeur général de l'entreprise reconnaît d'ailleurs bien volontiers s'entretenir régulièrement avec son oncle pour lui demander son avis sur le design. Une sensibilité à l'art sans doute héritée de sa lignée familiale puisqu'il est lui-même issu d'un mariage Verney-Carron/Noirot/Hanssen (artistes peintres renommés d'origine roannaise). Et le réseautage Verney-Carron ne s'arrête pas aux frontières de la région.

La famille étend ses tentacules jusqu'à Londres où Boniface, le fils aîné de Jo et Florence, est devenu un ostéopathe réputé. "J'ai toujours adoré l'art contemporain. Ma clinique est aussi une galerie d'art. J'ai beaucoup navigué dans ce milieu et rencontré des personnalités. De fil en aiguille, elles m'ont fait confiance", explique celui qui s'est marié l'année dernière avec Arizona Muse, mannequin vedette et créatrice de mode. Parmi ses clients fortunés, des amateurs de chasse.

L'occasion pour Jean et Guillaume Verney-Carron de leur présenter leurs fusils haut de gamme...

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Commentaire 1
à écrit le 31/03/2018 à 21:47
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La chasse.....un hobby d'un autre âge....

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