Biogaz : une filière régionale en croissance... mais freinée par ses tarifs de rachat

DECRYPTAGE. En pleine crise énergétique, il s'agit de la première étude qui chiffre précisément le potentiel des gaz verts à l'échelle régionale, pas uniquement en termes de production, mais aussi d'emplois et de perspectives de recrutements... Et ses premiers chiffres dessinent une filière en plein boom, mais qui attend beaucoup de la loi sur l'accélération des énergies renouvelables (ENR), notamment sur le plan de ses tarifs de rachat pour l'injection sur le réseau, qui, après une baisse courant 2020, ont mis un coup d'arrêt aux nombreux projets de la filière.
Les projections effectuées sur l’emploi dans la filière biogaz à l'échelle régionale démontrent une augmentation des besoins à court terme compris entre +12% et +32%, malgré un trou d'air anticipé en 2023-2024, en raison de la baisse des tarifs du biométhane injecté, qui a impacté le modèle économique des projets en cours de développement.
Les projections effectuées sur l’emploi dans la filière biogaz à l'échelle régionale démontrent une augmentation des besoins à court terme compris entre +12% et +32%, malgré un trou d'air anticipé en 2023-2024, en raison de la baisse des tarifs du biométhane injecté, qui a impacté le modèle économique des projets en cours de développement. (Crédits : DR)

Le focus était mis sur l'emploi, mais cette étude, qui s'annonce comme une première régionale, en a également profité pour faire un point sur les perspectives de développement des projets du biogaz. Et ils sont à la fois nombreux, mais également freinés par le contexte actuel.

Car depuis le démarrage de la guerre menée par la Russie en Ukraine, les biogaz (ou gaz verts) sont en plein boom : le plus souvent produits à partir d'unités de méthanisation issus des productions agricoles ou de la valorisation des ordures ménagères, ils présentent en effet une alternative "verte" aux énergies fossiles, et aussi l'avantage de pouvoir être réinjectés, au sein du réseau du gaz naturel, pour des usages domestiques ou industriels, ou encore transformés en carburant (BioGNV).

En Auvergne Rhône-Alpes, une région déjà connue pour ses expérimentaions en matière d'hydrogène à travers des projets comme Zero Emission Valley, la filière des biogaz n'est en réalité pas en reste : elle emploierait actuellement près de 3.000 équivalents temps pleins à l'échelle régionale (selon des projections réactualisées depuis 2018), au sein de 136 unités de méthanisation en fonctionnement, dont 28 en injection (contre 15 en 2020). Soit un total de 172 entreprises régionales liées à la filière.

Selon les derniers chiffres compilés en décembre 2020, près de 2%de la production d'EnR en Auvergne-Rhône-Alpes était issue du biogaz.

Côté bioGNV également, la production bénéficie d'une forte dynamique en Auvergne-Rhône-Alpes, avec un parc de véhicules GNV qui a connu lui aussi une augmentation de +50% entre 2020 et 2021. On dénombre ainsi près de 1.166 camions (+48% en 2021) et 500 bus et cars (+55%) en circulation dans la région.

"On constate qu'il existe des unités régionales globalement de petite taille par rapport à la moyenne nationale, mais avec une propension à couvrir l'ensemble de la chaîne de valeur et des métiers du biogaz. On y retrouve aussi une grande diversité d'acteurs, avec des sociétés régionales qui sont devenues des leaders dans leur domaine, comme Prodeval ou Waga Energy, ainsi qu'une forte présence de bureaux d'études qui proposent des services d'ingénierie à la réalisation de projets", contextualise Hélène Odic, manager des activités liées à la durabilité et au changement climatique au cabinet d'audit Ernst & Young (EY).

La baisse des tarifs de rachat, un coup de frein sur 2023-2024

Mais si les projets d'installation de nouvelles unités ont connu un bond majeur depuis quelques mois, ils s'apprêtent à être freinés, d'après les premiers retours de cette étude, commanditée par le pôle Tenerrdis et menée auprès d'un panel d'entreprises régionales par le cabinet Ernst & Young, aux côtés de plusieurs pôles de compétitivité (Cara, Axelera, Smart Energy Systems Campus) et de la Région Auvergne-Rhône-Alpes.

Avec en cause : la forte baisse du tarif de rachat du biométhane injecté au sein du réseau (en moyenne de -10%, compris entre 50 et 145 euros/MWh), revue par l'Etat le 23 novembre 2020, à la suite de prévisions de baisse des coûts de production, jugées elles optimistes (30% d'ici à 2030).

"On a pu observer que la filière régionale était en très forte croissance depuis 2013, que ce soit en nombre de sites d'exploitation ou de capacité installée sur le territoire. Mais depuis la baisse des tarifs de rachat, la majorité des acteurs que nous avons interrogés ont estimé que cela a provoqué un véritable coup d'arrêt dans la filière et un frein important au développement, qui devrait se voir plutôt sur 2023-2024, compte-tenu du temps de maturation des projets", observe Hélène Odic.

Car pour les projets sur le point de se lancer, cette baisse des tarifs de rachat du biogaz produit a contraint l'ensemble des acteurs à revoir les équilibres économiques de leurs dossiers, à l'exception des projets liés au BioGNV, dont le modèle aurait moins souffert de ce changement de tarification.

"Tous les acteurs auxquels nous avons parlé anticipent un véritable trou d'air qui s'annonce sur 2023-2034, mais avec des perspectives qui demeurent cependant très bonnes, sur un horizon plus large de cinq ans", ajoute Hélène Odic.

Car d'ici là, la filière pousse en faveur d'un retour à une réévaluation du tarif d'achat, sous forme d'aides au développement d'une filière désormais considérée elle aussi comme stratégique, et dont le projet de loi pour l'accélération des énergies renouvelables en cours de discussions à l'Assemblée nationale pourrait être l'un des premiers instruments.

"De potentielles ré-indexation des tarifs d'achat de base, notamment pour les installations de moins de 25GWh" sont attendues, de même qu'un "plan de relance biogaz, en lien avec la situation énergétique gazière".

Puis un redémarrage à la hausse attendus sur cinq ans

"Les acteurs sont assez confiants sur le fait qu'il existe en Auvergne Rhône-Alpes un certain nombre de projets encore viables et capables de développer une croissance sur cet horizon de cinq ans, sur la base d'une renégociation des tarifs avec l'Etat".

Un sentiment qui semble se confirmer par les projections en matière de besoins de main d'oeuvre, puisque dans les deux scénarios (haut et bas) dressés par cette étude, la filière régionale des biogaz s'attend à une croissance de ses effectifs comprise entre +12 à 32% sur cinq ans (soit entre 3.360 et 3.950 équivalents temps pleins au total), en fonction de l'évolution réglementaire.

Un chiffre qu'il est possible de comparer avec les prévisions, dressées pour le secteur voisin de l'hydrogène, dont la croissance des effectifs a été estimée à l'échelle régionale à 1.500 personnes sur trois ans par une autre étude en 2021 (Les Métiers de la filière hydrogène en Auvergne-Rhône-Alpes). De quoi faire dire cependant dire aux analyses que "la filière hydrogène parait plus dynamique que la filière biogaz, car elle ne connaît pas le ralentissement de cette dernière après la diminution des tarifs d'achat".

En attendant, cette première étude sur les biogaz mentionne une tension toute particulière sur le recrutement des techniciens, des profils déjà en forte tension dans d'autres secteurs industriels en Auvergne Rhône-Alpes, qui émarge toujours au rang de première région industrielle française.

"C'est un constat assez général de manque de candidats que l'on retrouve sur l'ensemble des filières industrielles, avec un manque d'attractivité de ces métiers qui nécessitent souvent des déplacements, face aux attentes des candidats qui souhaitent une meilleure conciliation vie professionnelle-vie personnelle".

Des pistes de préconisations

Et d'ajouter : "Même si la filière biogaz anticipe une petite baisse du nombre de projets liée au tarif de rachat, celle-ci n'aura pas d'incidence sur les forts besoins à court comme à plus long terme de la filière sur le plan des techniciens", complète Hélène Odic.

C'est pourquoi en marge de cette étude, le cabinet EY a adressé ses préconisations aux acteurs du biogaz : à commencer par la création d'un groupe de travail transversal biogaz avec les principaux acteurs institutionnels de la région. "Il existe déjà des forces en place qui couvrent l'ensemble de la chaîne de valeur, avec des pôles de compétitivité, des entreprises leaders et un tissu diversifié de TPE et PME, des acteurs de la formation et même des entreprises qui créent leurs propres formations afin de répondre à leurs besoins. Tout l'enjeu sera de mieux coordonner leurs actions".

Seconde piste de réflexion : l'instauration d'une cartographie des différents métiers, afin de déterminer quelles peuvent être les passerelles et profils susceptibles d'entamer une reconversion. "C'est aussi l'occasion de formaliser un catalogue de formation qui puisse regrouper des actions jusqu'ici assez éparses sur le territoire".

Enfin, l'étude note également l'existence de freins qui demeurent également géographiques, notamment sur le domaine de la formation en apprentissage, entre les bassins de formation, souvent situés à proximité des grandes métropoles comme Grenoble ou Lyon, et les employeurs, plutôt basés en zone rurale. "Cela peut poser des problématiques très pratico-pratiques que l'on oublie souvent, mais qui peuvent constituer un véritable frein pour la main d'oeuvre", ajoute Hélène Odic.

(publié le 13/12/2022 à 13:00, actualisé à 18:22)

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaires 2
à écrit le 14/12/2022 à 8:44
Signaler
Mille fois d'accord avec vous ! sans les adhérents de la fnsea qu'aurions nous englouti depuis la fin de la IIIème guerre mondiale ?! des nems, des tacos, des sushis, des hamburgers peut-être ?!

à écrit le 14/12/2022 à 8:39
Signaler
Ce sont les gens chagrins comme Citoyen Indigne niais base électorale de Meluche qui constituent une bonne boussole inversée des évolutions souhaitables et réalisables de l'économie

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.