"Les villes moyennes ont beaucoup de potentiel" (Banque des Territoires AURA, Barbara Falk)

ENTRETIEN. A l’échelle nationale, la Banque des Territoires célèbrera bientôt son quatrième anniversaire. Et avec la crise sanitaire, son rôle a même été appelé à se renforcer puisque l’an dernier, ce métier de la Caisse des dépôts était aux manettes de 47,37 milliards d'euros de crédits, visant à être injectés directement au cœur des territoires. En Auvergne Rhône-Alpes, sa nouvelle directrice régionale Barbara Falk, revient en exclusivité avec La Tribune sur sa feuille de route à venir, qui allie transition énergétique, décret tertiaire, attractivité des centre-villes ou encore déploiement de la fibre au cœur des territoires, mais aussi désormais, logistique urbaine.
Pour Barbara Falk, la crise Covid a mis en lumière le rôle de cette branche de la Caisse des dépôts, créée tout juste il y a quatre ans, et qui consiste à soutenir non seulement les grandes collectivités, qui ont souvent des projets d'ampleur, mais aussi les territoires plus excentrés, où l'on a besoin de nous, et où la désindustrialisation s'est parfois déjà opérée.
Pour Barbara Falk, la crise Covid a mis en lumière le rôle de cette branche de la Caisse des dépôts, créée tout juste il y a quatre ans, et qui consiste à "soutenir non seulement les grandes collectivités, qui ont souvent des projets d'ampleur, mais aussi les territoires plus excentrés, où l'on a besoin de nous, et où la désindustrialisation s'est parfois déjà opérée". (Crédits : DR)

LA TRIBUNE - A 42 ans, vous avez repris les rênes de l'antenne AURA de la Banque des Territoires, après votre prédécesseur Philippe Lambert. Diplômée de l'IEP de Strasbourg, de l'ESSEC mais aussi ancienne élève de l'ENA, vous aviez débuté votre carrière à la Cour des Comptes, puis assuré la direction financière de l'Institut de France, avant de prendre la direction du cabinet du Préfet des Bouches-du-Rhône. Depuis 2019, vous étiez notamment directrice générale des services de l'Eurométropole de Metz. La Banque des Territoires, c'était une autre manière d'adresser des enjeux plus territoriaux ?

J'ai toujours mené une carrière comprenant le volet financier et administratif, en travaillant toujours avec les chiffres, mais dans la notion de l'intérêt général. C'est pourquoi j'ai saisi cette opportunité à la Banque des Territoires, qui me permettait là aussi d'allier les deux et notamment d'accompagner le développement de nouveaux business models. Car ce qui différencie vraiment l'outil qu'est la Banque des Territoires, c'est l'équilibre entre le volet financier et l'intérêt général.

La Banque des Territoires a désormais quatre ans : comment cet outil a trouvé sa place au sein du paysage du financement français ?

En réalité, la Banque des Territoires est à la fois une vieille dame et une jeune femme, car il s'agit d'une direction de la Caisse des Dépôts qui date elle-même de 1816, et qui est très ancienne de par ses activités, avec par exemple l'utilisation du livret A au profit de l'activité de production du logement social, ou encore ses activités de banque des notaires, de consigner des sommes qui sont ainsi déposées par des clients.

Provenant moi-même des collectivités, je pense qu'il est toujours bien de savoir se mettre à la place du client et de lui apporter ce qui est le plus adapté, en allant au-devant de leurs besoins et en rendant les dispositifs plus faciles d'accès.

Près de 47,37 milliards d'euros de crédits ont été annoncés à l'échelle nationale, visant à être injectés directement au cœur des territoires. Cette somme a en partie été commandée par la Banque des Territoires : comment a-t-elle ensuite été fléchée en Auvergne Rhône-Alpes ?

Nous n'étions pas aux commandes de l'ensemble de cette somme, mais la Banque des Territoires intervient avec des fonds confiés et des fonds propres, qui sont l'argent que nous gagnons aussi, grâce notamment à des activités concurrentielles et que nous allons ensuite redéployer sur des missions d'intérêt général.

C'est ce qui s'est également passé avec le plan de relance : l'Etat nous a confié une partie de sommes à octroyer et la Caisse des Dépôts nous a mandaté pour d'autres actions, dans les domaines de la transition écologique, du développement économique, de la cohésion sociale ou de l'habitat. 

Quelle déclinaison de ces fonds ont pu être réalisées à l'échelle régionale ?

Comme dans beaucoup d'autres régions, nous avons participé notamment aux fonds portés par les Régions, pour accorder des prêts au moment où les entreprises en avaient le plus besoin. De la même manière, nous étions à la manœuvre sur des programmes comme Action Cœur de Ville pour les villes moyennes, et Petites Villes de demain.

Ces programmes ont déjà commencé à être déployés dans notre région en particulier au moyen de subventions en ingénierie pour accompagner les collectivités dans la définition des constats et des projets. Car ce qui pèche au départ, c'est souvent l'absence de fonds investis pour venir en aide aux collectivités afin de réfléchir à ce qui pourrait dynamiser leur centre-bourg, pour mettre ensuite en place, dans un second temps, un accompagnement sous la forme d'une mise à disposition de prêts où l'on peut financer notamment des projets sur le long terme, soit jusqu'à 60 à 80 ans.

Cela peut paraître surprenant, mais c'est précisément car le système de la Caisse des Dépôts a 200 ans lui-même que l'on peut réaliser ce type d'opération de très long terme et générer de la confiance.

Nous pouvons aussi participer à la création de nouvelles entités ou utiliser les outils de SEM patrimoniales pour faire en sorte que les politiques de dynamisation des territoires soient mises en œuvre, en créant par exemple une foncière de redynamisation qui permette de racheter les 10 commerces vacants d'une rue principale, qui pouvaient être jugés trop petits ou inadaptés, pour les rénover et les rendre à nouveau attractifs, parfois en rajoutant également des logements au-dessus pour ceux qui souhaitent s'installer en centre-ville.

Cela va de pair avec un autre objectif, qui est aussi de pouvoir permettre aux personnes en dépendance de revenir en centre-ville, avec des logements mis aux normes afin qu'ils puissent accéder plus facilement à des services de proximité.

A-t-on un premier bilan des actions générées par le plan de relance à l'échelle territoriale sur ce volet ?

De manière générale, de nombreuses actions sont encore en cours. Nous devons par exemple réaliser un premier point d'étape avec la Région, qui est notre partenaire sur ce volet, à travers la mise en place du fonds Région unie, où nous avions mis 16 millions d'euros sur la table au même titre que la Région. Mais un premier bilan du plan France Relance a été réalisé, à l'échelle nationale, notamment par la Cour des comptes.

Que peut-on dire de la situation des commerces et des centre-villes, affectés par la crise ? Quel premier bilan tire-t-on des programmes Action Cœur de Ville et Petites villes de demain à l'échelle régionale ?

Nous avons, à l'échelle régionale, 25 communes engagées dans le dispositif Action Cœur de Ville, et près de 222 dans le dispositif Petites villes de demain : cela témoigne bien de la différence d'échelle. Ce sont aussi des enjeux différents qui s'illustrent, car une petite ville de 5.000 habitants dispose de moins de ressources humaines en interne, l'essentiel reposant bien souvent sur le travail des élus.

Il était donc d'autant plus important pour nous que de contribuer à proposer à ces petites villes des moyens en matière d'ingénierie de projets, où les Départements jouent également leur rôle d'accompagnement sur ce programme.

D'ailleurs, 10 des 12 Départments d'AURA ont accepté d'être la porte d'entrée de ce dispositif, car ce sont souvent les meilleurs connaisseurs des besoins locaux. C'est pourquoi nous leur avons donc confié les manettes des crédits disponibles.

Vous avez pour mission de lutter contre les inégalités sociales et les fractures territoriales : le rôle de la Banque s'est-il encore accru avec le contexte de crise sanitaire ? Cet épisode a-t-il également mis en lumière de nouveaux besoins au cœur des territoires ?

La Banque des Territoires est née en effet deux ans avant la crise sanitaire et celle-ci a constitué une évolution majeure, car elle est arrivée à un moment où l'on avait tout particulièrement besoin d'elle. Car c'est toujours dans les épisodes de crise que les mécanismes normaux de financements et d'aides se retirent, et nous avons été là pour intervenir.

Notre directeur général Eric Lombard (de la Caisse des dépôts et consignations, ndlr) a en effet poussé pour aller soutenir non seulement les grandes collectivités, qui ont souvent des projets d'ampleur, mais aussi les territoires plus excentrés, où l'on a besoin de nous, et où parfois la désindustrialisation s'est déjà opérée.

Un double enjeu se profile : reconstruire la ville sur la ville, tout en développant villes moyennes. Quel visage pour les villes moyenne de demain ? Que leur manque-t-il aujourd'hui pour attirer ?

On voit bien que les villes moyennes ont beaucoup de potentiel, d'autant plus que  le télétravail a progressé avec la crise, et redonne de l'oxygène à certaines. Toutefois, de nombreux territoires doivent trouver un autre avenir et cela devient très compliqué, notamment sur le plan immobilier.

C'est pourquoi nous avons renforcé le travail sur le sujet du développement commercial et des friches industrielles, tout en développant aussi notre accompagnement sur le domaine de l'habitat.

Certaines villes ont par exemple perdu beaucoup de population au cours des dernières décennies, et ce mouvement à la baisse de la population a également affecté le parc privé, si bien que des petites villes peuvent avoir des parcs de logements privés qui ne coûtent pas plus cher, en bout de ligne, que le logement social. Il y a un enjeu sur ces secteurs, d'évolution du logement social et notamment  de rénovation énergétique.

Aujourd'hui, de gros projets de réindustrialisation sont dans les cartons, et vont jusqu'à la création et l'implantation de projets de gigafactories, très gourmands en crédits. La Banque peut-elle aider ce type de projets à émerger, des dossiers vous ont-ils été soumis ?

Nous n'accompagnons pas directement ce type de projets, mais nous aidons des projets industriels à se développer, en participant au financement du terrain et de l'immobilier dans lequel ils s'implantent comme Ninkasi à Tarare, USIN...

Ces dernières années, nous avons poussé de manière forte notre accompagnement sur certains secteurs, comme le tourisme et notamment la montagne, qui est un axe fort en Auvergne Rhône-Alpes.

Nous avons par exemple travaillé à développer, d'une part, le thermalisme et plus largement le tourisme 4 saisons. L'objectif étant de ne pas traiter uniquement la question du réchauffement des lits froids, mais aussi celle du renouvellement de l'offre, comme nous l'avions fait en accompagnant la nouvelle résidence de tourisme portée par MMV à Samoens, qui visait à renouveler l'attractivité des logements sur la station. Nous avions également investi dans le train de la Mer de glace pour faire en sorte que les équipements s'adaptent au changement climatique.

Nous intervenons dans de nombreux domaines et si l'on avait besoin de nous dans un autre secteur, nous pourrions faire autre chose à l'avenir. Pour l'instant, notre action porte plutôt, au niveau régional sur le volet énergétique, sur l'accompagnement des énergies renouvelables, sur le tourisme, sur l'industrie... 

Autre axe où il existe de forts besoins à l'échelle régionale : la rénovation énergétique des bâtiments, et notamment avec le "décret tertiaire" qui vise à accélérer la transition énergétique des bâtiments à usage tertiaire avec l'objectif de réduire de 40 % la consommation d'énergie des bâtiments en 2030, 50 % en 2040 et 60 % dix ans plus tard.  Vous accompagnez là aussi les collectivités ?

La rénovation énergétique est devenue un axe fort et un enjeu important, car la Banque des Territoires s'est mise en ligne de marche pour proposer notamment aux collectivités des offres incitatives, notamment vis-à-vis des collectivités territoriales, pour leur permettre d'atteindre les objectifs du décret tertiaire.

Celles-ci ont notamment jusqu'à la fin de la décennie pour se mettre à niveau leurs bâtiments, et auront besoin de tous les stades d'intervention, allant de la définition de leurs besoins et outils, à la mise en place d'aides pour réaliser les audits puis de financements pour réaliser des économies d'énergies. Et c'est là où nous pouvons leur proposer des solutions intéressantes, en leur proposant un dispositif spécifique, notamment des prêts.

Par exemple, si une collectivité veut transformer ses installations d'éclairage public en LED et voit que sur 10 ans, ce choix est rentable pour lui, nous pouvons financer le dispositif et lui permettre de le rembourser sur 10 ans, en le liant au montant des économies d'énergies réalisées, afin qu'elles puissent rembourser le coût de leur dispositif sur du long terme et de manière neutre pour la collectivité. Sans compter que nous pouvons avoir un rôle de conseil pour aller chercher des aides européennes.

L'une de vos ambitions est aussi soutenir financièrement le déploiement de la fibre dans les campagnes, en vous posant comme un maillon essentiel du plan France Très haut débit, puisque la Banque des territoires cofinance aujourd'hui plus de 60% de ces lignes fibres. La question des réseaux télécoms et notamment de l'accès au haut débit demeure également un enjeu fort, et très disparate à l'échelle des 12 départements d'AURA ?

La Banque des Territoires s'est en effet beaucoup impliquée au niveau national comme local sur la question du très haut débit. La demande est assez différente en fonction des territoires à ce sujet. Certains ont une politique de déploiement très volontariste sur l'ensemble de leur territoire, c'est par exemple le cas du département de l'Ain qui a beaucoup investi avec nous à ce sujet, mais la question demeure  complexe sur de nombreux territoires, où le plan se poursuit.

La logistique urbaine devient également un enjeu majeur pour l'équilibre des territoires, et notamment des métropoles avec la question du dernier kilomètre décarboné. Comment la Banque des territoires peut l'accélérer ? A Lyon, vous travaillez notamment sur un projet d'Hôtel de Logistique Urbaine (HLU) qui a pris du retard, mais qui est annoncé pour 2023 ?

Le sujet de la logistique urbaine est très fort, et croise le sujet de la transition énergétique, qui est l'une de nos priorités à l'échelle de la Banque des Territoires.

L'Hôtel de logistique urbaine qui est en train de sortir de terre sur le port de Lyon est un outil très important, à la fois par sa taille et par son impact futur sur les livraisons du dernier kilomètre sur la villeC'est un projet où nous avons en effet mis beaucoup d'argent, près de 4 millions d'euros, à travers une structure qui a été créée en partenariat avec la Poste Immo et Lyon Parc Auto.

Nous sommes par ailleurs actionnaires de la SEM Lyon Parc auto et investisseur sur le terrain concerné : c'est la vision de la Banque des Territoires que d'agir en tant que partenaire global. Nous participons également à d'autres réflexions en cours  en matière de logistique urbaine, initiées par des acteurs privés ou des collectivités sur la région, et auxquels nous pourrions participer

Pour résumer, vos métiers sont multiples, mais votre feuille de route sera-t-elle axée sur des priorités plus ciblées en 2022/2023 ?

Pour l'instant, et même si nous intervenons dans de très nombreux domaines, notre feuille de route pour 2022 reste concentrée sur les domaines du tourisme et de la transition énergétique, tandis que nous sommes déjà en train de réfléchir à 2023, avec les priorités à adresser en fonction des évolutions de la société et des priorités des collectivités. Nos grands axes sont actualisés chaque année et nous serons là où l'on a besoin de nous.

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