Les défis de la ville intelligente

La ville se réinvente. Elle invite désormais le citoyen à devenir un véritable acteur de sa ville en réinventant les notions de concertation et de participation.

Présenté par l'Institut de l'entreprise, un rapport intitulé « Smart cities. Efficace, innovante, participative : comment rendre la ville plus intelligente ? », compile un ensemble de préconisations à destination des municipalités pour les aider « à réduire leurs dépenses tout en contribuant à l'amélioration de la qualité de services. » Le rapport présente une série de propositions visant à favoriser l'émergence des villes intelligentes parmi lesquelles figure la consécration de la participation directe des habitants et l'avènement d'un véritable « smart citizen » (citoyen intelligent).

La force des citoyens auto-organisés

Le politique dans ce schéma se doit de créer une gouvernance participative qui permette de créer des liens, pour aller à la rencontre des « nouveaux » besoins du citoyen. L'approche verticale du pouvoir souffre aujourd'hui d'un certain discrédit, une remise en cause d'autant plus forte dans les villes que les citadins sont confrontés à des services sur lesquels ils sont légitimes à avoir un impact direct puisqu'ils en sont les premiers utilisateurs. On lui préfère de plus en plus une approche où les décisions proviennent des citoyens et utilisateurs des services publics.

Les défis de la ville ne semblent plus trouver leur unique solution dans l'intervention verticale, car ils sont plus nombreux, appelant par conséquent une approche sur mesure et de plus en plus de réactivité. La ville trouve un intérêt à développer la participation des citadins. Le principe en est que le pouvoir doit s'exercer à l'échelon le plus approprié, c'est-à-dire l'échelon le plus proche du citoyen et de l'usager. Cela dit, analyse Jean Viard, « de plus en plus de décisions concernant la vie quotidienne des habitants des villes seront prises en dehors de la sphère politique et des organes traditionnels du pouvoir. Il semble que la société soit amenée à s'auto-organiser, ce qui est nouveau. La démocratie participative en fait bien sûr partie. Le politique ne sera pas forcément organisé différemment, mais la structure même de la société, la nature des liens qui unissent les habitants d'une ville entre eux change et devrait être amenée à changer davantage encore. »

Une grande partie des besoins des citoyens pour se déplacer, échanger, se divertir trouveront une réponse dans l'auto-organisation et la mise en place de services d'individu à individu. L'habitant de la ville est, en d'autres termes, appelé à devenir acteur des services dont il a besoin. « L'auto-organisation progresse d'ailleurs plus vite que la ville numérique, que la cité connectée. Le politique continuera d'opérer des arbitrages, mais il devrait sortir alléger de certains poids des services publics puisque certains de ses services seront pris en charge par les citoyens auto-organisés », prédit encore le sociologue.

Un regain de participation

La participation reste un terme ambigu, puisqu'elle peut aussi bien désigner des mécanismes de démocratie directe qu'une collaboration ponctuelle ou régulière du citadin à l'amélioration concrète de son environnement. Dans le premier cas, il s'agit d'associer les citadins à la prise de décision locale et de les inviter à débattre des enjeux de la ville. C'est ce que les conseils de quartier proposent déjà. « Cette forme de démocratie fonctionne bien, en dehors de toute innovation numérique » tient à préciser Karine Dognin-Sauze, On peut donc penser que la ville pourrait jouer le rôle d'un laboratoire de démocratie directe. Pourtant, cette vision n'est ni réaliste ni souhaitable. Elle suppose de la part des citoyens qu'ils puissent consacrer un temps suffisant à ces activités. Au-delà, les personnes les plus investies dans la démocratie participative ne sont pas toujours les plus représentatives.

En réalité, les citadins souhaitent que leur avis soit pris en compte pour ce qui touche à leur environnement direct et concret - les transports, la voirie, par exemple. Se dessine ici une seconde forme de participation, plus concrète et plus indépendante des enjeux politiques. La technologie devient un moteur et un accélérateur de la logique participative, puisqu'elle rend l'implication des citoyens plus aisée. « Le concept de ville intelligente va au-delà du simple usage des nouvelles technologies », détaille Karine Dognin-Sauze. La clé du changement réside dans l'implication des citoyens. « L'intelligence urbaine doit amener un surcroît d'information. Les données recueillies par les usages de la ville permettent de mieux comprendre les besoins et d'adapter les services dont le citoyen est tout à la fois consommateur et prescripteur », estime Guillaume Faburel. L'implication du citoyen, dans la gestion de l'énergie, dans l'utilisation des transports, etc., permettra de créer de nouveaux services adaptés à leurs usages mais surtout d'impacter et d'adapter la demande sans avoir à mettre en œuvre de nouvelles infrastructures. « Dans cette perspective, Tubà vise également à réinventer la notion de concertation et à réinvestir la sphère de la démocratie participative, à l'aune de ce que permettent les nouvelles technologies, afin de collecter les richesses de l'intelligence collective. »

De nouvelles inégalités ?

L'irruption du tout-connecté risque cependant d'accentuer les inégalités entre les classes les plus aisées, qui pourront pleinement profiter des nouveaux services, et les autres. Dès lors, on peut légitimement craindre de voir un nouvel écart se creuser, non seulement entre les classes, mais aussi entre les grandes villes « intelligentes » et les banlieues, privées de technologies. On peut craindre que les fractures numériques viennent doubler les fractures sociales », explique Guillaume Faburel. Jean Viard de le rejoindre : « Toute nouvelle technologie, toute innovation induit de nouvelles fractures. La ville d'aujourd'hui est déjà un espace fracturé, entre hyper-centre, banlieues et zones périurbaines. La question pour le politique est donc d'opérer des choix pour combattre l'émergence de nouvelles disparités. »

Pour Émile Hooge, « il y a sans doute là un travail d'éducation à mener, afin de donner à chacun la possibilité d'être pleinement consommateur et producteur, acteur et prescripteur, des nouveaux services intelligents. Le principal écueil serait de ne penser la ville intelligente en amont. Il s'agit de réfléchir à la meilleure conciliation possible de profils d'usagers différents, avec des niveaux d'éducation, des compétences, des réseaux différents. Le concept de ville intelligente doit permettre de réinventer la relation de la ville et de ses usagers ». Karine Dognin-Sauze complète : « Un des enjeux de l'invention de la ville intelligente est de produire des solutions aux nouveaux défis. Un autre enjeu, est d'expliquer ce à quoi peuvent servir ces nouveaux services. Cette mission d'éducation permet de réduire d'éventuelles fractures au sein de la population. » D'autre part, prévient la vice-présidente de la Métropole de Lyon, il faut dépasser le cap de l'équipement et de l'accès aux nouvelles technologies. Ceci peut être résolu en développant les points d'accès dans la ville, par exemple en équipant la cité de mobiliers urbains intelligents. « En outre, nous sommes davantage dans une juxtaposition, une superposition de pratiques urbaines, anciennes et nouvelles. Et toutes ont leur place. Toutes participent à régénérer l'expérience de la vie en ville. »

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