La fin de l’Abondance ? Un coup de pub inespéré pour une filière fromagère, dont l'ascension est freinée par la sécheresse

« La fin de l’abondance et de l’insouciance » : si l’image a fait réagir un peu partout sur les réseaux, elle a également fait sourire en Haute-Savoie et même bien en dehors de ses frontières, pour les amateurs de fromage qui connaissent ce produit du terroir à pâte pressée semi-cuite. Au syndicat interprofessionnel de l’Abondance, son directeur général Joël Vindret revient sur un coup de pub inédit pour sa filière, qui a bénéficié d’une hausse de la demande depuis la crise sanitaire mais dont la sécheresse risque bien de faire tomber les volumes de production cette année.
Malgré des ventes qui s'étaient multipliées par 10 depuis la mise en place de l'AOC en 1990, cette année sera elle aussi marquée par la sécheresse pour les producteurs haut-savoyards d'Abondance, qui observent déjà une baisse du volume de la production de lait d'au moins 10 %, tandis que certains agriculteurs ont même fait le choix de resserrer leurs troupeaux pour alléger leurs charges.
Malgré des ventes qui s'étaient multipliées par 10 depuis la mise en place de l'AOC en 1990, cette année sera elle aussi marquée par la sécheresse pour les producteurs haut-savoyards d'Abondance, qui observent déjà une baisse du volume de la production de lait d'au moins 10 %, tandis que certains agriculteurs ont même fait le choix de resserrer leurs troupeaux pour alléger leurs charges. (Crédits : DR)

« Forcément, quand nous avons entendu la phrase d'Emmanuel Macron, cela nous a parlé et fait sourire... mais l'on ne s'attendait pas à ce que tant de personnes en France fasse le lien avec notre fromage », reconnaît Joël Vindret, directeur général du syndicat interprofessionnel du fromage Abondance. À la suite du discours du président de la république en conseil des ministres, une déferlante humoristique s'est produite sur les réseaux sociaux.

« Nous avons-nous-mêmes partagé un post sur notre page Facebook, qui a été vu par près de 250.000 personnes et généré plus de 19.000 interactions, sous forme de commentaires ou de likes. Cela a également été repris sur plusieurs médias radio et télé dont le JT de France 2 », atteste-il.

Le coup de projecteur imprévu et qui s'est même frayé un chemin jusqu'au locataire de l'Elysée, « avec une candidate aux dernières législatives en Haute-Savoie qui a même donné un morceau d'abondance en début de semaine à Emmanuel Macron, qu'elle a posté sur les réseaux sociaux en disant : c'est peut-être la fin de l'abondance, mais pas chez nous en Haute-Savoie », sourit Joël Vindret.

Car la filière a ainsi pu constater, au cours des derniers jours, que sa propre notoriété était déjà plus importante qu'imaginé : « Nous avions fait une petite étude en 2008 qui montrait que la moitié des Annecyiens, une ville dans la population se renouvelle beaucoup, ne savaient pas qu'ils avaient un fromage local qui s'appelait Abondance. Mais  notre notoriété augmente chaque année, car nous avions investi dans des campagnes de communication comprenant à la fois de l'affichage et du sponsoring de la météo sur France 3 Alpes et Rhône-Alpes ».

Car si la période hivernale où les stations de Haute-Savoie font le plein de touristes constitue nécessairement une période charnière pour la filière, tout ne repose pas sur cette consommation saisonnière : « l'Abondance commence à être très largement distribué en France, ce qui fait qu'il est en réalité aujourd'hui bien plus consommé en dehors des frontières de sa région d'origine ».

Consommé seul en apéro ou en plateau de fromage, il possède même sa propre recette traditionnelle (le Berthoud), qui vient d'être protégé par un signe de qualité européen depuis 2020. « Il s'agit d'une très belle victoire, car ce label place l'Abondance comme le second produit français labellisé par ce signe, aux côtés de la moule de bouchot, et permet de garantir que sa recette ne soit pas dénaturée ».

Un cahier des charges qui limite le volume de production

Souvent comparé au Beaufort, à l'Emmental, ou encore au Comté, l'Abondance reste cependant plus délicat à classer car il s'agit en réalité non pas d'une pâte pressée cuite, mais mi-cuite, « ce qui lui donne une texture à part », reprend Joël Vindret.

En 2021, la filière dénombrait 3.480 tonnes d'Abondance produits (exclusivement en Haute-Savoie), dont 854 tonnes de fromage fermier. Un chiffre qui a quasiment triplé depuis la mise en place d'une Appellation d'origine contrôlée (AOC), dans les années 1990.

« À ce moment-là, il existait des craintes que le fromage disparaisse, car on estimait à l'époque que la production s'élever à 350 tonnes. Aujourd'hui, on a multiplié ce chiffre par 10, même si l'on attend depuis quelques années une forme de palier de production ».

Avec 164 producteurs de lait qui produisent et vendent leur production, mais également 75 producteurs fermiers, 17 ateliers de fabrication et 9 affineurs exclusifs, les producteurs d'Abondance ont tenu à protéger à la fois la qualité de leur fromage et leur rapport au terroir. C'est notamment le cas au sein du cahier des charges de l'appellation, qui a émis des règles assez strictes, en volume comme en qualité :

« Seules trois races de vaches sont autorisées au sein de notre cahier des charges, et l'Abondance doit être majoritaire. L'alimentation fermentée de type ensilage est interdite, de même que les OGM, et se compose plutôt d'herbe pâturée en été et de foin et regain en hiver, avec des compléments en céréales autorisés mais encadrés en quantité. De même, la durée minimum de pâturage est fixée à 150 jours par année », rappelle Joel Vindret. Côté production, la durée minimum d'affinage est également fixée à 100 jours, doit être réalisée dans des cuves en cuir exclusivement, à partir de lait cru ou de lait entier non écrémé, tandis que tout additif est interdit.

« Notre cahier des charges est déjà assez strict, et ce qui est intéressant est que nous avons également prévu une limitation de la taille des ateliers : celle-ci est fixée à 500.000 kilos de lait annuels pour les ateliers fermiers, et à 5 millions de litres de lait pour les coopératives, ce qui nous a permis de conserver un grand nombre de petits ateliers qui offrent une diversité de goût ».

Une situation plus tendue déjà anticipée cet hiver

Malgré ces gages, la filière n'aura pas été épargnée cet été par la vague de sécheresse qu'a rencontré la France.

« Nous avons vécu la sécheresse comme tout le monde, avec comme première conséquence le fait que nos animaux ont moins pu aller chercher leur alimentation en pâturage et ont dû redescendre plus tôt. Les agriculteurs ont ainsi été contraints d'attaquer leur stock de foin et de regain en avance pour complémenter leurs animaux », atteste le directeur général du syndicat interprofessionnel.

Celui-ci anticipe déjà une situation plus tendue cet hiver, car les stocks qui auront été consommés cet été pourraient ensuite faire défaut, en plein coeur de l'hiver. « On observe déjà une baisse du volume de la production de lait d'au moins 10 %, tandis que certains agriculteurs ont même fait le choix de resserrer leurs troupeaux, ce qui aura nécessairement un impact sur les volumes produits en 2022 », ajoute-t-il.

« On espère que la fin de l'Abondance n'était pas trop visionnaire... On s'attend nécessairement à une petite baisse de volume de la production fromagère en 2022, qui pourrait se ressentir sur la disponibilité des produits ».

D'autant plus que de l'autre côté, le niveau des charges des exploitations agricoles n'a cessé de bondir avec la hausse des coûts de l'énergie et des matières premières (céréales, etc). « Il est encore un peu tôt pour évaluer l'impact, mais il est certain que les trésoreries vont se tendre », admet Joël Vindret.

Le prix du lait au sein des zones placées sous signe de qualité savoyarde a déjà grimpé en juin dernier de 15 à 25 euros pour les 1.000 litres de lait, mais cette hausse ne s'était pas nécessairement jusqu'ici répercutée jusqu'aux consommateurs, selon le syndicat de l'Abondance.

« Il ne faut pas sous-estimer ce qui se passe aujourd'hui dans la filière fromagère, car le métier d'agriculteur et de fromager est porteur de sens, mais aussi très exigeant en matière d'horaires. Il existait déjà un enjeu de transmission des exploitations, et il est certain que cela va devenir un aspect fondamental dans les années à venir, avec l'impact financier que représente désormais la sécheresse sur le moral des exploitants », rappelle Joël Vindret.

Alors que la rentrée 2022 est placée sous le signe d'une forte inflation, la profession attend également de voir comment celle-ci va impacter la consommation des ménages, qui pourraient être tentés de réaliser certains arbitrages dans leur panier de courses.

« Toute la question va être de savoir si les produits sous appellation de qualité, jugés comme premium, pourraient observer le même phénomène de marché en retrait que celui des produits bio par exemple ». Et ce, alors que la période Covid s'était plutôt traduite par un retour à des attentes de proximité et à des produits de terroir de la part des consommateurs.

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