"Ces Jeux Olympiques représentent le grand Plan montagne de la Chine" (Benoît Robert, Cluster Montagne)

ENTRETIEN. Alors que les 24e Jeux Olympiques d’hiver s’ouvrent ce vendredi pour une édition mise "sous cloche" en raison des contraintes sanitaires, une vingtaine d'acteurs français de l’aménagement de la montagne auront, eux aussi, contribué à aménager les sites des Jeux. Alors que son industrie se questionne sur un modèle plus durable, Benoît Robert, directeur du Cluster Montagne rassemblant les acteurs de la filière, revient sur la manière dont les stations chinoises ont, à leur tour, pu constituer une forme de « laboratoire », notamment dans la perspective d'une sortie du « tout ski ».
Plusieurs bureaux d'études français ont été sollicités en prévision de ces Jeux comme Abest, situé à Ugine (Savoie), qui a dessiné les sites nordiques pour les Jeux Olympiques de Pékin (ci-contre) qui s'ouvrent ce vendredi.
Plusieurs bureaux d'études français ont été sollicités en prévision de ces Jeux comme Abest, situé à Ugine (Savoie), qui a dessiné les sites nordiques pour les Jeux Olympiques de Pékin (ci-contre) qui s'ouvrent ce vendredi. (Crédits : DR/Abest)

LA TRIBUNE - Les Jeux Olympiques d'hiver de Pékin 2022, qui rassemblent 3.000 athlètes de haut niveau sur 3 sites (Pékin, Yanqing et Zhangjiakou) démarrent ce vendredi 04 février. La Chine n'est pas considérée comme un pays de ski historiquement, mais ce marché a connu un grand coup d'accélérateur avec la préparation des Jeux Olympiques (JO), y compris pour les entreprises françaises ?

BENOIT ROBERT - Historiquement, les Français sont arrivés sur le marché chinois par l'intermédiaire de l'entreprise grenobloise Poma, qui a fait ses débuts avec la construction d'une remontée pour la Grande muraille de Chine. Il s'agissait d'une installation touristique, mais rapidement, la demande s'est orientée vers des commandes provenant des stations de ski.

Les premières ont été réalisées entre les années 1990 et 2000, puis ce marché a connu une brutale accélération à compter de 2015, date à laquelle la Chine a été retenue par le Comité International Olympique pour accueillir les Jeux de Pékin en 2022. Plusieurs bureaux d'études français ont été sollicités en prévision de ces Jeux comme le savoyard Abest, qui a dessiné les sites nordiques pour les Jeux, Geode, qui a travaillé sur les sites de ski alpin, ou MDP Consulting, qui a planché sur la diversification de l'offre touristique.

La Compagnie des Alpes a apporté une aide à l'exploitation, à la formation des professionnels et à des réflexions sur l'avenir des sites olympiques, tandis que les équipementiers n'ont pas été en reste, avec Poma et MND Group pour les remontées mécaniques, mais aussi sur la neige de culture. Sans oublier les groupes Club Med ou Pierre et Vacances, qui ont installé leurs villages sur les sites olympiques.

Est-ce à dire qu'à l'heure où de fortes préoccupations émergent pour une diversification du tourisme hivernale, les acteurs français auront paradoxalement profité de cette expérience en Chine pour tester également de nouveaux modèles ?

Nous pouvons très clairement nous inspirer de réalisations qui ont été développées dans les nouvelles stations chinoises et qui visent à séduire une clientèle plus large, que ce soit sur le plan du parcours client ou de la diversification de l'offre touristique.

Car alors que l'économie du ski en France est restée très tournée vers le ski alpin, et témoigne aujourd'hui du besoin de développer d'autres activités alternatives, c'est moins le cas en Chine, où la proportion de "purs" skieurs est moindre, alors qu'une plus large partie de la population souhaite aller en station, mais pour découvrir d'innombrables activités autour de la neige et de la glace.

Car il ne faut pas oublier qu'en Chine, certaines régions n'ont pas forcément d'importantes chutes de neige, mais les températures sont toujours très basses l'hiver, régulièrement à -10 voire à -20 degrés. Elles disposent donc d'un froid qui permet de conserver la neige produite très longtemps et de réduire fortement la consommation de la neige de culture, voire même de capitaliser sur d'autres activités de loisirs, liées à la glace ou à la glisse sous toutes ses formes. Sur le lac gelé de la station de Wanda-Changbaïshan, on compte par exemple plus de 50 activités de loisirs différentes...

Que peut-on apprendre de la Chine, à travers le modèle qui est aujourd'hui proposé dans ces nouvelles stations ?

On se rend compte que nous nous trouvons en réalité, en France, dans une situation de « sous-investissement » concernant l'offre touristique non-skieur. Là où en Chine, on peut trouver des offres touristiques très aboutis, comme les sentiers de randonnée hivernaux sur des platelages en bois, salés tous les matins, avec des haltes panoramiques ou ludiques régulières, des toilettes aménagées...

Les stations chinoises se sont positionnées sur une offre de loisirs touristique complète, tandis qu'en France, on consacre des moyens importants aux pistes de ski, mais ce n'est que plus récemment que les stations se sont intéressées à une diversification significative et qualitative de leur offre "hors ski".

Pour l'été, l'exemple du VTT est symptomatique : depuis 30 ans, l'offre VTT est proposée sur les pistes de ski, inadaptées à la pratique du vélo. C'est seulement depuis quelques années, grâce à des stations avant-gardistes comme Les Gets et des entreprises innovantes et spécialisées, que des itinéraires VTT spécifiques sont créés avec le succès que l'on connait.

Depuis 2015, ce sont plusieurs dizaines d'entreprises françaises, dont une vingtaine d'entreprises du Cluster Montagne, qui ont contribué à l'aménagement des sites de préparation et de compétitions des JO d'hiver de Pékin. Quelles ont été les premières retombées concrètes de ces Jeux d'hiver, pour les acteurs français ?

Sur ces Jeux, les acteurs italiens ont en réalité remporté une grande partie des contrats en lien avec l'activité neige, tandis que les remontées mécaniques ont été majoritairement assurées par les Autrichiens. En France, on a plutôt couvert un large spectre d'expertises sur les différents sites des compétitions et d'entrainements des Jeux, à travers des études menées sur les sites, des projets de remontées mécaniques de neige de culture, de sécurisation des pistes, de conseil à l'exploitation des domaines skiables, ou encore de formation des moniteurs et secouristes...

Les Chinois ont d'ailleurs été très sensibles à l'offre française et lorsque leur candidature a été retenue par le Comité olympique, ils sont venus visiter la station de Chamonix en référence aux Jeux de 1924, mais aussi la vallée d'Albertville, afin de mesurer les retombées des Jeux d'hiver de 1992, et plus largement les résultats du "Plan Neige", mis en place par les autorités françaises dans les années 60 et 70.

Dans les faits, les Jeux Olympiques représentent un peu le début du grand plan montagne de la Chine, qui dispose, il ne faut pas l'oublier, d'un territoire occupé aux deux tiers par des montagnes...

On sait que le Covid a complexifié et ralenti les échanges internationaux, encore plus avec la Chine, où les restrictions sanitaires demeurent très fortes, même durant ces Jeux. Qu'en est-il pour les perspectives à plus long terme sur ce marché ?

Depuis l'arrivée de la crise sanitaire, seules les entreprises qui disposent d'un bureau sur place ont pu continuer à travailler. Mais si l'on regarde plus largement, ces Jeux auront tout de même apporté un fort engouement pour les sports d'hiver au sein de la population chinoise, qui dispose désormais de plusieurs sites de grande qualité.

Même si parfois, il peut exister des effets d'annonce avec les 800 stations et 300 millions de skieurs annoncés sur le marché chinois, alors qu'on dénombre en réalité une vingtaine de sites susceptibles d'attirer la clientèle chinoise haut-de-gamme, les stations chinoises vont bénéficier des retombées de ces Jeux. Le territoire de Chongli, avec ses 10 stations ultra modernes, n'est plus désormais qu'a une heure du centre de Pékin, grâce au TGV qui été construit. 

Et lorsque l'on voit la densité de la population chinoise et l'essor des classes moyennes, on constate qu'il existe encore un important réservoir de clientèle, susceptible de se rendre dans ces lieux de villégiature et de tirer les investissements à l'avenir.

La Chine pouvait justement être considérée jusqu'ici l'un des « eldorados » sur le terrain des investissements pour les sports d'hiver. Après une année de crise, mais aussi maintenant que les infrastructures des Jeux ont été livrées, à quoi doit-on s'attendre sur le marché de l'aménagement de la montagne ?

Chaque période a eu en quelque sorte son eldorado, qui a souvent été porté par les JO ou autres compétitions de sport d'hiver internationales, et derrière laquelle s'est construite une dynamique plus générale. A partir des années 90, les investissements ont plutôt été tirés par les stations l'Europe de l'Est, suivis par la Russie et le Caucase, et aujourd'hui la Chine et l'Asie centrale... Il existe encore de beaux projets de stations en site vierge, comme en Turquie, en Russie, en Ouzbékistan ou au Kazakhstan, mais on se dirige globalement vers une « consolidation » des nombreuses stations existantes.

Car les stations d'aujourd'hui ont encore besoin de se moderniser : certains acteurs ont beaucoup investi et sont parfois déçus car ils ne reçoivent pas assez de monde... Souvent du fait qu'ils ont misé sur le « tout ski », car tous voulaient avoir un « mini Courchevel  !

Or, notre travail est de leur expliquer que rien ne sert de copier, chaque station doit être spécifique et doit s'adapter à son environnement, à son marché potentiel et déterminer son positionnement. Les atouts innombrables des stations françaises ne sont pas reproductibles.

Comment parvenir cependant à concilier, dans ces projets d'aménagements de sites naturels, l'aspect environnemental, dont on ne peut plus faire abstraction aujourd'hui ?

On parle beaucoup de cette dimension alors qu'en réalité, cela fait 10 ans que plus aucun projet de nouvelle station ne se bâtit sans la nécessité de développer à la fois l'été et l'hiver, et sans vouloir devenir exemplaire sur le plan environnemental... Evidement, tout projet d'aménagement a un impact, l'objectif est de le minimiser le plus possible.

Par exemple, nous travaillons aujourd'hui sur un projet de nouvelle station en Russie à proximité du lac Baïkal ou la dimension environnementale se veut exemplaire. Un consortium d'une dizaine d'entreprises françaises travaille sur ce projet.

En France également, cette dimension environnementale devient prégnante, toutes les stations prennent des éco-engagements sur l'énergie, l'eau, la biodiversité, de plus en plus elles se veulent exemplaires.

La station de Serre-Chevalier vient par être de lancer un grand questionnaire à destination de sa clientèle, en lui posant toute une série de questions que l'on n'aurait jamais imaginé il y a 10 ou 20 ans. On demande directement aux skieurs s'ils accepteraient par exemple que l'on réduise un peu le damage des pistes, qui entraînerait plus de bosses, en contrepartie de la réalisation d'économies d'énergies durant cette opération... Petit à petit on assiste à un changement de paradigme.

Avec des ventes à l'export quasiment atones, cette année a-t-elle été l'occasion, pour les acteurs de l'aménagement de la montagne, de repartir à l'assaut du marché hexagonal, même si l'on sait que ses acteurs ont pâti d'une saison blanche ?

Cette période a en effet permis à la filière de se recentrer sur le marché domestique ou proche export, tout en étant accompagnée par un certain nombre de financements spéficiques (plan Avenir Montagne, plans régionaux...).

Les stations françaises ont ainsi pu réfléchir sur leur avenir, car il ne faut pas oublier qu'elles demeurent avant tout des vitrines admirées, qui inspirent et sont regardées sur la scène internationaleIl nous faut donc continuer à innover et à moderniser nos propres stations.

Aujourd'hui, au niveau du Cluster Montagne, nous sommes de plus en plus sollicités sur la réduction des impacts environnementaux, la sécurisation des domaines face aux risques naturels, ainsi que des travaux autour de la facilitation du parcours client. L'industrie du tourisme hivernale est indéniablement un fleuron français qui ne cesse d'innover, d'évoluer et s'adapter.

Cela passe aussi par la participation à une série de programmes pilotes, afin de fluidifier et digitaliser le parcours client par exemple, afin de ne plus avoir de files d'attentes devant les caisses des remontées mécaniques... Ces sujets sont accompagnés par la présence de startups innovantes, qui tirent aussi l'innovation au sein de la filière.

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