Remontées mécaniques et protection de l’environnement : de plus en plus de conflits devant les tribunaux ?

A Tignes comme à Megève, les projets d’aménagement des stations de ski des Alpes du Nord connaissent de plus en plus de difficultés à voir le jour. Dans la ligne de mire des associations de protection de l’environnement, ils pourraient même devenir de plus en plus difficiles à mener, à terme, alors même que la pérennité du modèle des stations de ski est aujourd'hui au coeur des débats en raison du réchauffement climatique.
« Nous restons vigilants sur le fait que les projets ne gagnent pas sur de l'espace vierge, c'est notre ligne rouge », affirme par exemple Vincent Neirinck, de l'association Mountain Wilderness.
« Nous restons vigilants sur le fait que les projets ne gagnent pas sur de l'espace vierge, c'est notre ligne rouge », affirme par exemple Vincent Neirinck, de l'association Mountain Wilderness. (Crédits : Poma)

D'un sujet considéré plutôt comme assez technique, il est passé au rang des dossiers sensibles. Attaqués à Megève (Haute-Savoie) pour le domaine skiable de Rochebrune, ou encore à Tignes (Savoie) pour le remplacement du télésiège du Marais, dont les aménagements associés devaient être construits sur la réserve naturelle de Tignes-Champagny, mais aussi aux 2 Alpes (Isère)... Les projets d'aménagement des stations de ski des Alpes du Nord connaissent de plus en plus de difficultés à voir le jour.

Du côté des stations de ski, le sujet du renouvellement ou de l'extension d'un domaine skiable évoque même désormais l'image d'un parcours du combattant. « Ce n'est pas spécifique à la montagne, cela concerne tous les types d'aménagements, en raison de la législation et de la réglementation, donc de l'administration », déplore Laurent Reynaud, délégué général de Domaines Skiables de France, qui décrit des dossiers de plus en plus épais pour répondre aux exigences réglementaires.

Il compare une administration qui, par le passé, était « aux côtés des porteurs de projets, pour accompagner les territoires », à une administration d'aujourd'hui qui, par ses demandes et par l'application des différentes règles « va faire partie de la complexité. Les élus et les professionnels se sentent un peu seuls, avec leurs dossiers », tranche-t-il.

Avec non seulement de plus en plus de pièces ou d'études à fournir, ce qui, de fait, rallonge les délais et les coûts pour mener à bien de tels projets, alors que 25% des recettes des ventes de forfaits sont réinvestis dans l'aménagement ou le développement des domaines skiables. Mais pas uniquement.

"Arrêter par des outils juridiques des projets destructeurs du vivant"

Car face à ces complexités d'ordre administratif, s'ajoute également la vigilance des associations de protection de l'environnement. Ces dernières n'hésitent pas à s'opposer aux projets quand ils leur semblent mettre en danger la biodiversité ou des espaces protégés, comme ce fut le cas récemment à la Clusaz, avec le projet de retenue collinaire défendu par la mairie.

Dorian Guinard, enseignant-chercheur en droit public à l'IEP de Grenoble et membre de l'association Biodiversité sous nos pieds, confirme constater une augmentation du nombre de contentieux auprès du Tribunal de Grenoble, qui couvre les stations des départements de l'Isère, la Savoie et la Haute-Savoie.

Le juriste explique cette tendance par une « réelle crispation de l'opinion publique sur la question du changement climatique », ainsi que par « l'effondrement de la biodiversité ».  « Les associations vont essayer d'arrêter par les outils juridiques des projets destructeurs du vivant, qui ne relèvent pas de l'intérêt général et ne sont pas pérennes ».

Laurent Reynaud dénonce pour sa part « une forme de professionnalisation juridique de certaines associations de protection de la nature, qui se sont fait une spécialité d'attaquer les projets, avec l'idée sous-jacente que chaque projet est forcément un mauvais projet.  »

Une opinion que ne partage pas Dorian Guinard. Il est intéressant de voir les revendications des associations, rétorque le juriste. « Elles ne sont pas radicales, ce ne sont pas des khmers verts ou des écolos radicaux, comme on entend souvent. Elles ne demandent ni plus ni moins que l'application du droit environnemental actuel ! »

L'intérêt public majeur en question

Avec, notamment, des divergences d'interprétation sur la question de l'intérêt public majeur. Cette notion juridique permet d'accorder une dérogation à un projet qui menace pourtant un espace protégé ou une espèce fragile, en raison des gains à long terme pour la collectivité.

Par exemple pour la construction d'équipement produisant des énergies renouvelables ou favorisant l'accès à l'eau. Plusieurs fois accordées par les préfectures, ces dérogations ont été retoquées par les tribunaux.

Dorian Guinard cite ainsi l'exemple de Tignes : « Est-ce qu'on va détruire des espèces protégées pour un télésiège qui va augmenter par trois la capacité de déplacement et qui est situé aux deux tiers dans un espace protégé ? Ces espaces ont été créés pour des raisons spécifiques : pour les préserver ».

Du côté des stations de ski, Laurent Reynaud déplore les conséquences de ces recours pour les projets : « Il y a toujours une part d'interprétation des lois, de la part du juge, ce qui génère de l'incertitude, que ce soit pour l'administration ou les porteurs de projets. »

Quand la collaboration reste possible

Certains projets, cependant, arrivent à être co-construits, ou en tout cas développés dans le cadre d'une concertation avec les acteurs locaux et les habitants.

Ainsi, à Val Thorens, des projets d'aménagement des remontées et des pistes sont réalisés en collaboration avec les agents du Parc de la Vanoise, dans le cadre de la protection des tetra-lyres.

« Il existe une réelle concertation, se félicite Dorian Guinard. On n'attaquera pas tous les projets d'aménagement en montagne ! On n'attaque que celles qu'on estime attentatoire au vivant, par dérogation à l'intérêt général »poursuit-il.

« Quand les dossiers passent en commissions, on les étudie au cas par cas, nous n'avons pas de religion », explique pour sa part Vincent Neirinck, de l'association Mountain Wilderness. « Nous restons vigilants sur le fait que les projets ne gagnent pas sur de l'espace vierge, c'est notre ligne rouge ».

L'expert cite l'exemple du remplacement du téléphérique des Grands Montets, à Chamonix (Haute-Savoie). « Il y a eu une vraie réflexion, qui mène à ce que l'impact soit moindre, avec un vrai gain par rapport à l'existant ». Des pylônes près de trois fois moins hauts, donc beaucoup moins visibles.

Il regrette cependant que les associations ne soient sollicitées que tardivement ou qu'à la suite d'une procédure judiciaire. « La concertation existe, mais il faut trop souvent passer par le tribunal administratif avant de discuter sérieusement », souligne-t-il.

Il cite ainsi l'exemple de la station savoyarde de la Rosière, dans le massif de la Tarentaise (Savoie) : « alors qu'il y avait un projet de développement jusqu'au Montvalezan, nous voulions rencontrer des élus pour proposer des alternatives pour l'attractivité. Les échanges ont d'abord été refusés, jusqu'à ce que le projet soit cassé par le tribunal. A partir de là, nous avons pu discuter ».

La population et les clients s'emparent du sujet

Au-delà de l'augmentation des contentieux, Guillaume Desmurs, auteur du livre "Une histoire des stations de sports d'hiver" note une évolution de la mobilisation :

« Avant, il y avait toujours 'ces emmerdeurs d'écolos' qui trouvaient des grenouilles ou des salamandres pour ralentir un chantier, parfois, il fallait même faire déplacer les grenouilles une à une... Mais maintenant, la grande nouveauté de ces mouvements de colère est qu'ils ont pour origine les habitants des communes de stations de ski, excédés par les effets négatifs du modèle économique ».

Et il s'agit là selon lui du vrai sujet : « ils disent simplement qu'il y a d'autres développements et investissements possibles pour l'avenir, autre chose que de l'immobilier et des canons à neige. Ils disent que ce serait bien de regarder ce qui se passe autour et de s'adapter. »

Avec des communes de stations de ski qui perdent des habitants chaque année ainsi que le manque d'enneigement lié au réchauffement climatique, il estime que les règles du jeu ont changé et que les stations vont désormais devoir prendre en compte l'avis des habitants.

« Nous ne sommes pas les uns contre les autres, nous sommes dans le même bateau. Tout le monde cherche la même chose : continuer à pouvoir vivre dignement en montagne, avec une activité à l'année... et pour cela, il est nécessaire de transformer notre modèle économique hérité des années soixante », résume Guillaume Desmurs.

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Commentaires 2
à écrit le 24/01/2023 à 15:58
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En France, c'est la proximité géographique qui augmente l'intérêt pour le sujet, ainsi que les revenus. Ainsi, 21% des Grenoblois et 30% des Annéciens s'intéressent au ski. À l'inverse, 8,7% des Franciliens et 10% des habitants de Brest s'intéressent...

à écrit le 23/01/2023 à 14:56
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Des investissements colossaux pour une saison qui dure 3 mois avec des aléas sur la garantie de la neige, une defiguration totale de certains massifs, le modèle des stations de ski usine est dépassé. Un signe qui ne trompe pas, c'est le nombre grandi...

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