Dominique Marcel (Compagnie des Alpes) : "Nos stations de ski ont de grandes capacités de rebond"

GRAND ENTRETIEN. Décision du Conseil d'Etat concernant la réouverture des stations, réunion clé entre les acteurs de la montagne et le gouvernement Castex... Alors que la montagne occupe l'agenda cette fin de semaine, le pdg de la Compagnie des Alpes, Dominique Marcel, revient avec La Tribune sur les résultats du groupe affectés par le Covid-19, mais aussi sur ses attentes dans une semaine déterminante pour les stations, ainsi que sur les différents scénarios imaginés pour 2021.
(Crédits : CDA)

(Publié le 10/12/2020 à 14:15, actualisé à 19:32)

LA TRIBUNE AUVERGNE RHONE ALPES - La Compagnie des Alpes, vient de publier ses résultats annuels pour l'exercice 2019/2020, avec sans surprise, une baisse de - 28 % de son chiffre d'affaires par rapport à l'exercice précédent, qui conduit le groupe à afficher un chiffre d'affaires de 615 millions d'euros. Au cours des dernières semaines, vous l'aviez déjà annoncé : votre groupe avait été fortement impacté dans ses deux cœurs de métier, que sont les domaines skiables, mais également les parcs de loisirs...

DOMINIQUE MARCEL - La Compagnie des Alpes a été très fortement impactée, tout comme l'ensemble du secteur du tourisme, car elle a bien entendu dû fermer de manière anticipée ses stations le 14 mars dernier, et trois mois ses parcs de loisirs, de la mi-mars à la mi-juin, ce qui représentait pour nous une période de haute saison. Résultat : nous avons perdu 20 % du chiffre d'affaires de notre segment ski cette année, et 40 % de celui des parcs.

Cette situation a entraîné, à la clôture des comptes, une perte de 100 millions d'euros, qui se décompose en réalité de la manière suivante : les pertes liées directement à l'exploitation s'élèvent à 35 millions d'euros, auxquelles il faut ajouter près de 70M€ d'éléments exceptionnels car nous avons en parallèle dû procéder à l'ajustement comptable de la valeur d'un certain nombre nos actifs.

Sachant qu'au 15 mars, nous étions, juste avant la crise, sur une trajectoire de croissance à deux chiffres, qui s'appuyait sur une fréquentation soutenue, à la fois au sein de nos parcs de loisirs, et de croissance soutenue de nos domaines skiables. Nous étions même partis pour réaliser à nouveau une année record, marquée par de très bonnes performances.

Votre exercice 2019-2020 s'est en effet traduit, comme pour d'autres secteurs, par une activité en dents de scie découlant des contraintes sanitaires, avec un été qui a été cependant plutôt bon ?

Nous avons en effet réalisé plutôt un bon été, avec le retour d'une bonne fréquentation. Dans les parcs de loisirs, celle-ci s'est élevée à hauteur de 70 % de celle de l'année précédente, et ce, malgré les conditions sanitaires difficiles ainsi que la perturbation de nos canaux de distribution habituels, que sont par exemple les comités d'entreprise, mis entièrement à l'arrêt depuis le confinement.

Les gens avaient très envie de revenir dans nos parcs et nos stations, mais nous avons ensuite été contraints d'arrêter à nouveau notre activité à la Toussaint. Et ce, alors qu'Halloween, ainsi que la saison des arbres de Noël, marque habituellement une période importante de l'année.

Nous commençons donc notre nouvel exercice avec un handicap sur le volet des parcs, avec une perte évaluée à 50 millions d'euros. Du côté des stations, au moment de l'annonce du 2ème confinement, le niveau des réservations atteignait près de 70% de celui de l'année dernière à la même période, ce qui était déjà un bon score, compte-tenu de la situation et de la tendance aux réservations « last minute » qui se consolide depuis plusieurs années. Depuis l'annonce de la fermeture des stations, nous n'enregistrons aucune réservation...

Vous aviez pris la parole pour évoquer le sort de vos salariés saisonniers, qui représentent près de 2.500 personnes employées à l'année par votre groupe uniquement pour son activités des domaines skiables (1.400 au sein des parcs d'attractions), en plus de vos 900 contrats permanents. À l'aube d'une nouvelle réunion avec le gouvernement prévue ce vendredi, que vont devenir ces 2.500 collaborateurs en cas de non-ouverture des stations ?

Nous embauchons chaque année à la mi-septembre et jusqu'à la fin octobre nos salariés saisonniers : il s'agit d'une manière de sécuriser leur parcours, en procédant à une réembauche de l'ensemble des salariés saisonniers de l'année précédente. Cela nous permet aussi d'assurer le maintien des compétences et la qualité de nos domaines.

Nous avions donc engagé comme à notre habitude le processus à la mi-septembre, avec des promesses d'embauches qui se concrétisent habituellement à mesure que les domaines ouvrent.

Pour l'instant, la situation actuelle est telle que si nous ne pouvons pas ouvrir, nous serons contraints, à très grand regret, de placer nos saisonniers en activité partielle, je l'espère, pour le moins de temps possible.

Le dossier de la montagne se retrouve en pleine actualité cette semaine, avec une décision du Conseil d'État attendue aujourd'hui, ainsi qu'une nouvelle réunion, à l'agenda du gouvernement et de Jean Caste, ce vendredi : qu'attendez-vous de annonces à venir et quels sont les scénarios auxquels vous vous préparez ?

Nous souhaitons toujours que les domaines puissent ouvrir courant janvier. Nous sommes prêts et c'est la raison pour laquelle nous avons tenu à conserver nos saisonniers. Nous pourrions toujours l'être également pour le début des vacances de Noël...

Pour l'instant, ce qui ressort des décrets est la possibilité que demeurent ouvertes à un nombre très restreint de pratiquants, comme les ski clubs. Nous sommes prêts à accueillir et soutenir les stations grâce à nos équipes et à contribuer faire fonctionner certaines activités. Mais ceci, dans le cadre d'un dispositif établissant bien les responsabilités afin d'assurer la sécurité de chacun.

On sent bien que, malgré la forte mobilisation et les leviers activés comme un référé au Conseil d'Etat, peu s'attendent désormais à ce que le gouvernement fasse machine arrière sur une ouverture avant les fêtes. Quelles sont les revendications prioritaires que vous porterez ce vendredi, auprès du gouvernement ?

La question serait de savoir à quelle date nous pourrons ouvrir, et comment nous allons pouvoir être indemnisés de la période actuelle. Car en plus de devoir reporter l'ouverture, ce qui aura un impact direct sur notre chiffre d'affaires jusqu'à la mi-janvier à hauteur de 20 % comme nous l'avons déjà souligné, se pose la question de la sécurisation des domaines.

Nous sommes tout à fait prêts à le faire pour rendre l'activité possible, mais cela nécessitera que nous soyons indemnisés. Car il ne faut pas oublier que lorsque nous perdons du chiffre d'affaires, 60% des charges fixes demeurent à notre charge, auxquelles il faut rajouter 10% supplémentaire pour la sécurisation.

Il est possible que demain, de premières annonces puissent avoir lieu à ce sujet, mais nous continuerons dans tous les cas la discussion, afin d'avoir des éléments concernant ces indemnisations.

Comment traduisez-vous la position du gouvernement français à ce stade, que certains dépeignent comme « arc-boutée » sur la question des stations ? Après une phase de stupeur, puis de confrontation, pensez-vous qu'il existe aujourd'hui encore des marges de dialogue sur certains points à ce stade ?

Nous sommes dans une volonté de dialogue et nous espérons toujours convaincre le gouvernement, d'autant plus que nous avons de bons arguments. Cependant, je pense que sa position, concernant la fermeture à Noël, demeure assez ferme.

Cela dit, nous souhaitons nous battre jusqu'au bout et ne nous avouons pas vaincus, car nous ne comprenons toujours pas pourquoi nous devrions fermer les domaines skiables, alors qu'il s'agit de grands espaces aérés, avec des protocoles sûrs et sérieux.

On oublie que nos stations de ski sont des villages et des villes comme les autres. Il n'y a pas plus de danger qu'à Paris. Les protocoles et couvre-feu seront respectés. Sans compter que nos activités font vivre des territoires et des habitants qui en tirent parfois l'essentiel de leurs revenus, ainsi que des sous-traitants et fournisseurs. L'ouverture des stations demeure donc un enjeu économique majeur pour ces territoires.

Quels pourraient être justement les impacts de cette décision en matière d'investissements, qui pèsent un poids considérable dans votre secteur comme vous le dépeigniez plus haut ? Dans vos derniers résultats annuels, vous indiquiez avoir déjà procédé à « une baisse des investissements industriels nets de -16,4% par rapport à l'exercice précédent », et envisager « une enveloppe annuelle comprise entre 120 et 160 millions d'euros en fonction de l'évolution de la situation » pour la saison 2020-2021...

Tout d'abord, nous avons surtout ajusté, et non réduit, nos investissements au cours du dernier exercice. Nous avons avant tout décidé de reporter des projets, et nous sommes d'ailleurs actuellement en train de lancer certains travaux, qui seront terminés pour la saison prochaine.

Nous n'avons cependant pas réalisé de réduction brutale de nos investissements. Nous défendons toujours une politique très volontariste, qui se traduit par une augmentation considérable du montant alloué sur nos deux métiers au cours des dernières années. Nous ne sacrifierons pas les investissements, car nous nous situons dans une logique de long terme.

Reste que lorsqu'on perd 40 % de revenus dans un métier et 20 % dans un autre, et que la période de Noël représente près de 100 millions de perte de revenus du côté des domaines skiables notamment, la situation peut évidemment nécessiter des ajustements en matière de coûts.

C'est la raison pour laquelle nous avons engagé un programme de réduction des coûts, et envisagé une fourchette d'investissement variable, fixée entre 120 et 160 millions d'euros pour l'année à venir. Cela comprend à la fois une modernisation mais également des créations de nouveaux équipements, afin d'offrir des équipements à la fois plus confortables, de meilleure capacité et débit, mais aussi, qui réduisent leur empreinte carbone.

Quelques mots justement sur le modèle de développement de la montagne, qui faisait face jusqu'ici à des enjeux d'adaptation aux changements climatiques. La crise sanitaire est-elle une nouvelle donnée à intégrer dans la transformation de ces modèles ? Et peut-être aller de pair avec celle de l'adaptation aux changements climatiques qui demeure à mener ?

Il est un peu tôt pour tirer les enseignements de cette crise sanitaire, qu'il faudra regarder avec du recul, même si l'on sait déjà que cette crise a des origines spécifiques, qui ne sont pas les mêmes que celle du réchauffement climatique.

L'enjeu du réchauffement climatique est d'ailleurs un enjeu stratégique majeur, même si nous sommes relativement mieux protégés que d'autres, compte-tenu de la configuration et de l'altitude de nos stations. Même si cela nous laisse un peu de temps, il nous faudra toutefois nous adapter et assurer cette transition.

Cela passe par de nouvelles configurations des pistes ou des domaines, afin qu'elles soient les plus appropriées à l'évolution des conditions d'enneigement, ou encore des travaux de recherche, qui nous permettent de mieux anticiper nos investissements en fonction des conditions d'enneigement. L'ajustement de la neige de culture est un enjeu majeur en vue de mieux économiser l'énergie. Notre mix d'investissement va d'ailleurs continuer d'évoluer pour tenir compte de ces enjeux.

Peut-on s'attendre à ce que cette crise sanitaire accélère la transformation d'un modèle reposant encore en grande partie sur l'économie du ski et une saison concentrée sur l'hiver ? Cela renforce-t-il la nécessité de transformer cette partie du modèle ?

Même si le ski demeure un élément structurant, il faut savoir sortir du "tout ski" pour développer d'autres activités de montagne, et notamment l'été. Mais il n'y aura de grand soir : la volonté des acteurs de la montagne est bien entendu d'imaginer des formes nouvelles ensemble afin de créer des écosystèmes rentables et profitables à tous.

Les remontées mécaniques y participeront, mais elles ne peuvent pas fournir l'essentiel des ressources, notamment en été. C'est pourquoi nous travaillons déjà un autre modèle, avec l'allongement des saisons, mais également d'autres pistes.

Sous quelle forme pourriez-vous donc intervenir demain et notamment dans quelles activités complémentaires ?

Depuis plusieurs années, nous sortons de notre rôle d'opérateur de domaines skiables pour proposer de l'hébergement sous différentes formes, à travers des agences immobilières et de la rénovation, ou encore la participation à des projets immobiliers afin de réchauffer des lits. Cette stratégie pourrait encore prendre de l'ampleur.

Nous avons par exemple pris le contrôle du premier tour opérateur français de vente de séjours en montagne, Travelski. Nous le faisons non pas pour croquer d'autres acteurs, mais plutôt car nous pensons que, compte-tenu de notre taille et de notre position de leader, nous pouvons avoir un rôle de facilitateur et d'intégrateur à jouer.

Car demain, l'expérience globale en station pourrait être mieux intégrée, en comprenant à la fois le ski, mais également l'accueil, l'hébergement, ainsi que la fluidité du parcours client, y compris au sein de l'après-ski. La CDA se posera ainsi aux côtés des autres acteurs pour y parvenir.

Alors que votre groupe présente une forte exposition et dépendance à la clientèle étrangère, quelle vision avez-vous de la reprise qui pourrait se profiler sur la saison 2021 ?

Il faut tout d'abord souligner que seulement 8 % des Français font du ski régulièrement et l'on constate que l'on compte de moins en moins de pratiquants au sein de la clientèle régionale. Notre premier enjeu doit donc d'abord être le renouvellement de la clientèle, en s'assurant de faire en sorte que les jeunes continuent à skier, et trouvent notamment des prix abordables pour se loger.

Mais cette question ne doit pas être antinomique de celle de clientèle étrangère, qui représente encore près de 40 % pour un groupe comme le nôtre. D'autant plus qu'il s'agit d'une clientèle de proximité, provenant surtout des pays européens voisins. Cette clientèle va nécessairement être affectée dans ses déplacements, c'est pourquoi nous anticipons que son retour prendra un certain temps.

Cependant, nos stations ont de grandes capacités de rebond. Les activités que nous allons proposer sont celles qui vont être parmi les plus prisées lorsque nous sortirons du confinement. Les gens auront envie de revenir profiter des grands espaces et de l'air frais et de se retrouver.

Tout dépendra, bien sûr, du rythme de sortie de cette crise sanitaire, qui pourrait se jouer à quelques mois près et prendre un peu plus de temps.

Votre groupe (dont la Caisse des Dépôts et Consignations demeure actionnaire majoritaire à 40%, aux côtés de banques régionales et de Sofival et investissements publics) a annoncé une transition à venir dans sa gouvernance, afin de séparer le poste de président et celui de directeur général. Pourriez-vous nous expliquer ce changement en quelques mots ?

La Caisse des Dépôts avait annoncé, depuis plusieurs années, son souhait que la gouvernance soit dissociée, comme cela se fait au sein de beaucoup de sociétés, entre une présidence du conseil d'administration et une direction générale. Mon mandat arrivant à échéance en mars, et arrivé à 65 ans après une dizaine d'années à ce poste, j'aurais pu quitter mes fonctions, mais je demeure très attaché à cette société. C'est pourquoi, avec la confiance des actionnaires, je deviendrai donc président du conseil d'administration.

Il s'agit d'une évolution plutôt naturelle, d'autant plus qu'il était important d'assurer une forme de continuité dans un contexte de crise comme celui-ci. Je me dégagerai toutefois des opérations quotidiennes et me concentrerai davantage sur la réflexion, et l'impulsion de la stratégie et du développement de l'entreprise. Je suis en effet passionné par ailleurs par le secteur du tourisme, qui est par ailleurs une économie très inclusive d'autres activités et industries. Je souhaite continuer à m'engager au sein de ce secteur avec le groupe de la Caisse des Dépôts, et probablement à travers d'autres instances.

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Commentaire 1
à écrit le 11/12/2020 à 8:37
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Tout dépend quel investissement, au lieu d'affirmer bêtement une croyance, une idéologie il convient de jetter un oeil et de savoir quel secteur a besoin d'investissement, des chasses neiges toujours plus performants toujours plus sûr oui, des systèm...

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