Stations de ski : le dossier des retraites, cette goutte d'eau qui fait déborder le vase des saisonniers

Les syndicats FO et CGT des remontées mécaniques ont déposé un préavis de grève pour la journée de ce mardi. Ils s'opposent eux aussi au projet de loi sur les retraites, mais aussi plus largement, à la réforme de l'assurance-chômage, déjà actée depuis plusieurs mois, et qui précarise selon eux encore plus le statut des saisonniers. Face au spectre d'une grève désormais « reconductible » à l'approche des vacances de février (une période qui pèse près du tiers de la saison d'hiver), l'ambiance n'est toutefois pas alarmiste au sein des stations de ski, qui estiment que ce mouvement « ponctuel » ne devrait pas menacer un taux d'occupation attendu au même niveau que l'an passé.
Les syndicats FO et CGT ont déjà annoncé que la première mobilisation prévue ce mardi pourrait être « illimitée » sur le papier, mais pas complètement sur les pistes...
Les syndicats FO et CGT ont déjà annoncé que la première mobilisation prévue ce mardi pourrait être « illimitée » sur le papier, mais pas complètement sur les pistes... (Crédits : Savoie Mont Blanc Chabance)

Ce mardi, les salariés des remontées mécaniques sont appelés à la grève : les syndicats FO et CGT ont en effet déposé un préavis au sein d'une quarantaine de stations de l'Hexagone, afin de protester non seulement contre l'actuel projet de loi sur la réforme des retraites, mais aussi plus largement contre la modification du régime d'assurance-chômage des saisonniers, en vigueur depuis le 1er décembre 2021, et qui a fait grimper la durée minimale de travail pour recharger ses droits de quatre à six mois au cours des 24 derniers mois.

L'occasion de dénoncer une précarité jugée « grandissante » au sein d'une vivier de saisonniers qui emploie annuellement près de 120.000 salariés au coeur de l'Hexagone, dont près de 15.000 saisonniers dans le seul secteur des remontées mécaniques (contre 3.000 permanents).

Car pour les représentants de la CGT, le dossier des retraites et son projet de reporter l'âge légal de départ à 64 ans est un peu « la goutte d'eau qui fait déborder le vase » face à la réforme de l'assurance-chômage qui représente « un gros point de crispation depuis un moment ».

Antoine Fatiga, délégué syndical CGT en charge de la question des saisonniers, rappelle à La Tribune que « les chiffres donnés par le bureau de l'Unédic pointent le fait que la seconde réforme de l'assurance-chômage a déjà conduit à une diminution ou un retrait des aides pour 2,5 millions de personnes à l'échelle nationale. De même que le projet du gouvernement visant à moduler l'indemnisation en fonction du taux de chômage de chaque région va aussi dans le sens d'une précarisation accrue ».

Pour Eric Becker, délégué syndical FO lui aussi en charge des saisonniers joint lui aussi par La Tribune, « on ne peut toutefois pas dissocier le dossier de la réforme du système des retraites, qui aurait une incidence grave sur le secteur des remontées mécaniques qui sont des métiers pénibles, et qui ne pourront pas décemment continuer de travailler après 60 ans, et la question de l'assurance-chômage qui impacte directement les carrières entrecoupées des saisonniers ».

Le syndicat professionnel DSF était lui aussi monté au créneau

Côté assurance-chômage, la revendication était par ailleurs soutenue, sur le fond, par le syndicat des 250 sociétés de remontées mécaniques françaises (Domaines Skiables de France), puisque la présidente de la commission social-formation, Anne Marty, confiait déjà à La Tribune à l'automne dernier que le sujet avait été remis sur la table afin de peser au sein des discussions nourries avec le gouvernement.

Bien que cette année, la filière du ski enregistre à nouveau un taux de reconduction des contrats saisonniers proche de la normale, en vue de cet hiver (soit 75 à 80%, contre 60% l'hiver dernier, lorsqu'elle avait lancé un appel), Anne Marty alertait notamment sur les conséquences de cette réforme à long terme.

« Nous ne demandons pas un retour au système originel », défendait la vice-présidente, « mais un mode de calcul qui soit plus adapté à la réalité des stations de ski et de leurs saisonniers, qui peuvent enregistrer une activité seulement durant 4 à 5 mois l'hiver, et 2 à 3 mois l'été »« Or, dans cette réforme, nous sommes mis sur le même pied que d'autres employeurs qui ont recours aux contrats courts et emplois précaires comme la SNCF », défendait-elle.

Et quelques mois plus tard, le délégué général de Domaines skiables de France (DSF), Laurent Reynaud, ne dit pas autre chose à La Tribune : « Pour l'instant, nous avons réussi à revenir à un taux de turnover historiquement bas pour notre profession, de l'ordre de 15%, mais la crainte existe toujours que nos métiers soient impactés par cette réforme. C'est la raison pour laquelle nous avions formulé des propositions au gouvernement à ce sujet, dans l'optique qu'elles puissent être discutées au sein d'une clause de revoyure ».

Il dissocie pour autant la question du dossier des retraites, dont le mode de calcul aura quant à lui « le même impact pour les saisonniers que pour le reste des actifs », « sans distinction spécifique. »

Vers une mobilisation réellement "illimitée" ?

En attendant, les syndicats FO et CGT ont déjà annoncé que la première mobilisation prévue ce mardi pourrait être « illimitée » sur le papier, mais pas complètement sur les pistes... Car en réalité, l'idée serait surtout de permettre aux saisonniers de participer à une seconde journée de grève nationale, durant les vacances de février.

« Pour l'instant, il n'est pas question de faire grève en illimité, nous pourrions redéposer en premier lieu un préavis pour la journée du 7 février comme l'ensemble des autres professions. Mais cette position pourrait encore évoluer si le gouvernement venait à ne pas nous entendre, auquel cas un mouvement plus dur pourrait être envisagé, avec des opérations qui pourraient par exemple comprendre une heure de débrayage par jour par exemple », envisage Eric Becker.

Une annonce bien décidée à mettre la pression au gouvernement, sur les vacances de février qui représentent une période charnière pour les stations de ski, concentrant près du tiers de la fréquentation de la saison d'hiver, et même jusqu'à la moitié des recettes de l'année au sein de certains domaines.

Reste cependant à savoir quel sera le degré de mobilisation de la profession, et surtout, si les saisonniers pourront se permettre de débrayer massivement, alors que le manque de neige avait provoqué des suspensions d'activité et de mesures de chômage partiel, fin décembre en moyenne montagne, avant que la neige ne signe son grand retour mi-janvier.

Pour Antoine Fatiga, la mobilisation « monte » même s'il lui est difficile de se prononcer sur un chiffre précis :

« Si je prends l'exemple de Vars (Hautes-Alpes), le préavis va entraîner la fermeture d'une grande partie de la station, tandis que nos délégués des Carroz d'Arâches (Haute-Savoie) nous relaient qu'un seul pisteur compte travailler. On sait déjà que les Menuires vont devoir fermer un certain nombre d'appareils, idem pour la station de la Plagne », souligne-t-il, tout en rappelant : « Notre objectif n'est pas de bloquer les vacances, car il y a eu une forme d'emballement médiatique à ce sujet, ni de faire en sorte que la clientèle soit subisse ce mouvement. »

"Pas d'inquiétude" en stations

Pour l'heure, Domaines Skiables de France ne se dit pas inquiet : « il n'existe pas de service minimum dans les remontées mécaniques, car même si elles sont considérées comme un mode de transport, il ne fait pas partie de la catégorie des modes réguliers puisqu'il ne fonctionne que quatre mois par année. Pour autant, les syndicats des salariés ont déjà démontré qu'ils savaient défendre leurs droits, dans l'intérêt des vacanciers et des entreprises », juge Laurent Reynaud.

Le directeur général de l'Association Nationale des maires de stations de montagne (ANMSM) Joël Retailleau confirme également à demi-mots qu'il n'existe pas d'inquiétude à ce stade, même s'il renvoie la question aux exploitants : « Il semblerait effectivement que les syndicats ne souhaitent pas perturber les prochaines vacances, compte-tenu de ce qu'ont déjà subi les stations au cours des derniers mois. »

Michaël Ruysschaert, directeur général de l'Agence Savoie Mont Blanc qui fédère les 112 stations des deux Savoie, appelle à ne pas se monter « alarmiste » et dénonce même ce qu'il considère comme de la « dramaturgie » : « personne n'est en capacité de prédire la mobilisation, ni l'évolution du mouvement autour de la réforme des retraites dans les jours, semaines à venir », mais il appelle à « regarder les mobilisations précédentes des 30 dernières années ».

Vers un taux d'occupation de 72% en moyenne sur les vacances de février

« Les professionnels en station ont toujours assuré un plan de continuité pour offrir et garantir à nos vacanciers du ski, de la glisse et des activités lors des grands mouvements sociaux, sociétaux. Et il y en a eu des grandes grèves et mouvements l'hiver », rappelle-t-il, citant les grèves massives contre le plan Juppé de décembre 1995, la grève « intermittente » de la SNCF de mars 2018, ou encore le mouvement des gilets jaunes en 2018... « La dernière grève du 19 janvier dernier n'a pas eu d'incidence sur l'activité de nos massifs », affirme Michaël Ruysschaert sur les réseaux sociaux.

Un message clé à l'heure où les stations enregistrent un taux d'occupation prévisionnel de 72 % sur les quatre semaines de vacances d'hiver du mois de février qui s'ouvrent ce vendredi, « tous massifs confondus », comme le souligne l'association nationale des maires de stations de montagne (ANMSM).

Soit un taux d'occupation prévisionnel « quasiment identique à 2022 sur la même période, et alors que la saison 2021-22 avait été exceptionnelle après un hiver 2020-21 sans ski ». Le directeur général Joël Retailleau délivre même à La Tribune quelques prévisions, avec prudence : « même si tout va encore se jouer sur les vacances de février, on se dirige pour l'instant sur une saison d'hiver avec une petite progression à de l'ordre +2% par rapport à 2021, qui était déjà une année record, au dessus de l'avant-crise. »

Car si le déficit d'enneigement aura pesé en fin d'année sur les ventes des forfaits, et donc sur l'activité des remontées mécaniques (qui enregistrent pour l'heure un recul de -8% fin 2022, selon les chiffres de DSF), la spécificité de cette saison reste que le taux d'occupation des hébergements de montagne est demeuré quant à lui en progression.

« Là où on a souvent dit que la montagne attirait moins par manque de neige, les chiffres ont démontré que les vacanciers sont venus et ont pratiqué d'autres activités », avance Joël Retailleau.

Sur les deux Savoie, Mickael Ruysschaert note que le mois de janvier aura été marqué, malgré les questionnements autour de l'enneigement de la première quinzaine, par une progression globale de +15% de la fréquentation enregistrée par rapport à l'an dernier, grâce « au retour et au lissage de la clientèle étrangère  » : « Nous avons accueilli, en plus de la clientèle britannique, de nouvelles clientèles comme les jordaniens ou les turcs, qui ont confirmé une grande diversité aux côtés des italiens, allemands, néerlandais, suisses... » Avec des vacances de février où sont également attendus non seulement les Français, mais aussi à nouveau plusieurs clientèles étrangères (britanniques, allemands, suisses, belges, néerlandais et italiens).

Reste une date dans le viseur : les délégués CGT et FO sont déjà mobilisés en vue de la venue annoncée du président Emmanuel Macron lors des Championnats du monde de ski de Courchevel-Méribel, qui pourrait avoir lieu aux alentours du 16 et 17 février. « On sait que les forces de l'ordre seront présentes, mais les saisonniers pourraient se manifester pour rappeler au président qu'ils sont toujours vivants et que ce sont encore les plus précaires qui font tourner les stations et générer les revenus pour l'économie locale », glisse un délégué syndical.

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