Sobriété énergétique : « Nous attendons des précisions pour les secteurs électro-intensifs » (Jean-Luc Raunicher, Medef AURA)

INTERVIEW - A l’occasion de la REF2022, le grand rendez-vous du mouvement patronal où Auvergne Rhône Alpes devrait à nouveau constituer l’une des plus importantes délégations régionales, Jean-Luc Raunicher, président du Medef AURA, revient sur les enjeux posés en cette rentrée aux chefs d’entreprises. A commencer par celui de la sobriété énergétique, alors que la Première ministre est attendue devant le Medef pour préciser les ambitions énergétiques des son gouvernement, avant un hiver qui s'annonce tendu sur le plan des prix de l'électricité et du gaz. Mais aussi sur le plan social, avec la bataille des charges de nouveau sur la table face à un phénomène de Grande Démission qui gagne du terrain.
Tensions autour de l'énergie, hausse des coûts des matières premières, rentrée sociale et questions des salaires... les enjeux soulevées à la REF2022 seront multiples pour le président du Medef Auvergne Rhône-Alpes, qui espère des clarifications de la part du gouvernement concernant la question des industries électro-intensives tout comme sur celles des charges sociales.
Tensions autour de l'énergie, hausse des coûts des matières premières, rentrée sociale et questions des salaires... les enjeux soulevées à la REF2022 seront multiples pour le président du Medef Auvergne Rhône-Alpes, qui espère des clarifications de la part du gouvernement concernant la question des industries électro-intensives tout comme sur celles des charges sociales. (Crédits : DR)

LA TRIBUNE - Vous vous apprêtez à participer à la REF, le grand rendez-vous des chefs d'entreprises qui aura lieu sur l'hippodrome de Longchamp à Paris, où la délégation Auvergne Rhône-Alpes devrait être, comme chaque année, l'une des plus importantes ?

JEAN-LUC RAUNICHER - Nous réunissons chaque année à la fois les chefs d'entreprise, mais aussi l'écosystème, les présidents et délégués généraux des Medef territoriaux, ainsi que les représentants des branches professionnelles à participer à cet événement. La délégation régionale sera composée d'une centaine de participants, ce qui représente près de 75 entreprises d'Auvergne Rhône-Alpes, tous secteurs d'activités et géographiques confondus.

La REF constitue toujours un moment important de rencontres et d'échanges entre les chefs d'entreprises, qui peuvent ainsi échanger avec leurs pairs, avec un temps fort qui est attendu le mardi cette année avec l'intervention du président de Région Laurent Wauquiez, qui sera aussi l'occasion de mettre en avant le rôle central de l'industrie dans notre région.

Sur le plan national, nous attendons à atteindre les 6.000 à 7.000 participants sur les deux jours, à l'image des chiffres de l'an dernier.

Quel va-t-être justement le rôle d'un événement comme la REF en cette rentrée, à l'issue de deux années de crise sanitaire mais aussi des chamboulements entraînés par la guerre en Ukraine, avec la hausse des prix des matières premières et de l'énergie et le bouleversement des chaînes d'approvisionnements ?

Nous allons d'abord essayer, malgré un contexte compliqué, de ne pas être trop pessimistes. La thématique qui a été retenue cette année est celle de la vision européenne, avec à la fois la vision que l'on s'est faite de l'Europe au sortir de la Seconde guerre mondiale, et des sujets comme l'harmonisation fiscale, sociale, qui n'ont pas encore été complètement réalisés.

C'est aussi le cas sur le champ de la politique énergétique européenne, car même s'il existe une communauté européenne du charbon et de l'acier, on a bien vu que chaque pays continuait à mener sa propre politique, à l'image de l'Allemagne qui a décidé de sortir unilatéralement du nucléaire à la suite de l'accident de Fukushima.

Les deux crises que nous venons de traverser nous ont confirmé la nécessité d'aller plus loin à l'échelle européenne et le fait qu'il faille cesser la désindustrialisation qui s'était engagée dans notre pays pour retrouver notre souveraineté économique. Il existe aujourd'hui un consensus politique à ce sujet.

Cela se traduit déjà dans les projets des chefs d'entreprises sur le terrain, qui souhaitent retrouver une indépendance sur le plan énergétique.

Le Président de la République a évoqué, à l'occasion d'un discours de rentrée en Conseil des ministres, « la fin de l'abondance et de l'insouciance » : comment cette prise de position est perçue au sein du tissu économique ?

A titre personnel, j'ai trouvé que son discours était un peu anxiogène et déplacé, car je pense que nous n'étions tout de même pas dans une abondance et une insouciance pour tous les Français, qui sont au contraire plutôt préoccupés par leur avenir... J'ai eu le sentiment d'un discours plutôt curieux, avec un président qui découvre ce qu'est le monde, avec maladresse.

On voit bien que le sujet de la sobriété énergétique va être placé au cœur des questions de la rentrée : cela va nécessairement toucher les entreprises régionales dans leurs modes de fonctionnement, voire accélérer encore les transitions en cours ?

Il s'agit effectivement d'un sujet très complexe, car même si nous pouvons compris dans ce discours la volonté et la nécessité d'agir pour anticiper certains enjeux énergétiques, on ne sait pas encore comment cela va se traduire concrètement pour les entreprises très énergivores et électro-intensives au cours des prochains mois...

Comment va-t-on arbitrer entre des activités essentielles et celles qui le sont moins, et comment va-t-on flécher la production ? C'est la même chose en matière de coûts, que ce soit pour le gaz ou pour l'électricité, qui ont déjà augmenté par des multiples de deux à quatre... Nous attendons donc de la première ministre, qui prendra la parole lors de la REF, des précisions.

Car pour l'instant, le Président de la République n'a donné aucune piste ou solutions pour les mois à venir.

Anticipez-vous déjà des conséquences importantes en matière énergétique sur la production de certaines industries locales ?

La production de l'industrie textile pourrait en premier lieu être concernée, de par son caractère énergivore, mais pour l'instant, il est encore un peu tôt pour avoir une vision claire. Nous savons également que les secteurs de la métallurgie, de la cimenterie, de la chimie, et même de l'industrie en général qui demeurent tous très présents au sein de notre région Auvergne Rhône-Alpes, sont eux aussi particulièrement électro-intensifs.

Figurait aussi, au cours des derniers mois, la question de la hausse des coûts des matières premières pour différentes industries, à commencer par le BTP. Quel premier bilan tirez-vous pour les entreprises d'Auvergne Rhône-Alpes, des conséquences commencent-elles déjà à se faire ressentir dans certains secteurs ?

Sur le sujet des matières premières, on sent tout de même que l'on pourrait avoir atteint une forme de sommet pour l'instant, notamment dans le domaine de la métallurgie, où l'on a tendance même à observer quelques phénomènes de baisse des prix...

Mais il est compliqué d'avoir de la visibilité à ce stade, car tout dépend également du niveau d'activité, qui fait évoluer les prix dans une direction ou une autre. Sans compter que s'il existe aussi moins d'énergie disponible cet hiver, cela va nécessairement complexifier les cycles de production et se traduire à nouveau dans les prix.

Il existe aussi un autre dossier de rentrée que nous regardons attentivement, qui est le sujet social, en lien avec la poursuite de l'inflation. Nous redoutons un mouvement social important à la rentrée, sur lequel le gouvernement doit faire preuve d'anticipation et proposer des solutions.

Or, ce ne sera pas une question simple, car nous nous retrouvons aujourd'hui face à une dette publique abyssale, et on voit bien qu'avec la remontée d'intérêts des banques, la Banque Centrale Européenne a resserré les boulons, rendant le coût de la dette considérable en France.

La question du recrutement a également été pointé au début de l'été comme un enjeu majeur, notamment en Auvergne Rhône-Alpes qui fait partie des régions au taux de chômage le plus bas à l'échelle française ?

C'est en effet une question invraisemblable, et qui découle sans doute, pour partie, de l'inadéquation entre l'offre et la demande. Il nous faut donc trouver des formations qui correspondent aux besoins des entreprises, et la bascule qui a été opérée depuis 2-3 ans en saveur de l'apprentissage va dans le bon sens à ce sujet.

Nous n'avons jamais eu autant d'apprentis en France, mais l'on voit bien en même temps que le Covid a amené un nouveau phénomène de Grande démission, avec un certain nombre de salariés qui ont arrêté de travailler au sein du secteur du transport, de l'hôtellerie-restauration...

On a, d'un côté, des salariés qui sont dans une espèce d'entre-deux et qui recherchent du travail sans avoir une formation nécessairement adaptée, et de l'autre, des sociétés qui ont de forts besoins de recrutement depuis plusieurs mois, alors que le taux de chômage national s'établit tout de même encore à 7,3 %...

À ce phénomène, les entreprises régionales sont-elles obligées de modifier leur mode de fonctionnement, voire d'augmenter les salaires, comme l'a préconisé le gouvernement avec l'allocution de Bruno Le Maire fin juillet estimant que "toutes les entreprises qui le peuvent doivent augmenter les salaires" ?

Aujourd'hui, c'est un peu la loi du marché qui prédomine, car si l'on veut recruter, on est obligé de rémunérer davantage les nouvelles recrues. Il se met également en place une tendance à former davantage ces nouveaux salariés en interne, avec des entreprises qui créent désormais leur propre centre ou modules de formation.

Mais la situation est complexe : car si une une partie de la classe politique nous dit qu'il n'y a jamais eu autant de résultats et de dividendes versés par les entreprises, on parle en réalité surtout d'une portion du CAC 40, alors qu'il faut rappeler que près de 90 % des entreprises françaises sont avant tout des TPE et PME.

On ne peut pas leur imposer d'augmenter les salaires dans un contexte d'inflation et de hausse généralisée des prix des matières premières et de l'énergie... On peut augmenter le salaire net, mais il faut en contrepartie une réduction impérative des charges, et c'est ce que nous allons porter lors de la REF.

Sentez-vous que le gouvernement est ouvert à la discussion à ce sujet en cette rentrée ?

Bien que le président ait déjà répondu en augmentant la prime Macron, qui a été multipliée par trois, ce n'est pas ce qu'attendaient nécessairement les syndicats et salariés, car cela reste une prime finalement assez exceptionnelle, dont la délivrance demeure conditionnée à la situation de chaque entreprise.

Oui, il y a très certainement quelque chose à faire du côté des salaires, mais beaucoup d'entreprises n'auront pas la possibilité de le faire si le gouvernement ne baisse pas les charges sociales.

On a par ailleurs vu cet été que la sécheresse et le manque d'eau ont pu mettre à mal des secteurs très précis, comme les golfs : craignez-vous que le changement climatique ne mette plus durablement des business "à risque" au sein de la région ?

L'un des enjeux, c'est que le changement climatique arrive en même temps que beaucoup d'autres évolutions. C'est une période à la fois difficile, mais aussi passionnante, car les défis sont gigantesques.

Il y a bien entendu le sujet des golfs, qui a été pour partie symbolique, mais qui emploie tout de même près de 80 à 100.000 personnes en France, et l'on a connu également les procès qui ont été faits aux fabricants de piscines, aux jets privés...

Dans cette période de crise, on a également assisté à l'émergence d'une forme de stigmatisation des comportements ou secteurs d'activité qui semblent, pour certains, ne plus correspondre à une société qui doit pivoter.

Comment vous attendez-vous à ce que ces préoccupations autour de la gestion des ressources et de la sobriété énergétique puissent impacter les entreprises régionales ?

On peut par exemple se demander quel impact pourraient avoir ces changements sur les activités des installateurs de piscines, compte-tenu du fait que beaucoup de maisons individuelles que l'on vend aujourd'hui en sont dotées...

Cela va également poser des sujets à l'industrie, et notamment à certains secteurs comme le textile, la plasturgie ou même l'agroalimentaire, qui utilisent tous beaucoup d'eau.

Les réflexions vont nécessairement s'accentuer avec les comités locaux de bassins, qui sont appelés à devenir des enjeux beaucoup plus stratégiques au cours des dernières années.

On a également vu qu'il existe un sujet sur la production électrique elle-même, car alors qu'Auvergne Rhône-Alpes héberge déjà 4 centrales nucléaires, EDF a lui-même annoncé un ralentissement de la production de certains réacteurs en raison des températures trop élevées du Rhône...

Il va donc falloir réfléchir autrement sur le plan de la transition écologique et énergétique, même s'il va être également nécessaire de prendre le temps de penser à ce que l'on fait, aux économies que l'on peut générer, car il s'agit de sujets qui engagent le long terme.

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