Crise de l’énergie, recrutements, EmLyon : « Nous entrons dans une phase où c’est la créativité qui prime » (CCI Lyon Saint Etienne Roanne)

INTERVIEW. À l’occasion d’une mission économique au Québec, le président de la CCI Lyon Saint-Étienne Roanne, Philippe Valentin, est revenu avec La Tribune sur les multiples enjeux qui se posent actuellement aux entreprises régionales : crise de l’énergie, risques de défaillances, vision de l’attractivité à la lyonnaise, mais aussi enjeux liés à l’export ou aux mobilités (avec l’accélération des ZFE et l’injonction de passer plus rapidement au RER à la lyonnaise)… Une occasion d’esquisser aussi la feuille de route du futur président du conseil de surveillance de l’EmLyon, Guillaume Pepy, qui acte également d'une nouvelle phase de transformation pour l'école de commerce consulaire.
A l'heure où l'EmLyon, l'école de commerce consulaire bâtie par la CCI Lyon Saint Etienne Roanne, entame une nouvelle étape de son parcours avec l'arrivée du fonds Galiléo et de l'ex-patron de la SNCF Guillaume Pepy à son conseil de surveillance, Philippe Valentin est également venu rencontrer les grandes écoles montréalaise McGill, Corcordia, et HEC Montréal.
A l'heure où l'EmLyon, l'école de commerce consulaire bâtie par la CCI Lyon Saint Etienne Roanne, entame une nouvelle étape de son parcours avec l'arrivée du fonds Galiléo et de l'ex-patron de la SNCF Guillaume Pepy à son conseil de surveillance, Philippe Valentin est également venu rencontrer les grandes écoles montréalaise McGill, Corcordia, et HEC Montréal. (Crédits : DR)

LA TRIBUNE - Vous vous êtes rendu à Montréal, et notamment aux Entretiens Jacques Cartier, afin d'y mener en parallèle une mission économique aux côtés de l'agence d'attractivité que vous coprésidez avec la Métropole de Lyon, l'Aderly : deux ans après la pandémie, qu'est-ce qui vous a conduit à mettre le focus sur le marché québécois ?

Philippe Valentin - Deux raisons nous ont porté à conduire cette mission : d'abord, le fait de renouer la connexion physique après deux années de crise sanitaire. Et bien que notre connexion avec la partie universitaire et culturelle est, et a toujours été présente avec Lyon, le volet économique commençait à s'essouffler.

Le but, c'était surtout de montrer que le monde économique était présent. Ensuite, on veut redéployer nos connexions, et voir comment on peut travailler ensemble. J'ai le sentiment qu'il y a eu une petite étincelle durant ces trois jours, il s'est passé quelque chose.

Le Québec se positionne comme la porte d'entrée d'Amérique du Nord : revenir au grand export après ces deux années d'échanges uniquement en distanciel, face à un marché québécois qui lui aussi resserré ses conditions d'entrée, c'était un signal "nécessaire" pour rediriger les entreprises régionales vers l'export ?

C'est un levier parmi tant d'autres. On voit aujourd'hui que les entreprises qui cherchent à pénétrer le marché américain ont bien intégré que le Québec pouvait constituer une porte d'entrée, une étape intermédiaire. Il y en a aussi d'autres qui veulent vraiment faire affaires au Québec parce que leur business, leur activité, est complètement liée.

Durant ma visite, j'ai pu remarquer qu'il s'agissait d'un marché où les contacts se font de manière très directe, très orientée vers le business. Cette visite a été une occasion de transformer les discours en actes.

Vous avez rencontré l'homologue de l'Aderly, l'agence d'attractivité Montréal International ? Quelles leçons tirez-vous de leur positionnement ?

Nous nous sommes aperçus que nous faisions face aux mêmes problématiques, hormis celle du coût de l'énergie. Nous avons parlé plutôt de méthodologie, avec la notion du mesurage de nos indicateurs d'attractivité.

Nous partageons aussi des enjeux de durabilité de nos investissements. C'est-à-dire qu'arrivé à un certain volume d'entreprises accueillies, l'enjeu est d'être capable de se demander au bénéfice de quoi les investissements sont réalisés.

A ce sujet, Montréal International a par exemple développé des indicateurs, comme les niveaux de salaires moyens générés par les investissements étrangers, qui sont intéressants à étudier pour mettre en lumière la richesse générée sur le territoire.

Aujourd'hui, on sent qu'il se passe quelque chose sur ce marché, avec une volonté de travailler de façon collaborative sur nos enjeux communs.

Un petit mot sur la santé de nos entreprises lyonnaises : on a craint des faillites à l'issue de la période des aides d'urgences. Alors que celles-ci commencent à rembourser leurs PGE, on voit qu'aujourd'hui, les indicateurs s'obscurcissent, comme le rappelait le président du Tribunal de commerce de Lyon, Thierry Gardon. Un élément d'inquiétude pour vous ?

De ce point de vue-là, la situation s'avère un peu inquiétante. Car d'une part, on voit bien qu'il existe un optimisme débordant, une résilience incroyable de la part des entreprises, mais de l'autre, celles-ci demeurent également otages de cette crise énergétique, pour laquelle on n'a pas vraiment de solutions à offrir.

Lorsque vous avez un poste de coûts qui se multiplie par deux voire par cinq, on se retrouve dans une voie sans issue. Il est nécessaire d'avoir un dispositif comme le bouclier tarifaire qui puisse bloquer les prix, car sans cela, les entreprises n'y arriveront pas par elles-mêmes.

Le gouvernement a récemment annoncé un nouveau guichet simplifié pour les aides d'urgence...

C'est un début de réponse, mais ce n'est pas forcément suffisant. D'autant plus qu'à ce jour, je n'ai pas la connaissance de la volumétrie précise, mais il faut dire que l'on n'observe pas encore les effets immédiats de la crise au niveau énergétique. Ce que l'on craint, c'est un effet domino qui puisse affecter l'ensemble de la chaîne de valeur.

Vous alertez également sur la problématique de l'emploi, un terrain de jeu où la situation régionale se tend fortement ?

C'est un enjeu qui perdure et qui touche désormais un spectre très large d'entreprises. Tout le monde est concerné.

On a d'ailleurs vu que l'homologue de l'Aderly, Montréal International, a développé sa propre plateforme de recrutement des talents : c'est une mesure très intéressante, que nous venons de découvrir. Je ne sais pas si c'est transposable tel quel à la France, mais nous nous sommes tous regardés en se disant : là, il y a quelque chose à creuser.

En France, on a des industriels qui réfléchissent à produire la nuit pour que les prix d'énergie soient plus bas. Des réflexions similaires sont-elles à l'étude en AURA ?

Nous entrons dans une phase où c'est vraiment la créativité qui prime. Il faut savoir sortir du cadre et proposer quelque chose de sur mesure. Au niveau de la plage horaire, on a déjà des boulangers par exemple qui se sont posés la question de changer leurs habitudes et de mettre en route leurs outils plus tard.

Toute solution, même originale ou qui paraisse un peu saugrenue, devient, dans un contexte très contraint, une piste de solutions. Il ne faut pas hésiter.

Existait aussi la crainte que cette situation n'entraîne des baisses de production très fortes. On a déjà connu des exemples assez marquants à l'échelle nationale comme Duralex, mais pas encore vraiment en Auvergne Rhône-Alpes, qui demeure la première région industrielle ?

Pas pour l'instant. Les entreprises qui s'étaient structurées en amont de cette phase difficile ont pour l'instant pu ralentir et écouler leurs stocks. Mais ce n'est pas une solution à long terme, car cela permet uniquement de passer un moment délicat.

De la même façon, lorsqu'on doit réaliser des plans de maintenance des usines, on le faisait jusqu'ici de la manière la plus courte possible tandis qu'aujourd'hui, on tente au contraire d'allonger au maximum ces phases, parce que le contexte est différent. On exploite donc ces voies qu'on n'avait jamais imaginées auparavant.

Un mot sur l'EmLyon : ce voyage va aussi servir à la CCI de Lyon, qui demeure le principal actionnaire de l'école de commerce lyonnaise, à rencontrer de nouveaux partenaires, tels que les prestigieuses écoles McGill, Corcordia, et HEC Montréal. L'EmLyon qui a connu des moments difficiles en termes de gouvernance, et a été la cible il y a peu d'un rapport de la Chambre régionale des comptes. Vous souhaitez impulser un nouvel élan à l'international, en parallèle à la recapitalisation de l'école ?

On a fait entrer le fonds (européen, ndlr) Galileo, qui nous offre ainsi une couverture mondiale en termes de possibilités. Car aujourd'hui, nous nous situons bien au coeur d'une bataille mondiale sur le terrain de la formation. Avec cette augmentation de capital, on se donne donc la capacité de pouvoir s'associer à des universités et des lieux emblématiques. Nous ne pouvons pas encore en dire plus, mais cela va être assez décapant.

De la même façon, on a fait rentrer Guillaume Pépy à la présidence du conseil de surveillance. Et puis le fonds Téthys (holding familiale de la famille Bettencourt, ndlr), qui s'inscrit aussi sur le long terme. La prochaine étape sera ensuite de travailler sur une forme d'hybridation, car dans ce type de discussions, chacun dispose de son propre champ d'excellence.

Quelle est la forme visée par ces nouveaux partenariats : des doubles diplômes, des échanges d'étudiants, etc ? L'idée est d'apporter un nouveau rayonnement international à l'EmLyon en dehors de l'Europe ?

Nous avons créé l'EmLyon il y a 150 ans, et nous avons mis les conditions financières sur la table pour qu'elle puisse se réaliser. Aujourd'hui, tout l'enjeu est de voir comment nous associer avec d'autres établissements majeurs, sur des enjeux technologiques communs comme l'IA, le management, etc.

Nous travaillons déjà avec d'autres lieux emblématiques et aujourd'hui, en termes de partenariats, tout est ouvert et envisageable. Nous démarrons les discussions. Une chose est certaine : le fait d'oxygéner, y compris financièrement et avec des partenaires solides, permet à l'EmLyon de libérer les énergies.

Vous avez annoncé récemment l'arrivée de l'ex-patron de la SNCF, Guillaume Pepy à la présidence du conseil de surveillance de l'école : c'est un profil de haut vol et de transformation pour une école de commerce, un candidat qui vous paraissait aussi « naturel » ?

Cela s'est fait de façon très rapide, très naturelle. Guillaume Pepy est quelqu'un qui a une longueur de vue très intéressante et qui va contribuer aussi à apporter un maximum d'éléments positifs à l'EmLyon, y compris dans la gouvernance du conseil de surveillance.

L'enjeu sera aussi d'agréger tous les talents qui veulent bien accepter le challenge. Ce qui est nouveau, et ce qui nous rassure, c'est que l'EmLyon plaît et intéresse. On a été un petit peu chahutés durant un certain temps mais les choses sont désormais en train de se mettre en place. On discute désormais de l'avenir.

Pour autant, son profil était plutôt marqué par sa carrière de haut fonctionnaire au sein du domaine des transports (publics) avec la SNCF ?

A un certain niveau, ce qui caractérise ces hommes, c'est d'abord une certaine longueur de vue et une capacité à intégrer les sujets de façon très rapide. Je crois justement beaucoup au décloisonnement des expériences et du savoir.

C'est-à-dire que si l'on prend uniquement des personnes hyper-spécialisées dans un domaine, cela devient dommageable car on devient trop pointu. Parfois, les choses coincent justement parce qu'on n'a pas eu cette approche systémique.

Sur la scène lyonnaise, on a la fameuse question du RER métropolitain qui a fait la manchette avec Emmanuel Macron, qui évoque dans une vidéo YouTube « dix dossiers » à relancer comme celui de Lyon : une réaction pour le monde économique, qui avait participé à un collectif en 2021 portait la question du RER lyonnais au sein même des élections Régionales ?

Ce que l'on peut dire, c'est qu'il est toujours intéressant d'agir sur la mobilité car c'est une question intimement liée à l'économie, tout comme celle du logement. Après, tout l'enjeu va être de savoir ce qu'il y a derrière.

Lorsqu'on propose d'oxygéner un dispositif en lui apportant un nouveau financement, on ne peut pas dire que l'on n'est pas intéressés, ce serait complètement incohérent.

Mais la question, c'est surtout de savoir comment l'on s'y prend et surtout, de déterminer le pourquoi de ce projet et sa cible. Malheureusement, en France on raisonne souvent sur la question du comment sans évoquer le pourquoi. Un dossier comme celui-ci prend nécessairement une stratégie globale, une dorsale.

Il pourrait néanmoins répondre à une partie des enjeux de la ZFE lyonnaise, qui est portée et accélérée par la nouvelle majorité écologiste à Lyon ?

Au sujet de la ZFE, la position de la CCI est très claire : nous ne sommes pas contre, mais la question qui se pose est cette fois celle de la méthodologie. Tout en étant d'accord sur la logique, notre message est de dire : attention, la mise en œuvre qui peut devenir complexe, car cela peut avoir des effets non bénéfiques à court terme qui détruisent l'élan du dispositif.

On se rend en effet compte qu'il existe beaucoup d'entreprises et de citoyens n'ayant pas perçu les enjeux qui vont se poser face à eux dans cette ZFE. Des aides ont été mises en place avec des dérogations, mais nous allons nous heurter à la question du pratico-pratique et à la partie financière qu'il faut adosser pour passer d'un modèle à un autre.

Nous disons simplement qu'il ne faut pas confondre vitesse et précipitation. Parce que le monde économique n'est pas aussi agile qu'une décision politique. D'un autre côté, si on ne se fixe pas de détail des jalons, les citoyens se disent ce n'est pas sérieux. Mais on va le faire intelligemment et concerter l'ensemble des acteurs.

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