La Madone porte haut les vins du Forez

Ses vins s'affichent à la carte des tables étoilées et son travail, enfin reconnu, s'exporte dans le monde entier. Gilles Bonnefoy est un vigneron persévérant, propriétaire du domaine de la Madone, installé dans la Loire. En quelques années, il a réussi également à faire sortir le vignoble du Forez d'une réputation ancienne de médiocre vin de comptoir, en l'élevant au rang de vins gustatifs. Une révolution portée par une poignée de vignerons engagés, comme lui.
Avec un terroir granitique et volcanique propice au développement de son vignoble, Gilles Bonnefoy adore expérimenter, innover, exercer sa liberté, en plantant des cépages inconnus du bataillon local comme la roussane.

Lorsque nous nous rendons quelque part, il serait bon de jeter par-dessus bord le GPS et cette voix insupportable qui prétend nous guider comme si nous étions aveugle, pour nous réjouir en douce de l'absence d'autoroute, muni seulement de l'élémentaire boussole qui nous indique les quatre directions afin de redécouvrir le goût et la tension du voyage. Accepter de se perdre un peu, y trouver du sens, être à l'écoute des signes qui sont comme un langage intime. Bref, redevenir cet être humain qui se situe au sommet de la pyramide de la création, tout simplement parce qu'il est doué de conscience.

Alors le voyageur qui s'ouvre à nouveau verrait surgir dans son champ d'expériences le silence, la beauté, la belle vie, enfin une dimension qui ressemble à une humanité digne de ce nom : avec des êtres qui se rencontrent, réalisent des projets et jouissent du bonheur d'être vivants dans un endroit assez préservé. À Champdieu dans le Forez (Loire), à quelques encablures de Montbrison, le vin est sur toutes les lèvres.

Sur le perron de la cave du domaine, et sans s'être donné le mot, journalistes et amis de longue date forment ce jour un groupe informel et chaleureux qui disserte et savoure les vins de la Madone, sous un soleil radieux, au son du chant des oiseaux. Le domaine est en biodynamie, c'est-à-dire qu'il laisse sa place au vivant, et cela s'entend aussi.

vin de la madone

Gilles Bonnefoy, Benjamin Roffet, meilleur sommelier de France 2010, Margot, apprentie sommelière.

Gilles Bonnefoy, malgré un travail de titan, prend le temps d'expliquer aux visiteurs ce qui le passionne, son implication et son ancrage sur un territoire qu'il aime et qu'il défend : celui de ses ancêtres et de son enfance. Car c'est cette période qui produit les rêves les plus intenses, alors que les rebuffades de l'existence n'ont pas encore anéanti un espace sensoriel puissant :

"Mon grand-père était vigneron, mais à son décès, mon père, le cadet de la famille, n'a pas eu le domaine, c'est son frère aîné qui en a hérité. Quant à moi, j'ai démarré sans foncier et sans vignes avec deux hectares en location, puis j'ai défriché et j'ai planté."

Les premières années, le domaine est touché par des phénomènes climatiques assez violents, notamment en 2003 où le village est pratiquement détruit par une averse de grêlons de la taille d'une orange : "80 % de ma récolte a été détruite et j'ai failli arrêter !", reconnaît-il. Ses premiers millésimes avaient également souffert, et sa production diminué drastiquement. En cause : le gel, la sécheresse, ou encore la grêle, comme cette année, à nouveau.

Patience

Mais Gilles Bonnefoy est un vigneron patient et hyperdynamique qui ne se décourage pas. Une qualité qui a convaincu deux de ses amis ‑ outre le très fort potentiel du vignoble ‑ de s'associer à lui en société civile d'exploitation agricole (SCEA), apportant des fonds qui lui ont permis d'embaucher quand il en avait besoin. En parallèle, le vigneron travaille aussi pour faire sortir le vignoble du Forez d'une réputation ancienne qui le qualifiait de médiocre vin de comptoir. Avec neuf collègues installés sur les pics volcaniques voisins (ils sont deux, Gilles Bonnefoy compris, à être en biodynamie), il se démène pour faire émerger un vin qui n'est plus méconnu, et qui déploie des atouts exceptionnels et très spécifiques.

"Nos vignes ont évolué, et nos vins avec. Nous faisons appel aux techniciens, que nous soyons en bio ou pas. Et nos ventes augmentent dans des proportions que nous n'imaginions même pas il y a deux ou trois ans."

De fait, Gilles Bonnefoy, qui propose sept cuvées, enregistre pour cette année une progression de 20 % de ses ventes. Pour la première fois, il n'aura pas assez de vin rouge. Mais la route est longue.

vin de la madone

"J'ai commencé il y a 20 ans, en ayant la chance de bénéficier du bénévolat familial. Le banquier suivait tout juste, et si mon épouse n'avait pas été là ‑ elle est professeure des écoles ‑, je n'aurais jamais pu continuer, car pendant quatre ans, je n'ai pas dégagé un centime du domaine."

Il a construit sa cave avec son père maçon, et toute la famille s'est mise en marche pour l'aider. Dans ce lieu qui vibre de partout, la biodynamie a ressuscité la vie de la terre, et les vignes resplendissent de santé.

Terres volcaniques

Le vignoble se situe à la périphérie de deux volcans : celui du Pigeonnier et celui de la Madone. De là, se dresse le village médiéval de Champdieu qui s'est développé à partir de l'an mille autour de l'église romane et du prieuré bénédictin, remarquablement conservés. Fortifié au XIVe et XVe siècle, le village est une étape sur le chemin de Saint-Jacques-de-Compostelle, et les murs nous imprègnent avec grâce de ce lointain passé. Cette vierge, posée sur un pic basaltique et qui regarde Lyon (à une centaine de kilomètres), a été hissée le 8 septembre 1875 par un attelage de huit bœufs et sous l'impulsion du curé du village.

Les habitants lui demandaient protection, mais ce fut sans succès. Le vignoble, un temps épargné, fut  complètement détruit par le phylloxéra.

"Il faut imaginer que, dans les années 1870, avant le phylloxéra, les gens gagnaient beaucoup d'argent avec la vigne. Mon père m'a expliqué que la maison de mon arrière-grand-père avait été construite avec l'argent d'une récolte de raisin et de pommes", évoque le vigneron.

Après cette crise, Roannais et Forez, ayant deux AOP et une IGP commune, ont uni leurs destinées viticoles, permettant aux deux appellations d'élargir leur gamme de blancs. Ici, résultat d'une faille géologique conduisant à un effondrement du Massif central, la terre est donc volcanique et offre un relief de montagnes arrondies. Le plus vieux volcan a soixante millions d'années. Le gamay à jus blanc offre alors un vin unique aux arômes poivrés, épicés, de moka et de café, mais aussi de pierre à fusil.

Expérimenter, innover

La Loire, qui caractérise le vignoble, coule en contrebas d'un paysage pastoral. Une partie du domaine est granitique, fortement argileuse, et pour les trois quarts restants, la terre porte la couleur noire des volcans. La basanite qui le compose est une roche très dense qui lui apporte une touche minérale marquée pour les vins rouges, mais aussi des arômes grillés, poivrés, épicés. Une rondeur, une plénitude et une finesse remarquables. Des vins auxquels l'altitude apporte une vraie fraîcheur. Dans ce contexte, Gilles Bonnefoy adore expérimenter, innover, exercer sa liberté, en plantant  des cépages inconnus du bataillon local : le sauvignon, par exemple, ou la roussanne qui, sur ce terroir volcanique, surprennent agréablement le dégustateur.

"L'AOC du Forez obtenue en 2000 part de loin pour combattre les préjugés, reconnaît le vigneron. La cave coopérative a été monopolistique jusqu'en 1992, elle a replanté avec des visées productivistes, et le chaland a longtemps été abreuvé avec un vin de mauvaise qualité. Conséquence : la demande a baissé. Et cette réputation nous colle aux basques", précise celui qui est devenu le président de l'appellation des vins du Forez à la condition d'associer les vins de la Côte roannaise voisine pour y développer une communication commune. Néanmoins, dans les années 1990, quelques vignerons décidèrent de quitter la cave coopérative en proposant une concurrence qualitative qui finira par payer : la demande existe, notamment à l'export, loin du modèle de la seule vente locale, une pratique obsolète sans avenir.

États-Unis, Irlande, Suisse...

À l'origine, Gilles Bonnefoy, muni d'un BTS technico-commercial vins et spiritueux obtenu à Mâcon et Paris, a officié sept ans chez LVMH. Un départ volontaire négocié et bien indemnisé lui permit de louer quelques arpents de vigne pour commencer en 1997, et s'installer. Pendant quatre ans, il est tout de même contraint de reprendre une activité salariée, notamment lorsqu'il décide de transformer son domaine en bio.

Dans la foulée des saisons, il replante quatre hectares en une année, améliore son cuvage, sa vinification, mais dix années auront été nécessaires pour dégager de son activité un salaire convenable. Un stage chez Pierre Masson avec un voisin, puis un voyage d'études chez Jean-Michel Deiss en Alsace, où "la terre était si noire, que l'on avait envie de la goûter", le convainc, en 2004, de franchir une nouvelle étape en passant en biodynamie. "Les personnes me demandent où je vends mes 60 000 bouteilles ? Je leur réponds en Suisse, au Canada, aux États-Unis, en Irlande", souligne Gilles Bonnefoy, qui salue le bond de ses ventes cette année, déplorant au passage le comportement casanier de certains de ses collègues, à qui il conseille de s'orienter vers l'export pour s'en sortir. La vente au caveau, au bord de la route ‑ qui était d'usage dans la région -, dégage des marges trop aléatoires.

vin de la madone

Un travail et une production de qualité qui auront convaincu Benjamin Roffet, 36 ans, meilleur sommelier de France 2010 et meilleur ouvrier de France 2011, de rejoindre la Madone. Le Forez évoque son appellation de cœur. Originaire de Montbrison, il y revient régulièrement malgré ses activités parisiennes.

Transmission

Visiter les vignobles, construire une carte des vins cohérente, trouver sa place dans les palaces, tenir compte des désirs du client, voilà un métier qui demande une connaissance pléthorique des vins du monde, et nécessite des qualités subtiles en psychologie et surtout une bonne maîtrise de soi. Son parcours l'a conduit en Irlande, puis au Royaume-Uni dans les restaurants étoilés.

Au Trianon Palace, à Versailles, il a suivi Gordon Ramsay, le grand chef écossais. Le jeune sommelier a récemment participé à l'ouverture de l'Hexagone, auprès du chef Mathieu Pacaud, fils du discret et magnifique Bernard Pacaud, chef de l'Ambroisie. Benjamin Roffet est aujourd'hui à nouveau libre, et les offres professionnelles affluent. Le jeune sommelier, épris d'un métier qui le fait voyager au propre comme au figuré,  rencontre des gens de toute sorte : ceux qui économisent toute une année pour s'offrir un restaurant étoilé et un vin, dont le prix de vente est parfois multiplié par dix quand il arrive sur la table.

L'heure est à la dégustation

Et ceux au pouvoir d'achat sans limites. Benjamin Roffet préfère vendre une bouteille à quarante euros qu'un grand cru à 8 000 euros, prix que peut atteindre un romanée-conti. Mais aujourd'hui, c'est à Margot, la fille de "Ludo", un des associés de Gilles Bonnefoy, qu'il s'adresse. La  jeune fille se destine, dans un avenir proche, au métier de sommelière. Et tous ceux qui l'entourent en sont convaincus : il lui faudra choisir avec  discernement un établissement dont le chef œuvre dans l'esprit du compagnonnage, et non comme un militaire brutal et craint de son équipe. Pas une mince affaire dans ce métier largement représenté par des hommes. Margot demeure à l'écoute, mais l'heure est à la dégustation d'un vin blanc du domaine, au cépage sauvignon : tendu, puissant, qui invite à l'hédonisme et laisse rêveurs les hôtes. Demain est un autre jour.

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