Un an après le boom des masques textiles, que reste-t-il du "made in Auvergne Rhône-Alpes" pour les fabricants ?

ENQUETE. Il y a tout juste un an, la plupart des entreprises textiles de la région s'étaient lancées en urgence dans la production de masques pour parer à la pénurie. En Auvergne Rhône-Alpes, elles sont plusieurs à avoir saisi la balle au bond pour transformer l'essai en profitant des opportunités ouvertes par cet épisode, court mais intense, des masques textiles. Cinq vagues plus tard, qu'en reste-t-il ? Les masques made in AURA ont-ils su s'imposer et conquérir leur marché ?
Selon le décompte d'Unitex, il reste encore quelque 1,6 million de masques sur les bras des entreprises de la région et de la matière pour en produire plusieurs millions de plus.
Selon le décompte d'Unitex, il reste encore quelque 1,6 million de masques sur les bras des entreprises de la région et de la matière pour en produire plusieurs millions de plus. (Crédits : DR)

Pierric Chalvin, directeur délégué d'Unitex AuRA (Union Interentreprises Textiles) évoque "plusieurs dizaines de millions de masques textile" fabriqués en urgence dans la région au printemps 2020, pour répondre à la demande de l'Etat confronté à une pénurie de masques chirurgicaux.

Au total, une cinquantaine de PME et ETI d'Auvergne Rhône-Alpes s'étaient alors lancées sur le sujet en particulier dans le Rhône, la Loire et la Drôme. Parmi elles, quatre locomotives : les Tissages de Charlieu (42), Boldoduc (69), Chamatex (07) et Porcher Industrie (38).

Beaucoup avaient investi dans de nouveaux outils de production et dans la R&D mais, comme l'ensemble de la filière nationale, elles se sont trouvées confrontées dès le mois de juin 2020 à un effondrement de la demande ; cette dernière se tournant désormais massivement vers les masques à usage unique, importés depuis l'Asie et devenus à nouveau disponibles...

A tel point, que plus d'un an plus tard, selon le décompte d'Unitex, il reste encore quelque 1,6 million de masques sur les bras des entreprises de la région et de la matière pour en produire plusieurs millions de plus.

Pas de nouvelles commandes publiques "prévues"

"Nous nous sommes rapprochés tout récemment de la DGE mais on nous a répondus qu'il n'était pas prévu de nouvelles commandes publiques pour des masques textiles", révèle Pierric Chalvin.

"En revanche, la Direction Générale des Entreprises nous a promis que, si les entreprises qui s'étaient engagées dans la production de masques avaient des difficultés de trésorerie en raison de leurs investissements, elles pourraient être accompagnées".

Un accompagnement qui ne sera, en réalité, pas nécessaire pour la très grande majorité des entreprises de la région, comme le précise le délégué général du syndicat textile : "Les comptes seront probablement moins reluisants que ce qu'ils auraient pu être, mais très peu d'entreprises se sont finalement mises en danger".

En clair, même si beaucoup d'acteurs locaux de la filière sont sentis trahis par le revirement des commandes (notamment publiques) dès que les masques asiatiques ont de nouveau pu être acheminés vers la France, même si un certain nombre ont dénoncé le retour du "monde d'avant", la gueule de bois de "l'après-masque" a vite été digérée pour la plupart d'entre eux.

La grande majorité a depuis soit complètement tourné la page, comme Sigvaris (dispositifs de compression médicale) dans la Loire, qui a rapidement stoppé sa production et s'est recentrée sur son cœur de métier. Ou bien continué de produire mais "à la demande", de manière beaucoup plus modeste, soit se contente aujourd'hui d'écouler ses stocks.

Pour d'autres, moins nombreux certes, mais bien actifs sur le territoire, cet épisode des masques a ouvert de nouvelles opportunités de business.

Du masque au produit plus technique

C'est le cas par exemple de Thuasne, fabricant de dispositifs médicaux (270 salariés, 2.300 salariés). Après avoir créé un masque qualifié de premium et l'avoir distribué en très grande quantité dans les entreprises et dans ses réseaux de distribution pharmaceutiques (chiffres non communiqués), l'ETI stéphanoise a conservé une ligne de production.

"Nous avons mis au point des masques spécifiques pour les enfants, pour les sportifs. Ce positionnement haut de gamme correspond parfaitement à nos activités et à notre réseau. Nous continuons d'en fabriquer et d'en vendre. Et probablement pour longtemps encore puisque nous devrons faire face à des vagues épidémiques successives", confie la dirigeante de Thuasne, Elisabeth Ducottet.

Pour le Lyonnais Boldoduc (350 salariés, CA 2021 : 15 millions d'euros de chiffre d'affaires), les nouvelles opportunités d'affaires sont encore plus marquées. " Entre mars 2020 et janvier 2021, nous avons vendu plus de 20 millions de masques, nous avions même recruté 150 personnes mais nous avons rapidement réorienté nos efforts", raconte Jean-Charles Potelle, le dirigeant du groupe.

Spécialiste des tissus techniques, Boldoduc a développé un tissu monocouche léger, notamment pour les tours de cou. Un accessoire sanitaire qui sert à la fois d'écharpe au sportif et de masque grâce à son pouvoir filtrant et à sa barrette nasale qui lui permet de rester positionné sur le nez. Les premiers modèles ont été proposés dès la saison de ski 2020/2021 aux écoles de ski ainsi qu'à une cinquantaine de stations (Les Menuires, Val Thorens etc).

"Forts de cette expérience, nous avons finalement développé une marque spécifique avec une collection complète pour cette nouvelle saison, avec ces tours de cou mais aussi des bonnets, des cagoules etc qu'on vend en direct aux particuliers sur notre site internet, ce qui est nouveau pour nous, ainsi que dans des shops de montagne. C'est un vrai succès ! Nous sommes débordés en termes de volumes. Les annonces du gouvernement sur l'obligation du port du masque pour les remontées mécaniques a fait exploser les demandes".

Une trentaine des 150 personnes recrutées pour les masques ont ainsi pu conserver leur job. Les tours de cou sont imprimés, coupés et confectionnés à Dardilly, dans les locaux de l'entreprise. 300.000 euros ont été investis ces derniers mois dans de nouveaux outils de production.

Des bénéfices réinvestis

Autre exemple de nouvelles opportunités business ouvertes notamment grâce à "l'épisode" des masques : celui porté par la PME roannaise Henitex (37 salariés). Non pas grâce à des masques plus techniques ou plus premium, mais tout simplement grâce au chiffre d'affaires supplémentaire, et conséquent, généré dans cette période et qui a pu être réinvesti dans l'outil industriel pour des innovations intéressantes.

Henitex a ainsi vendu 4,5 millions de masques en trois mois. En 2020, l'entreprise habituellement positionnée sur le prêt-à-porter féminin, a ainsi réalisé un chiffre d'affaires record de 17,5 millions d'euros contre 4 à 5 millions habituellement. Elle a même travaillé sur une innovation, des masques avec des QR codes et des puces RFID permettant notamment un suivi du nombre d'utilisations, mais elle a finalement tout stoppé.

Il n'est pas dit que le projet ne ressorte pas un jour des cartons mais en attendant elle s'est attelée à un autre développement : elle vient d'investir 1,2 million d'euros dans huit métiers et recrute une dizaine de personnes pour mettre en place dans ses murs une unité de confection sans couture, un savoir-faire qui n'était plus présent en France depuis de très nombreuses années et pour lequel la marque Le Slip Français s'est d'ores et déjà engagée avec Henitex. Les premières livraisons auront lieu en mars prochain. "Nous avons tourné la page des masques. Il n'y avait plus de demandes alors soyons pragmatiques : le chiffre d'affaires nous a permis d'investir dans une nouvelle voie stratégique", sourit Christian Schmittt, le dirigeant, soutenu dans cette voie par la Région.

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