Récolte de la lavande : "Nous avons déjà connu des sécheresses, mais ce n'est plus le seul enjeu"

ENTRETIEN. Cette année, la filière lavande en Auvergne Rhône-Alpes a fait face à une sécheresse arrivée bien plus tôt, provoquant des pertes de -20% à -50% selon les secteurs. Un problème qui devient de plus en plus récurrent, mais qui s'ajoute surtout aux autres difficultés que la filière doit déjà affronter. A commencer par la hausse des prix de l'énergie et des emballages, mais aussi à des changements de comportements issus de la crise Covid ainsi qu'à une structure de coûts déséquilibrée, selon Alain Aubanel, président du syndicat des plantes à parfum, aromatiques et médicinales.
Aujourd'hui, nous avons besoin d'aide pour passer ce cap difficile. La priorité, c'est de ne plus être noyés sous les réglementations et d'imposer que nous ne puissions pas vendre à perte, alerte Alain Aubanel, président du syndicat national des plantes à parfum, aromatiques et médicinales (PPAM).
"Aujourd'hui, nous avons besoin d'aide pour passer ce cap difficile. La priorité, c'est de ne plus être noyés sous les réglementations et d'imposer que nous ne puissions pas vendre à perte", alerte Alain Aubanel, président du syndicat national des plantes à parfum, aromatiques et médicinales (PPAM). (Crédits : Kunphotographer / Pixabay)

La Drôme-Ardèche représente à elle seule entre 900 et 1.000 producteurs de lavande et de lavandin, soit environ la moitié de la production nationale, selon Alain Aubanel, président du syndicat national des plantes à parfum, aromatiques et médicinales (PPAM), également président de la filière Drôme-Ardèche. Et face à la sécheresse qui a commencé très tôt et s'est poursuivie avec intensité cette année, Alain Aubanel est a revenu avec La Tribune sur les premières conséquences qui se dessinent à l'échelle de la filière régionale.

La Tribune - La sécheresse a commencé tôt cette année. Quelles conséquences cet épisode, déjà jugé comme inédit, a eu sur les exploitations de lavandes et de lavandin dans la région ?

Alain Aubanel - La sécheresse a en effet commencé tôt, dès le mois d'avril, avec des conséquences diverses. D'abord, cela a provoqué une mortalité accrue sur les plantations de printemps, qui n'ont pas reçu assez d'eau. Ensuite, les récoltes ont eu entre dix et quinze jours d'avance, selon les secteurs. En termes de rendement, les pertes s'échelonnent ainsi entre - 20% et - 50% selon les secteurs, là où les cultures ont vraiment pris le sec et où il n'existe pas de possibilité d'irrigation.

En Ardèche, par exemple, le Haut-Diois est très sec, alors que le secteur Valence-Romans a reçu près de 80 mm de précipitations il y a un mois. Il a fait chaud, il ne pleut pas et il y a un vent que l'on n'avait encore jamais connu, et qui déssèche encore plus les récoltes. Pour autant, jusqu'ici nous avions encore des stocks.

En revanche, s'il ne pleut pas rapidement, il y aura de la mortalité sur les plantations. Car même si la lavande est une plante de montagne, ce n'est pas non plus cactus !

Dans certains secteurs, comme la viticulture par exemple, les agriculteurs travaillent sur de nouvelles méthodes pour pallier les aléas climatiques qui sont amenés à être de plus en plus fréquents et brutaux. Est-ce qu'il y a la même chose chez les producteurs de lavande ?

Les vignerons peuvent travailler sur des cépages résistants même si la sécheresse chez nous est plutôt un élément récent. La priorité, c'est la sélection : il faut que les cultures soient résistantes au gel de printemps et à la sécheresse.

De leur côté, les ombrières coûtent tellement cher que ça ne vaut pas l'investissement... Les viticulteurs peuvent encore le faire quand leur production a une forte valeur ajoutée, mais pour nous, le chiffre d'affaires à l'hectare est ridiculement bas par rapport à l'investissement, nous travaillons donc plutôt sur la recherche variétale.

Aussi, dans les zones traditionnelles, si on produit de la lavande, c'est parce que l'on ne peut faire que cela, ou du mouton.

 Sur la saison 2002/2003, nous avions déjà rencontré une sécheresse terrible, ce sont des choses que l'on a déjà vues. Mais le souci, c'est que ça devient récurrent et cela se cumule désormais avec d'autres problèmatiques pour la filière lavande.

Justement, à quels autres problèmes la filière est confrontée ?

Il y a eu la crise du Covid, qui a bloqué des marchés. Et maintenant, la guerre en Ukraine a fait augmenter les coûts de l'énergie, des engrais, des emballages, du transport, alors que le prix de vente du produit n'a pas doublé...

La sécheresse est un vrai problème, mais s'il n'y avait que ça, ça irait.

La lavande et le lavandin ont cinq types de marchés allant de la parfumerie - fine et industrielle - à la cosmétique, en passant par l'aromathérapie et l'alimentaire.

Avec la crise sanitaire, les ventes de parfum en "duty free" dans les aéroports ont considérablement réduit les débouchés du secteur de la parfumerie. Aussi, les consommateurs sont passés en télétravail et se préoccupent donc, d'un côté, moins des parfums tandis qu'il y a aussi eu moins de nettoyages de bureaux durant cette période.

Avec la baisse du pouvoir d'achat, la flacon de parfum n'est pas non plus une priorité. Nous sommes donc face à une addition de multiples facteurs.

C'est donc une situation tendue qui dure depuis un certain temps ?

Depuis trois ans, la filière se situe aussi en dessous de son prix de revient car elle était en surproduction et les prix ont baissé. Les conséquences vont donc se faire ressentir cet hiver, beaucoup de collègues sont démoralisés, certains n'ont pas de plan B...

En Drôme-Ardèche, l'essentiel du tissu est composé d'exploitations familiales, donc plus fragiles. Mais si celle-ci mettent la clé sous la porte, s'il n'y a plus de champs de lavande, des conséquences directes pourraient ensuite se faire ressentir sur le tourisme, l'économie locale et l'apiculture. En Bulgarie par exemple, ils misent déjà au contraire sur un tourisme plutôt porté par la lavande.

En tant que filière ou avec l'interprofessionnelle, avez-vous des leviers pour faire évoluer cette situation tendue ?

Le problème, c'est le système de la libre concurrence. Nous n'avons pas le droit de nous mettre d'accord sur un prix. Nous sommes sur des marchés mondiaux et nous n'avons pas de protection. Aussi, nous ne sommes pas dans Egalim, car la lavande n'est pas un produit alimentaire. Il faudrait donc une loi qui impose de ne pas vendre à perte.

Pour un kilo de lavandin, le prix de revient est de 20 euros. Il faudrait 3 euros de plus pour vivre et investir et aujourd'hui certains acheteurs proposent entre 10 et 12 euros, ce qui fait environ une perte de 1.000 euros par hectare.

Pour la distillerie, le coût de l'énergie a augmenté (+70% pour le gaz) et on ne peut pas le refacturer ce prix aux producteurs, alors que certains d'entre eux n'ont même pas encore payé la distillation de l'an dernier...

Tout ce que l'on achète a doublé, tout ce qu'on vend a baissé. Il y a quelques jours, des sénateurs ont d'ailleurs interpellé le gouvernement sur la production de lavande. Aujourd'hui, nous avons besoin d'aide pour passer ce cap difficile. La priorité, c'est de ne plus être noyés sous les réglementations et d'imposer que nous ne puissions pas vendre à perte.

Pour conclure, comment envisagez-vous l'avenir de la filière ?

Même si c'est le bazar généralisé, rien n'est perdu.... La candidature pour classer la lavande au label "Paysages olfactifs et poétiques" du patrimoine mondial de l'Unesco, par exemple, ce n'est pas tout à fait innocente. Quand tout va bien, on n'y pense pas, mais actuellement, on regarde finalement un certain nombre d'idées pour défendre la qualité française.

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