Go Sport : à l'aube d'une nouvelle audience, pourquoi le rachat de Gap France inquiète encore plus

Presque un mois après une première audience, les salariés du réseau Go Sport attendent avec inquiétude un délibéré du tribunal de commerce de Grenoble ce lundi. En plus de devoir déterminer si la société détenue par le bordelais HPB se trouve en cessation de paiements, cette procédure devrait aussi ouvrir la voie à la recherche d'un futur repreneur. Et ce, alors que depuis les vacances de Noël, la direction multiplie les communications inattendues : avec, pour commencer, la nomination d'un nouveau directeur général, Patrick Puy, connu pour avoir conduit la liquidation de Vivarte et de Famar, ainsi que l'annonce d'une croissance externe, qui n'est autre que celle de Gap France, une autre société du groupe.
Après Camaïeu, Go Sport et désormais Gap France, l'empire bâti par l'homme d'affaires bordelais Michel Ohayon entre dans une nouvelle ère, dont on ignore encore quelle sera l'issue.
Après Camaïeu, Go Sport et désormais Gap France, l'empire bâti par l'homme d'affaires bordelais Michel Ohayon entre dans une nouvelle ère, dont on ignore encore quelle sera l'issue. (Crédits : DR/ML)

Le ciel finira-t-il par s'éclaircir pour le réseau Go Sport, avant que celui-ci ne connaisse le même sort que son cousin Camaïeu, lui aussi détenu par le groupe Hermione People & Brands (HPB), propriété de l'homme d'affaires bordelais Michel Ohayon à travers sa filiale de la Financière immobilière bordelaise (FIB) ?

Pour l'heure, rien n'est encore certain : car à l'issue d'une première audience qui s'est tenue au tribunal de commerce de Grenoble, en décembre, afin de faire lumière sur l'état des finances de l'entreprise, un juge enquêteur avait finalement été nommé par le tribunal de commerce.

Avec la charge de mener sa propre enquête, et notamment de faire la lumière sur une ponction de 36 millions d'euros réalisée au cours des derniers mois (et dont les salariés soupçonnent qu'elle ait pu servir à payer les salaires des anciens employés de Camaïeu, dont la liquidation a été prononcée fin septembre). Après la remise des conclusions d'un rapport remis au tribunal le 9 janvier et demeuré confidentiel, une nouvelle audience doit à nouveau se tenir à huis clos, ce lundi 16 janvier au matin.

Entre temps, le groupe HPB avait répondu en nommant un nouveau directeur général pour remplacer le départ de Benoît Verdier, resté moins d'une année en poste : et il ne s'agit pas de n'importe quel profil, puisque le bordelais a choisi, pour venir à la rescousse du réseau Go Sport (2.160 salariés, 223 magasins dont 80 magasins affiliés), un spécialiste de la restructuration d'entreprise.

Une réputation de liquidateur d'entreprises

Celui que beaucoup surnomment également « le liquidateur », Patrick Puy, a en effet mené une carrière qui l'a amené à s'occuper du dépôt de bilan du groupe Moulinex-Brandt en 2001, jusqu'au démantèlement de Vivarte, dont il a été PDG de 2016 à 2021.

Diplômé de l'École polytechnique et ingénieur de l'École nationale supérieure du pétrole et des moteurs, ce nouveau profil a donc été chargé, par la maison-mère HPB, de « poursuivre la nécessaire transformation de Go Sport » en « s'appuyant sur sa solide expérience dans la mutation des entreprises ».

Par voie de communiqué, le groupe HPB -qui n'a pas souhaité faire de commentaires auprès des médias-, espère que ce profil qu'il estime « rompu au dialogue social en entreprise » veillera « tout particulièrement à renforcer la confiance des collaborateurs de Go Sport, notamment à la suite des informations erronées, infondées ou dénigrantes récemment diffusées ». Car depuis le départ de cette affaire, le groupe HPB martèle que le réseau Go Sport, en dépit de 17 années de pertes auxquelles le rachat pour un euro symbolique au réseau Rallye (maison mère de Casino), n'y auront rien changé, « doit renouer avec les bénéfices dès 2023 » et « n'est pas en état de cessation de paiement ».

Agir avant qu'il ne soit trop tard

Mais ce n'est pas l'avis du Comité social et économique (CSE) de l'entreprise, ni des  commissaires aux comptes, Ernst & Young et KPMG, qui avaient remis un rapport d'alerte en novembre 2022 où ils relevaient que la « continuité de l'entreprise [leur] semble compromise ».

Avec la crainte, en filigrane, que le vendeur d'articles de sport ne se retrouve, lui aussi, en situation de cessation de paiements et ne suive le chemin d'une autre marque du groupe HPB, Camaïeu, dont la liquidation des 508 magasins employant près de 2.600 salariés a été prononcée en octobre dernier.

La situation est-elle déjà trop avancée pour Go Sport ? C'est ce que va devoir tenter de déterminer le tribunal de Grenoble. L'avocate du CSE de l'entreprise, Evelyn Bledniak, ne cachait d'ailleurs pas :

« L'idée est bien de prendre les choses en main et d'éviter que Go Sport ne subisse le sort de Camaïeu, où le redressement est arrivé trop tard », rappelait-elle à La Tribune.

Le rachat de Gap, une stratégie de la terre brûlée ?

D'autant plus que ce jeudi, s'est ajoutée une nouvelle inattendue, confirmée par le groupe : un communiqué de quelques lignes affirme en effet que « Hermione People & Brands (HPB) annonce l'acquisition de Gap France par le Groupe Go Sport ».

Tout en précisant que « cette annonce a fait l'objet d'une information-consultation auprès des CSE extraordinaires des deux entreprises, réunis mardi 10 janvier 2023 » et aurait pour « objectif de renforcer l'activité Lifestyle et Sportwear de ces deux marques de HPB, tout en préservant leurs stratégies spécifiques ». Contactée, la direction n'a pas donné suite à nos demandes d'interviews.

En interne, on confirme cependant que ce scénario aurait été présenté comme « déjà acté en date du 26 décembre ». «De qui se moque-t-on ? », se demande une source syndicale, qui rappelle à La Tribune que la société Gap France ne peut pas être considérée comme une croissance externe, puisqu'elle fait elle aussi partie des sociétés reprises pour un euro symbolique par HPB.

« On utilise cet argument pour nous dire que 36 millions sont remontés au sein du groupe, pour financer le rachat de Gap France, qui en vaudrait 38 millions : or, près de 10 millions correspondent déjà à une ligne de reverse factoring, ce qui voudrait dire Go Sport devrait encore 12 millions à HPB pour l'achat de Gap France, pour une société qui va apporter quelles synergies et quelle stratégie à un réseau de distribution d'articles de sport comme le nôtre ? », contrecarre un délégué FO, qui s'agace par ailleurs que le processus d'information-consultation sur cette vente se déroule lui-même une fois l'opération clôturée.

Celui-ci soupçonne désormais que le groupe HPB de rechercher à se délester de deux enseignes en même temps, ayant toutes deux bénéficié d'un PGE (voire même de deux PGE dans le cas de Go Sport, l'un antérieur à son rachat de 35 millions, et l'autre postérieur à cette transaction, de 20 millions d'euros).

Pour l'avocate du CSE de Go Sport, jointe par l'AFP, le montant de ce rachat laisse particulièrement « perplexe, car il n'y a pas de clarté sur la valorisation de Gap France, qui connaîtrait aussi des difficultés. »

« Maintenant que l'on a annoncé l'arrivée d'un nouveau directeur général, spécialisé dans le découpage de sociétés et leur revente, rien ne dit que le nouvel ensemble Go Sport-Gap France ne va pas être à nouveau redécoupé pour être revendu par morceaux », ajoute un délégué syndical CGT.

Les options qui restent sur la table

Dès lors, quelles options restent sur la table ? Tout porte à croire que le tribunal de commerce pourrait décider non pas d'une liquidation immédiate comme dans le cadre de Place de marché, mais d'un placement en redressement judiciaire de l'enseigne, ce qui lui permettrait ainsi de se protéger d'une part de ses créanciers et de maintenir l'emploi, tout en préparant un plan de redressement.

S'il ne le fait pas, le scénario d'une cession par conciliation reste la seconde option la plus probable.

Car depuis quelques semaines, la maison mère HPB oscille entre la volonté de ne pas comparer Camaïeu et Go Sport, et celle de se séparer du distributeur isérois dès que possible. Il avait déjà émis le souhait en fin d'année « de solliciter l'ouverture d'une procédure de conciliation », afin de lui permettre non seulement de continuer à négocier avec des créanciers de manière confidentielle, mais aussi de trouver un repreneur.

Avec l'exercice délicat de conserver une bonne image du réseau, tout en limitant ses pertes : pour cela, les ventes de décembre, une période charnière pour le secteur de la grande distribution, étaient très attendues, malgré les ruptures et difficultés d'approvisionnement rencontrées en magasin depuis plusieurs semaines.

Selon un délégué CGT qui ne souhaite pas être nommé, les ventes en magasin auront été inférieures aux prévisions escomptées, avec une certaine frilosité des clients, qui hésiteraient à acheter désormais des produits comme les vélos, dont les pièces sont garanties sur 2 à 5 ans, « au cas où Go Sport disparaisse ».

Il ajoute : « les soldes viennent de démarrer et nous avons reçu un listing très étendu de la part du siège, avec des rabais très agressifs sur les produits qu'il nous reste, ce qui fait plus penser à une liquidation qu'à des soldes d'hiver... On sent également la volonté de faire rentrer du cash ».

Un empire de la distribution qui se met à tanguer

Tous les scénarios semblent donc encore sur la table, d'autant plus qu'une mise sous délibéré du jugement à l'issue de l'audience reste elle aussi possible. Avec une question de plus en plus prégnante : l'avenir de l'un des plus gros dossiers sociaux de ce début d'année pourrait-il générer des ricochets jusqu'au cœur de l'empire, bâti par Michel Ohayon ?

L'homme d'affaires bordelais est, pour rappel, à la fois présent dans l'hôtellerie de luxe (Grand Hôtel de Bordeaux, Waldorf Astoria Trianon Palace Versailles), dans le milieu du vin, mais aussi dans la distribution, avec une stratégie de rachats d'enseignes à bas prix à la barre des tribunaux de commerce (Go Sport, Camaïeu, Galeries Lafayette en régions, La Grande Récré, Gap France ou encore Café Légal au Havre).

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