Sobriété énergétique : « Les évolutions technologiques seules ne suffiront pas » (Cluster Montagne) (3/3)

DOSSIER. Alors que les entreprises ont été directement ciblées par le plan de sobriété énergétique du gouvernement, les équipementiers du secteur de la montagne sont concernés à plus d’un titre : ils doivent bien entendu réduire leurs propres consommations, mais aussi imaginer dès aujourd’hui des solutions à fournir aux stations de ski, engagées dans leurs propres plans de réduction. Patrick Grand’Eury, président du Cluster Montagne et directeur général de Lumiplan Montagne, rappelle les défis qui se profilent pour sa filière en matière d’éco-conception, mais aussi de changement de pratiques qui doivent ouvrir la voie à des technologies plus sobres.
D'ici 3 à 4 ans, nous nous tournerons peut-être vers de nouveaux standards concernant par exemple le temps d'attente aux remontées mécaniques pour des questions énergétiques, mais cela ne marchera que si les clients jouent le jeu également et prennent de nouvelles habitudes.
"D'ici 3 à 4 ans, nous nous tournerons peut-être vers de nouveaux standards concernant par exemple le temps d'attente aux remontées mécaniques pour des questions énergétiques, mais cela ne marchera que si les clients jouent le jeu également et prennent de nouvelles habitudes". (Crédits : DR/Cluster Montagne/ G Hugonnard)

LA TRIBUNE - Les entreprises du secteur de l'aménagement de la montagne sont concernées par les cibles de sobriété énergétiques annoncées par le gouvernement, à la fois sur le volet de leur production mais également dans leurs propres opérations ? Ces objectifs seront-ils difficiles à attendre ?

PATRICK GRAND' EURY - Il est certain que pour les entreprises de la filière, le premier impact de ces annonces se situera sur le volet de nos consommations quotidiennes, en se dirigeant vers une attitude plus sobre, comme de limiter l'usage de la climatisation, de mieux gérer le réglage du chauffage, etc.

Mais là où il y aura le plus d'impact, ce sera cependant sur les industriels très fortement consommateurs en énergie, comme les entreprises de la métallurgie, de la plasturgie, ou encore les transformateurs de matières que nous avons dans notre filière, et pour lesquelles se posent de vraies questions industrielles, et encore très peu de visibilité aujourd'hui.

C'est par exemple le cas pour de grands équipementiers comme les fabricants de remontées mécaniques Poma ou MND, qui possèdent eux-mêmes leurs propres outils industriels lourds. Le principal enjeu, c'est que la mutation de ce type d'équipements prend, dans le meilleur des cas, entre un et deux ans. On ne peut donc pas, en l'espace d'un mois ou deux, modifier profondément une technologie ou un mode de production...

Pour atteindre la cible de 10 %, votre filière va également être conduite à repenser ses propres produits ?

Bien entendu, car en plus de la cible de réduire nos propres consommations de 10 % à très court terme, ce qui va être intéressant sera plutôt de s'intéresser à ce que l'on peut faire à moyen et long terme pour abaisser l'impact de nos propres solutions. Mieux éco-concevoir par exemple nos produits, mettre sur le marché des technologies qui consomment moins d'énergie afin d'accompagner nos propres clients dans ces réflexions sont les principales pistes.

Aujourd'hui, les stations de ski se demandent déjà si elles vont devoir arrêter leurs remontées mécaniques plus tôt en hiver, tandis que des industriels comme Poma travaillent déjà sur l'optimisation énergétique de leurs appareils afin de voir comment des automatismes peuvent être ralentis, par exemple, lorsqu'il y a moins d'affluence sur les pistes. Nous devons donc nous aussi accompagner ce changement de comportement, et adapter nos technologies.

La prise de conscience au sein de la filière est-elle désormais "massifiée" par les annonces et le contexte énergétique actuel ?

Les entreprises de la filière avaient déjà bien conscience de la situation, la réflexion sur la sobriété est déjà en place depuis plusieurs années, mais elle se trouve nécessairement accélérée, tout comme la crise du Covid. Nous ne sommes plus à une accélération près... Cette période a su démontrer la résilience de notre filière, qui est quand même soumise à des stress importants depuis près de trois ans.

Ces transformations devront-elles être conduites par la filière elle-même, quel rôle le Cluster Montagne, qui rassemble plus de 100 entreprises spécialisées dans l'aménagement et l'équipement des sites touristiques et de loisirs en montagne, pourra ou devra-t-il jouer pour accompagner ces évolutions chez ses adhérents ?

Nous avions nous-mêmes déjà créé l'an dernier une vice-présidence au développement durable au sein du Cluster, et nous travaillons avec nos membres pour apporter des réflexions à ce sujet. C'est par exemple le cas avec notre Cluster Montagne Labs, qui est une démarche collaborative de co-innovation avec l'ensemble des acteurs du territoire, visant à déterminer quels sont leurs enjeux et contraintes et comment les aider à développer des solutions adaptées dans le domaine de l'optimisation de l'eau, de l'énergie, etc...

La filière tout entière est donc engagée dans une démarche, aux côtés des exploitants de remontées mécaniques, des élus, mais également de l'association France Montagnes. La prise de conscience des acteurs est en route alors qu'il y a à peine six mois, on n'était pas capables d'imaginer l'impact énergétique et l'augmentation des factures qui se profile.

Votre filière pourra-t-elle compter, comme d'autres, sur le tissu des startups pour contribuer à ces innovations ?

Notre filière repose moins sur de gros industriels rachetant des startups que d'autres secteurs, mais il faut rappeler qu'il existe un potentiel d'innovation considérable au sein des TPE-PME également. C'est aussi l'occasion de s'ouvrir à de nouvelles pistes, avec la participation à une conférence en novembre prochain sur le bio mimétisme afin de développer de nouvelles sources d'inspiration pour nos innovations.

Mais l'ensemble de ces nouvelles démarches nécessite aussi de se donner le droit à l'erreur, de réfléchir à des solutions et de les tester, puis de rebondir si cela ne fonctionne pas. Cette forme d'hyper-agilité va durer plusieurs mois voire années, car il s'agit de changements durables.

Sur le volet de l'éco-conception, plusieurs industries s'accordent qu'il reste encore beaucoup à faire : c'est aussi le cas dans l'aménagement de la montagne ?

Il existe en effet des enjeux car typiquement, nous allons chercher à favoriser désormais une production locale, en rapatriant certaines productions lorsque cela est possible, et en essayant de sourcer des produits plus locaux, plus recyclables, etc. Nous allons aussi intégrer l'ensemble du cycle de vie des produits, dans leur dimension recyclage, ainsi que des montages des appareils.

Ce n'était pas forcément des choses qui étaient intégrées dès le départ, au cours des 10 à 20 dernières années... Le rapport à l'énergie des produits à venir va également beaucoup changer : nous sommes par exemple chez Lumiplan en train de mettre sur le marché une première française, qui réside dans un écran à basse consommation pour l'industrie du vélo de tourisme.

Il s'agit très clairement d'une innovation née d'une situation de crise, et de la rencontre avec les acteurs du territoire et leurs besoins. Si nous n'avions pas été à l'écoute les nouvelles tendances du marché, nous n'aurions jamais pu développer ce produit. C'est tout l'aspect vertueux des crises, qui permet une remise en question et une capacité d'innovation importante.

La digitalisation a également été une grande tendance des dernières années, qui commence à se concrétiser par celle des forfaits : est-ce également une piste retenue pour consommer moins demain ?

Tout dépend de la vision que l'on a de la sobriété, car même si le digital signifie l'utilisation de moins de papier et d'impact sur l'environnement, on peut se dire que ce n'est pas forcément vrai aujourd'hui, lorsque l'on prend d'une part la gestion durable des forêts, et de l'autre celle de la consommation énergétique des data centers.

Ce n'est pas parce que l'on dématérialise un procédé qui il y a nécessairement zéro impact. On peut tout aussi bien avoir des solutions classiques et raisonnées, à relativement faible impact environnemental.

La digitalisation permet en effet la simplification, l'accélération, ainsi que d'amener du confort dans l'expérience client, mais le "tout digital" ne sera pas nécessairement la solution non plus. Un séjour à la montagne est aussi une question d'humain et de rencontres, on ne peut pas tout robotiser.

En matière d'innovation, on attend souvent beaucoup de la technologie : est-ce que ce sera la principale réponse aux enjeux énergétiques de votre filière ?

Je peux simplement dire par conviction et en travaillant avec les industriels de la filière tous les jours, que les évolutions technologiques seules ne suffisent et ne suffiront pas. Les innovations technologiques n'ont de sens que si elles rencontrent leur marché, et également un travail d'éducation et de prise de conscience de la part de la clientèle.

Il faudra par exemple voir si les skieurs sont prêts à accepter une fin de journée plus courte, ou d'attendre 10 ou 15 minutes à un endroit, avant que l'on démarre une remontée mécanique pour s'assurer d'un certain remplissage.

Jusqu'ici, nous nous étions surtout placés dans une logique de cadencement horaire, mais certaines règles peuvent être amenées à changer.

D'ici 3 à 4 ans, nous nous tournerons peut-être vers de nouveaux standards concernant par exemple le temps d'attente aux remontées mécaniques pour des questions énergétiques, mais cela ne marchera que si les clients jouent le jeu également et prennent de nouvelles habitudes.

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