Friche Jourdan : pourquoi le projet de la marque de jeans 1083 est enterré

DECRYPTAGE. En plein déploiement du plan France Relance, il est un dossier situé dans la Drôme qui pourrait porter matière à réflexion...En lieu et place de l'ancienne friche du chausseur Jourdan, à Romans-sur-Isère (Drôme), la marque de jeans et chaussures 1083, voulait faire faire revivre un pôle autour du Made In France de 3.000 m2. Le projet vient d'être définitivement enterré, sur fonds de polémiques.
Le projet de réhabilitation de la friche Jourdan nourri par la marque drômoise 1083, qui consistait à créer un pôle autour du Made In France de 3.000 m2 est définitivement enterré, sur fonds de polémiques.

Il était ambitieux et ô combien symbolique ce projet de l'entreprise drômoise 1083. Le fabricant de jeans français planchait sur la reprise de l'ancienne usine Charles Jourdan, devenue friche en perdition depuis la fracassante liquidation judiciaire en 2007 du célèbre chausseur. Celui-ci avait employé, au sommet de sa gloire dans les années 70, plus de 2.000 personnes sur les territoires drômois et ardéchois.

Thomas Huriez, fondateur de 1083 (un chiffre représentant le nombre de kilomètres entre les deux points les plus éloignés de la France métropolitaine), avait imaginé un projet à 10 millions d'euros pour redonner vie à cet espace de plus de 6.000m². Son projet avait même emporté l'appel à candidatures en 2016, arrachant le morceau à son compétiteur Domitys, qui souhaitait y construire une résidence pour séniors.

Ce "Cube 1083" devait ainsi mêler tourisme industriel, production, création et commerces. Au total, 3.000m² devaient ainsi être mis à disposition d'autres marques de mode françaises, engagées elles aussi dans une démarche Made in France. Le tout à quelques encablures du musée de la chaussure et de Marques Avenues. Selon 1083, des marques comme Saint James, le Slip Français ou Revol, égéries du Made in France auraient confirmé leur intérêt pour le projet.

Mais ce projet ne verra finalement pas le jour. En tout cas, pas sur la Friche Jourdan. Après quatre ans de démarches administratives et d'études diverses, il vient d'être définitivement enterré. La communauté d'agglomération Valence Romans Agglo, propriétaire du bâtiment, a voté récemment une délibération mettant définitivement fin au Cube 1083 : elle a décidé de céder l'espace à la Ville de Romans, qui en avait fait la demande. Celle-ci, déjà propriétaire du terrain, va démolir la friche pour y construire ... un gymnase.

Un dossier qui s'éternise et un doute sur les financements

Une décision qui s'explique, selon la communauté d'agglomération, par un dossier bloqué depuis "trop longtemps" et un impératif de requalification de cet espace d'entrée de ville.

"Nous travaillons avec 1083 sur ce projet depuis quatre ans, mais force est de constater que le dossier n'avance pas. Nous en étions au deuxième compromis de vente et il est devenu caduque au 31 décembre 2019", explique ainsi Laurent Monnet, vice-président de Valence Romans Agglo en charge de l'économie. Ainsi, selon elle, il n'y avait eu depuis ni compromis, ni relations avec l'entreprise.

"Jamais 1083 ne nous a montré d'engagements financiers solides de ses partenairesNous avions en revanche une proposition solide d'une maire fraichement réélue (Marie-Hélène Thoraval, ndlr), soutenue par le Département et la Région". Le vice-président de Valence Romans Agglo indique ainsi s'être résolu à signifier à 1083 que nous mettions un terme à son projet sur la friche Jourdan. "Avec grand regret, car nous avions été séduits", glisse-t-il.

Marie-Hélène Thoraval, maire divers droite de Romans-sur-Isère, réélue au printemps dernier donc à 53,5% contre.... Thomas Huriez, le fondateur de la marque 1083 lui-même (!), se défend cependant de toute considération politicienne dans sa demande d'acquisition de la friche Jourdan pour y ériger un nouveau gymnase.

"J'ai soutenu dès le début le projet de 1083. Lorsque le deuxième compromis de vente est devenu caduque, j'ai proposé d'attendre l'élection de la nouvelle équipe pour relancer le troisième compromis. Mais après les élections, jamais 1083 n'est revenu vers nous".

L'édile poursuit : "Je n'avais aucun problème avec ce projet, ni avec le dirigeant de l'entreprise. En revanche, 1083 n'avait pas les moyens de ses ambitions. Normalement les porteurs de projet ont déjà leurs financements lorsqu'ils déposent leur permis de construire. On ne nous a jamais présenté d'engagement formel. Je suis maire, ce lieu est une entrée de ville, il fallait avancer".

Et de souligner que sa commune connait une dynamique entrepreneuriale importante avec de lourds investissements en cours : Saint Jean, SFAM, Delifrance etc. Elle martèle : "de toute façon, tous les investisseurs qui s'étaient intéressés à cette friche ont fait demi-tour. Elle est en bien trop mauvais état et engendre un surcout très important par rapport à un terrain nu".

"Nous sommes écoeurés"

Autant d'arguments que réfute avec force Thomas Huriez, mentionnant un permis de construire accordé début novembre 2019, bien trop tardivement pour instruire les dossiers de financements avant le 31 décembre 2019, date de caducité du compromis de vente.

"Nous leur avons demandé de prolonger le compromis, ils ont refusé. Ce n'est pas ainsi qu'aurait réagi n'importe quel vendeur de bonne foi. D'autant que sur les quatre ans perdus, deux sont imputables à la collectivité. Elle devait dépolluer les sols, elle l'a fait mais tout cela a fait perdre du temps", soupire l'entrepreneur.

Et d'ajouter : "Je ne peux que constater que tout allait très bien avec la Ville de Romans jusqu'à l'été 2019 et l'annonce de ma candidature à la mairie".

Sur le sujet des financements, Thomas Huriez produit un courrier, daté de début décembre 2019 et cosigné de quatre établissements bancaires (Crédit Agricole Sud Rhône-Alpes, Crédit Mutuel, Banque Populaire Auvergne Rhône-Alpes et BNP Paribas) exprimant leur "volonté d'accompagnement" mais précisant qu'il ne leur sera pas possible de "délivrer une décision avant le 31 décembre 201,  eu égard entre autres, à l'obtention tardive du permis de construire".

Le pool bancaire, faisant état du secret professionnel, n'a pas souhaité répondre à nos sollicitations. "Nous avons déjà investi 600.000 euros dans ce projet. Nous sommes une petite entreprise, pensez-vous vraiment que nous aurions dépensé autant si nous n'étions pas certains d'aller au bout ? Et puis cette friche, c'était le dernier patrimoine industriel de la ville. Il s'agit d'une énorme perte pour l'histoire de la ville", s'indigne Thomas Huriez, qui se dit écoeuré et déçu de cette décision, mais pas abattu. "Cela ne signifie pas la fin du développement de 1083".

Il faut dire qu'en plein cœur de la crise, alors même que le gouvernement dépense des milliards pour accompagner les entreprises dans leurs projets de relocalisation et de réindustrialisation, le projet 1083 visant à relocaliser en France toute la chaine de valeur de la production du jean (de la production de coton à partir de jeans recyclés jusqu'à la confection en passant par la teinture et le tissage) a une résonnance bienveillante chez les consommateurs comme chez les investisseurs.

Poursuivre le développement ailleurs

"1083 connait une croissance excitante. Il y a quatre ans, nous réalisions un million d'euros de chiffre d'affaires -la marque a été créée en 2013-. Aujourd'hui, nous en sommes à 8 millions d'euros avec 70 salariés. Nous observons que les consommateurs français sont de plus en plus attentifs au Made in France et à nos valeurs", poursuit le fondateur de 1083.

La croissance provient à la fois d'une forte augmentation des ventes, mais aussi du rachat en 2018 de Valrupt Industrie, une filature vosgienne en difficulté.

"Nos locaux sont trop petits désormais, d'autant que cette année 2020 a été porteuse pour nous avec une croissance de 80%. Nous allons digérer cette nouvelle, et nous remettre au travail pour construire un nouveau projet. A Romans, dans la Drôme ou ailleurs. Nous avons des opportunités dans les Vosges et à Marseille".

Coté collectivités, aussi bien à la Ville de Romans qu'à la communauté d'agglomération, on se dit prêts à soutenir l'entreprise dans une nouvelle implantation. Mais pas sur le site Jourdan. Cette page est définitivement tournée.

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Commentaire 1
à écrit le 30/01/2021 à 5:44
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Pourquoi la ville ne veut pas vous laisser poursuivre l'activité textile de 1083 dans l'usine Jourdan? Cela fait partie du patrimoine et votre travail est utile et fait sens là bas non? Pourquoi briser ce symbole et les espoirs qui étaient liés. Que ...

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