Vendanges : "2022 va faire partie des années les plus précoces pour le Beaujolais" (Sicarex)

INERVIEW. Alors que la récolte du Beaujolais s’annonce exceptionnellement précoce cette année, compte-tenu de la sécheresse rencontrée depuis le printemps par l’ensemble des vignobles français, Bertrand Chatelet, directeur de la Sicarex Beaujolais, dévoilait il y a quelques jours aux viticulteurs les dernières avancées de ses expérimentations réalisées en Beaujolais, en collaboration avec l’Institut français de la vigne et du vin (IFV) dans son domaine expérimental du « Château de l'Eclair ».
Cette année, le ban des vendanges a eu lieu les 17 août pour le Beaujolais, soit quatre semaines plus tôt que l'an dernier (qui était une récolte plutôt tardive), et avec dix jours d'avance sur la moyenne des 20 dernières années.
Cette année, le "ban des vendanges" a eu lieu les 17 août pour le Beaujolais, soit quatre semaines plus tôt que l'an dernier (qui était une récolte plutôt tardive), et avec dix jours d'avance sur la moyenne des 20 dernières années. (Crédits : DR)

LA TRIBUNE - La Sicarex Beaujolais est devenue un centre de recherche appliqué dans le domaine du vin depuis l'installation, en 1981, de son centre de recherche viti-vinicole sur une vingtaine d'hectares de vignes au Domaine du « Château de l'Eclair » dans le Beaujolais, afin d'y produire des cuveries expérimentales. La nécessité de mener des travaux autours des variations climatiques s'est faite sentir très tôt ?

BERTRAND CHATELET - La Sicarex est née dans les années 1970 et le domaine expérimental, dix ans plus tard, afin de répondre aux besoins des professionnels du Beaujolais et notamment, au départ, à la problématique de la sélection du gamay, qui est notre cépage rouge emblématique. Nos travaux se sont très vite étendus sur les aspects techniques, afin d'améliorer la qualité des vins du Beaujolais.

Développée au départ en société d'intérêt collectif agricole (SICA), nous sommes devenus depuis une quinzaine d'années une SAS qui met en œuvre des expérimentations, en collaboration avec l'Inter Beaujolais, pour répondre aux défis des changements climatiques.

Nous avions besoin d'un terrain de jeu car même si nous pouvons réaliser des expérimentations chez les vignerons, c'est toujours une contrainte pour celui qui les reçoit. Nous sommes également plus libres de tester des collections de cépages que nous ne pourrions pas implanter chez les vignerons.

Cette année plus que les autres, vous avez ressenti l'impact du changement climatique sur la production du Beaujolais ?

Les vignerons du Beaujolais ont déjà commencé les vendanges et l'on constate déjà que 2022 fait partie des années les plus précoces jamais enregistrées. C'est un phénomène que l'on avait déjà eu l'occasion d'observer avec la canicule de 2003.

Car habituellement, le « ban des vendanges », qui correspond à un stade de développement de la vigne mesuré en fonction de plusieurs critères techniques liés à la maturité du vin, est fixé plutôt à début septembre. Cette année, il a eu lieu le 17 août, soit quatre semaines plus tôt que l'an dernier (qui était une récolte plutôt tardive) et avec dix jours d'avance sur la moyenne des 20 dernières années.

En fonction de la taille des exploitations et des territoires, certains vignerons sont donc sur le point de finir leurs récoltes dès la semaine prochaine, tandis que d'autres vont bientôt démarrer.

En raison de la sécheresse, on s'attend par ailleurs à ce que le volume de raisins récoltés soit inférieur aux années précédentes, qui est habituellement de l'ordre de 600.000 hectolitres par an pour les 2.000 domaines du Beaujolais, et à peine plus élevé que les 500.000 hectolitres de l'an dernier, qui avaient eux-même subi des dégâts causés par le gel en 2021.

L'été 2022 sera-t-il jugé comme exceptionnel au regard des années précédentes ? Quelles étaient déjà les tendances observées sur les derniers millésimes ?

Cela fait en réalité plusieurs années que le contexte est compliqué : en 2020 déjà, nous avions connu une sécheresse estivale ainsi que des épisodes de grêle très impactantes, tandis que en 2021, on avait subi à la fois le gel, la grêle par endroits, et de fortes précipitations. Ce cocktail avait fortement impacté la vigne, qui avait été attaquée par des champignons et des herbes envahissantes, avec au final, une production de raisins très faible.

En 2022, nous avons été globalement épargnés par le gel, mais nous connaissons depuis le printemps un climat chaud et sec, qui a été suivi d'une importante sécheresse cet été. Résultat ? Des stades de développement de la vigne très précoces ont été observés depuis mai, avec des grappes et des baies qui sont restées petites et peu développées.

Si pour l'instant, le réchauffement des températures avait plutôt bénéficié au Beaujolais, en permettant de produire des raisins jolis et bien mûrs, nous atteignons aujourd'hui la limite car le manque d'eau va désormais impacter les rendements. L'une des fragilités de ce terroir étant qu'il a besoin d'être réalimenté en eau régulièrement, car il possède de faibles réserves d'eau dans ses sols.

Quel type d'expérimentations avez-vous menées au sein de la Sicarex pour répondre à ces enjeux ?

La vigne est un très bon témoin des changements climatiques, qui s'observe déjà sur le stade de développement des raisins, et notamment leur développement plus précoce. Nous avons donc commencé à étudier différents gamays, plus tardifs, ainsi que d'autres cépages qui pourraient présenter un intérêt par rapport au climat futur.

Mais ces expérimentations prennent du temps pour acquérir des références, et se calculent plutôt à l'échelle d'une décennie, afin de prendre en compte à la fois les retours  d'expérience de plusieurs millésimes, mais aussi le temps de planter les nouveaux cépages et qu'ils puissent commence à produire.

Nous nous intéressons en particulier aux différentes stades de développement de la vigne, dont celui où les bourgeons sont produits, car nous sommes aujourd'hui confrontés à des risques importants de gel qui mettent en danger la vigne, si les bourgeons se développent trop tôt.

L'autre élément à prendre en compte est la maturité des raisins, que l'on souhaite la plus tardive possible, ainsi que la concentration en sucre et en acidité, qui doit demeurer équilibrée. Ces travaux constituent ensuite un support à la réflexion afin de récolter des données qui permettront ensuite de faire évoluer, si nécessaire, les critères d'appellation et les cahiers des charges des différents cépages.

Des modes de culture de la vigne, existe-t-il également des évolutions intéressantes à tester ? Quelles sont actuellement les pistes les plus prometteuses ?

Nous avons expérimenté plusieurs leviers comme la couverture des sols, à travers différents matériaux ou enherbements, afin de pouvoir garder la fraîcheur et d'augmenter les taux des matières organiques des sols, ou encore la manière dont la densité, la hauteur des troncs ou la surface des feuilles peuvent jouer sur la résistance des plants.

Nous avons également observé que les filets anti-grêles, qui étaient au départ étudiés pour lutter contre la grêle, peuvent aussi présenter une capacité d'ombrage permettant de protéger les plantes en période de sécheresse. Ce n'est pas ce qui va nous faire gagner une semaine dans le  cycle du développement de la vigne, mais cela avait déjà permis de limiter le flétrissement des baies en 2020, qui représentait déjà une année  "précoce".

C'est pourquoi nous allons désormais devoir tester, au cours des années à venir, toute une combinaison de facteurs (greffes de nouveau cépages, travail sur la hauteur des troncs et la qualité des feuilles, mise en place de filets de protection, etc) qui, mis bout-à-bout, pourraient produire encore davantage d'effets.

En période de sécheresse, l'eau est devenue un enjeu pour les agriculteurs comme pour les viticulteurs. Quelles sont également les pistes de travail à ce sujet ?

Aujourd'hui, nous travaillons sur des expérimentations autour de l'irrigation des vignes, mais il faut reconnaître que l'accès en eau des vignobles n'est pas toujours simple, et pose toujours la question du partage des ressources. Tout le travail autour de l'évaluation de nouvelles variétés et de leur comportement à la sécheresse sera regardé de près en 2022, afin de déterminer si certains cépages peuvent être plus résistants durant les périodes sèches.

Cependant, comparé à d'autres régions comme la Grèce, il faut rappeler que le Beaujolais n'a pour l'instant pas connu d'évolution du volume de ses précipitations annuelles : il tombe toujours l'équivalent de 750 mm d'eau par an, même si cela ne se répartit plus nécessairement sur les mêmes périodes.

Tout l'enjeu devient donc de savoir comment stocker cette eau, mais aussi de pouvoir augmenter les capacités de réservoir des sols, en même temps que de développer des modes de culture plus sobres.

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