Les forfaits de ski moins chers pour les habitants des stations : pourquoi c'est fini (1/2)

Ce pourrait être la fin d'un bras de fer, amorcé depuis l'entrée en vigueur de la Loi Montagne en 1985, et qui bénéficiait jusqu'ici d'une forme de tolérance : depuis cet été, le préfet de Savoie a demandé officiellement, comme sur d'autres territoires, la fin des réductions (aussi appelées tarifs spéciaux) qui étaient jusqu'ici pratiqués par les stations de ski, en faveur des habitants. Une mauvaise nouvelle pour le renouvellement de la clientèle locale, en pleine flambée de l'inflation, que les stations de montagne travaillent déjà à compenser avec la création de nouvelles formules tarifaires.
Après deux années de Covid, la discrète révolution à laquelle se préparent les stations est aussi celle de la fin des tarifs spéciaux pour les gens du pays : car pour se conformer à la Loi Montagne, les stations ne pourront plus proposer de tarif spécial qui ne soit pas accessible à tous, c'est-à-dire aux locaux comme aux touristes français ou étrangers, ce qui pose un réel casse-tête dans l'équilibre d'une tarification générale à proposer à ses clients.
Après deux années de Covid, la discrète révolution à laquelle se préparent les stations est aussi celle de la fin des tarifs spéciaux pour les "gens du pays" : car pour se conformer à la Loi Montagne, les stations ne pourront plus proposer de tarif spécial qui ne soit pas accessible à tous, c'est-à-dire aux locaux comme aux touristes français ou étrangers, ce qui pose un réel casse-tête dans l'équilibre d'une tarification générale à proposer à ses clients. (Crédits : David André/S3V)

Cette fois, il n'est pas tout à fait question de la hausse des coûts de l'énergie, ni même des conséquences directes de l'inflation... Même si le sujet existe (avec de premières augmentations sur les prix des forfaits de ski, attendues dès cet hiver), c'est désormais directement le porte-monnaie des ménages locaux, qui sera bientôt touché par la fin d'un régime spécial : car depuis la naissance des stations, les "gens du pays", résidant sur la commune à l'année, pouvaient bénéficier de réductions sur le prix de leurs forfaits de ski.

"Les tarifs spéciaux, à destination des résidants, existaient dans quasiment toutes les communes de montagne, mais c'est un système qui arrive à un point où il n'est plus dans le cadre de la légalité", regrette Jean-Luc Boch, maire de la commune de la Plagne (Savoie) et président de l'Association Nationale des Maires des Stations de Montagne (ANMSM), qui regroupe près de 100 stations sur 5 massifs français.

Même si ce n'est pas vraiment de gaïté de coeur que les communes de montagne s'apprêtent à demander aux exploitants des remontées mécaniques de revoir leurs tarifs, certaines y voient une forme de principe d'égalité à respecter : "Quand on prend le métro parisien, on voit bien que les habitants paient le même prix que les savoyards", explique Yannick Amet, président de la communauté de communes de Haute Tarentaise.

Le socle inébranlable de la Loi Montagne

Car depuis l'entrée en vigueur de la Loi Montagne en 1985, le principe d'égalité de traitement au vu de la tarification d'un service public, que constituent les remontées mécaniques d'une station, doit en réalité prévaloir sur la création de tarifs réduits, qui étaient proposés jusqu'ici aux habitants des territoires de montagne.

"Le montant des réductions pratiquées pouvait être très différent d'une station à une autre, mais il pouvait aller de -10 à -80% sur le prix d'un forfait classique", résume Jean-Luc Boch.

Une disposition également justifiée, selon le maire de Bourg-Saint-Maurice / les Arcs, Guillaume Desrues, par le fait que "depuis la naissance des stations il y a près de 50 ans, ont été menées un certain nombre d'expropriations et de cessions de terrains comme dans le cas des Arcs, avec l'idée de dire que l'on mettait en place un nouveau tourisme hivernal sur le territoire mais qu'en contrepartie, ses habitants et les jeunes puissent avoir accès au ski".

Lire aussiForfaits de ski à prix réduits : comment Bourg Saint-Maurice/ Les Arcs espère encore faire jurisprudence

Aux Arcs, le maire note que l'application de ce principe "d'équité pour tous" signifierait concrètement une hausse des tarifs du forfait saison pour ses habitants, qui passerait ainsi de 600 euros annuels pour une famille de quatre personnes à 2.400 euros... Et cela, alors que près de 4.000 des 7.000 habitants de la commune accédaient jusqu'ici à ce tarif préférentiel.

"Il est à craindre que beaucoup de familles ne puissent plus se payer le forfait et ne viendront par conséquent plus skier ou devront faire des choix entre leurs enfants et eux-mêmes", estime l'élu, qui alerte sur cette réglementation conduise les stations à fonctionner en "vase clos".

A Saint-Foy en Tarentaise, les locaux réglaient jusqu'ici un tarif concurrentiel de 200 euros l'année pour skier à proximité de chez eux, "ce qui représentait déjà une réduction de 60 à 70%", rappelle Yannick Amet, maire de la commune et président de la communauté de communes de Haute Tarentaise (qui représente 8 communes dont Sainte-Foy, Bourg-Saint-Maurice/ les Arcs, Val d'Isère, etc).

La tolérance zéro qui prime

Pourquoi la question est-elle soulevée aujourd'hui ? "Parce que c'est désormais la tolérance zéro qui va être appliquée, jusqu'ici on avait laissé en quelque sorte les choses se tasser, et personne ne voulait remettre en cause un avantage à destination des habitants d'un territoire", résume le président de l'ANMSM.

Mais après le signalement systématique de ces pratiques au sein des rapports financiers édités par la Chambre régionale des comptes, lors de ses études, c'est le Préfet de Savoie qui a édicté cet été, en date du 5 juillet dernier, une circulaire demandant à l'ensemble des stations de se mettre en conformité, à titre d'ultimatum, arguant la défense de l'égalité des usagers.

Contactée, la Préfecture de Savoie n'a pas donné plus de précisions à ce stade mais la Chambre régionale des comptes d'Auvergne Rhône-Alpes confirme que ces points ont été systématiquement signalés au cours de son programme de rapports réguliers, qui passe au crible les finances des collectivités. Cela a notamment été le cas pour les communes savoyardes de Saint-Bon Tarentaise Courchevel, La Clusaz, Bourg-Saint-Maurice, Grande Plagne, Courchevel, mais aussi de leurs voisines Les Gets (Haute-Savoie), ou encore des iséroises (Alpe d'Huez, Saint Christophe-en-Oisans ou Mont-de-Lans).

Une chose semble certaine : le contexte semble désormais décidé à s'unifier depuis le sommet de l'Etat.

"Le même arrêté avait déjà été pris en Haute-Savoie en 2016 et cela se généralise désormais progressivement à tous les départements français qui sont concernés", constate Jean-Luc Boch. Avec, en ligne de mire, une question qui va bien au delà du forfait lui-même, puisqu'elle est censée garantir l'égalité de tout citoyen devant un service public.

Ne pas faire payer n'importe quel prix aux acteurs locaux

Désormais, l'industrie doit donc se mettre en règle dès cet hiver, même si Jean-Luc Boch concède que cela ne pourra qu'impacter le porte-monnaie des habitants :

"C'est principalement pour les habitants de ces territoires que l'impact sera visible, mais il s'agira de trouver le juste compromis entre l'équilibre, qui devra être conservé dans le cadre d'une DSP puisque celle-ci ne peut pas être déficitaire et engage la responsabilité de l'exploitant, et de l'autre, l'engagement de ne pas faire payer n'importe quel prix aux locaux...".

Concrètement, les stations ne pourront plus proposer de tarif spécial qui ne soit pas accessible à tous, c'est-à-dire aux locaux comme aux touristes français ou étrangers, ce qui pose un réel casse-tête dans l'équilibre d'une tarification générale à proposer à ses clients.

Plusieurs modèles sont d'ailleurs étudiés au cas par cas par les communes de montagne et leurs gestionnaires des remontées mécaniques : La Plagne a par exemple opté pour l'identification de solutions respectant le cadre de la loi, catégorie d'usager par catégorie d'usager : avec par exemple, les jeunes de -18 ans, les adultes de 19 à 74 ans, les seniors de +75 ans, ainsi que les moniteurs de ski via des conventions tripartites, ou encore les salariés des restaurants d'altitude...

Dans la communauté de communes de Haute Tarentaise, des réflexions sont engagées afin que le CCAS puisse prendre en charge une aide destinée aux familles qui n'auraient pas les moyens de payer le prix public pratiqué par les remontées mécaniques, pour les enfants notamment : "Bien entendu, cela va se traduire par un coût qui devra être supporté par les communes", traduit Yannick Amet, qui admet que ce budget est encore en cours de chiffrage.

Autre possibilité citée : certaines stations comme Val d'Isère miseraient par exemple sur la baisse du prix facial du forfait annuel, qui était jusqu'ici fixé aux alentours de 1.200 euros, pour un prix public abaissé à 990 euros la saison, sur lequel une campagne de réduction de 30%, ouverte à tous, pourrait être appliquée au démarrage de la saison.

"La situation risque d'être compliquée pour tout le monde, mais il y a certainement des moyens intelligents à trouver plutôt que d'essayer de passer en force auprès de l'Etat", note Yannick Amet, qui observe que dans les Alpes du Sud, la fin des tarifs spéciaux était par exemple déjà engagée et se serait réalisée sans encombre.

Le défi de convaincre la jeunesse locale de se mettre au ski

Pour Jean-Luc Boch, nul doute que les enfants demeureront le public prioritaire sur lequel se cristallise les réflexions : car les stations de montagne ont déjà, depuis plusieurs années, le défi de devoir assurer  le renouvellement de leurs pratiquants, alors même que seuls 7 à 8 % des Français en moyenne pratiquent effectivement le ski.

Une question qui mobilise d'ailleurs tous les acteurs de la filière : "Imaginer que le tarif pour réaliser une journée de ski soit le même pour tous peut interroger sur la capacité des familles d'avoir accès, à l'avenir, à la possibilité de faire du ski. Car même s'il existe des dispositifs financés par les Départements, notamment sur le temps scolaire, il est à regretter que le ski reste, pour certains locaux un loisir inaccessible, alors que ces jeunes qui vivent sur le territoire devraient en être les principaux ambassadeurs", souligne Michaël Ruysschaert.

Le directeur général de l'Agence Savoie Mont Blanc rappelle au passage qu'une étude datant de 2017 mentionnait déjà, à l'époque, le défi que représente la pratique du ski pour les nouvelles générations du territoire, avec un chiffre : 70% des petits chambériens, résidant à une heure des pistes, n'étaient en réalité jamais allés au ski.

"Le tarif, voire la gratuité pour les enfants, comme on le voit déjà dans des parcs d'attractions, sera probablement le premier sujet à adresser dans une optique de renouvellement de la clientèle que l'on doit pousser aujourd'hui, puisque l'on sait que l'on perd encore plus de papy-boomers que l'on n'arrive pour l'instant à attirer de jeunes skieurs", ajoute Michaël Ruysschaert.

Une forme de résistance se profile néanmoins aux Arcs

Alors que jusqu'ici, "très peu de stations" avaient encore fait le pas vers ce changement de mode de tarification, l'ANMSM se veut réaliste : "Même si nous trouvons cela totalement injuste, l'ensemble des communes devra se conformer à cette nouvelle règle dès cet hiver", affirme son président.

La question se posera même jusque sur les tarifs spéciaux accordés jusqu'ici aux saisonniers des stations, et qui pourraient continuer de donner lieu à une forme de dérogation, au cas où le règlement d'un forfait de droit commun soit prévu comme un avantage en nature et réglé par l'employeur lui-même.

"D'autres solutions sont en cours de réflexion, comme la mise en place d'une forme associative, qui permettrait de bénéficier de tarifs groupés, ou la mise en place de forfaits pour skier quelques jours par semaine. Ces solutions forment une première étape et seront par la suite améliorées, sur la base des retours d'expérience", affirme l'ANMSM.

Pour Fabrice Pannekoucke, conseiller régional et président de la communauté de communes Coeur de Tarentaise, située aux pieds des stations de la vallée de Moûtiers, "il faut bien entendu donner les meilleurs conditions pour que tous les publics, de surcroit locaux, puissent profiter de ce que peut offrir la montagne même si aujourd'hui, la question nous échappe un peu, avec une règle qui s'impose à nous et qu'il faut appliquer".

Bien que sa propre commune n'ait pas accès directement aux tarifs "gens du pays" pratiqués au sein des stations voisines, il estime que "chaque station devra s'adapter afin de voir à quel public s'adresser" et espère "que des facilités puissent avoir lieu, notamment au bénéfice des jeunes publics".

Aux Arcs, le maire Guillaume Desrues, issu d'une liste citoyenne, a quant à lui entamé une forme de résistance en prenant une délibération en date du 30 juin dernier, expliquant pourquoi sa commune validait à nouveau pour l'année à venir les tarifs spéciaux destinés au "gens du pays". Une délibération attaquée depuis par le préfet de Savoie, comme nous l'expliquons ici, qui renvoie la commune devant le tribunal administratif.

Contacté, le syndicat professionnel des remontées mécaniques, Domaines Skiables de France, qui regroupe 250 stations sur 6 massifs, renvoie pour sa part directement le sujet aux autorités délégantes dont c'est la compétence, c'est-à-dire aux communes de montagne qui seront sur cette question en première ligne.

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Commentaires 5
à écrit le 27/09/2022 à 10:00
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Bonjour, Vous oubliez aussi le tarif étudiant tres très abordable pour les étudiants en ville aussi que le tarif annuel Ce qui n ai pas notre cas en station, le tarif n est fait que pour le vacancier

à écrit le 23/09/2022 à 17:28
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Ce gouvernement n'a honte de rien. L'équité, quel prétexte pour asséner des coups sur ceux qui vivent loin de Paris. Quand aura-t-on le courage d'aligner le système de retraite du public sur celui du privé ? Ca, ce serait équitable.

à écrit le 22/09/2022 à 18:52
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Equité? Je suis d'accord. Supprimons aussi les billets a tarif réduit pour les familles d'employés de la SNCF les billets GP des familles d'employés air France les billets SNCF des généraux en retraite ou les militaires en activité les avantages des...

à écrit le 22/09/2022 à 18:24
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Et bien d'accord ! Par contre les avantages sncf , air France , engie , les cartes metro parisien tout ça on l'arrête bien sûr et l'entretien des remontées mécaniques qui est payé par le contribuable local incombera à la collectivit...

à écrit le 22/09/2022 à 13:38
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Stupide! Hors période scolaire et week end les seuls qui peuvent amortir le coût de fonctionnement des installations ce sont les locaux...dont les retraités forment le gros des troupes.

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