"Deal ou no deal", 10.000 sociétés régionales seront concernées par le Brexit

DECRYPTAGE. Les services des douanes sont sur le pont. Car à compter du 31 décembre prochain, le Royaume-Uni sortira de l’Union Européenne. Et si, quatre ans après les premières discussions sur le Brexit, le sujet génère une forme de lassitude, il se traduira néanmoins par des impacts très concrets à venir, dès le 1er janvier, sur les échanges entre les entreprises régionales et anglaises. En Auvergne Rhône-Alpes, ce sont près de 10.000 sociétés de différentes tailles qui commercent chaque année avec le Royaume-Uni.
(Crédits : DR)

Covid-19 et Brexit feront-ils bon ménage ? Début 2021, le terrain de l'exportation, déjà chahuté par la crise sanitaire actuelle, pourrait bien amener de nouveaux défis. Car quatre ans après l'annonce de la sortie du Royaume Uni de l'Union Européenne, le Brexit tant attendu se matérialisera finalement par une première étape de taille au 1er janvier 2021. Alors que le commerce international subit encore les effets de la crise sanitaire, cette transition pourrait bien représenter un enjeu pour les entreprises régionales qui échangent avec le Royaume-Uni.

« Auvergne Rhône-Alpes demeure en effet une région très exportatrice, qui se situe dans le top 3 au niveau national (tous pays confondus), et qui enregistre même un fort niveau d'excédent commercial avec le Royaume-Uni plus spécifiquement, de près de 2 milliards d'euros », affirme Aude Calvignac, responsable du pôle d'action économique de la direction régionale des douanes de Lyon.

Les échanges avec nos voisins anglais occupaient en effet jusqu'ici une place de choix dans la stratégie d'export régionale, aux côtés d'autres pays de l'UE comme l'Allemagne ou l'Italie : « Le Royaume-Uni était jusqu'ici notre 4e client à l'export et notre 9e fournisseur au niveau régional. Car nous exportons bien plus que nous emportons, avec des secteurs très représentés au sein de cet excédent, comme l'industrie chimique et pétrochimique, l'automobile et le transport, la métallurgie ou encore l'agroalimentaire », note Aude Calvignac.

D'autant plus que selon les chiffres de la CCI de la région Auvergne Rhône-Alpes, « le Royaume-Uni est un partenaire bien plus important au niveau régional (4e position) qu'au niveau national (6e position) en matière d'export ».

Or, si les opérations d'import-export réalisées au sein de l'Union Européenne pouvaient s'apparenter jusqu'ici à des transactions « locales » pour les entreprises françaises, ce ne sera plus le cas avec l'arrivée du Brexit au 31 décembre prochain. Car « accord ou pas accord », le départ du Royaume Uni aura nécessairement un impact direct sur les échanges entre les entreprises françaises et anglaises.

« L'impact le plus fort sera pour les entreprises qui ne réalisent actuellement pas de grand export, c'est-à-dire d'opérations en dehors de l'Union Européenne qui nécessitent déjà des formalités douanières », traduit Aude Calvignac, qui chapeaute justement une équipe, comprenant une cellule de conseil aux entreprises, qui se retrouve depuis quelques mois déjà au premier rang dans le cadre du Brexit. Elle invite les entreprises à prendre la mesure de ce changement, et à bine s'informer en amont.

Deux dates clés à retenir

Car à compter du 1er janvier 2021, les entreprises régionales qui commerceront avec le Royaume-Uni seront donc contraintes de remplir, à chaque fois que leurs marchandises passeront la frontière, un formulaire de déclaration en douane comprenant 54 cases codifiées, rapportant la nomenclature du produit, son origine, etc.

Et ce, qu'elles réalisent de l'import ou de l'export. Du côté de leurs partenaires anglais, la procédure sera cependant légèrement différente car ils bénéficieront d'une période transitoire allant jusqu'au 1er juillet prochain, au cours de laquelle ils ne seront tenus eux-mêmes de réaliser uniquement une inscription de leurs transactions au sein d'un registre.

« L'impact le plus fort sera pour les petites et moyennes entreprises qui n'ont pas de service spécialisé en interne, et qui devront faire appel à un prestataire externe, un représentant en douane enregistré, afin de les aider à procéder aux formalités douanières », explique la représentante de la direction régionale des douanes.

Sans compter qu'en fonction du type de contrat d'export signé avec leur prestataire, certaines entreprises d'Auvergne Rhône-Alpes pourraient aussi se voir chargées de réaliser les démarches à mener des deux côtés de la Manche, pour le compte de leur client.

Selon un premier recensement établi par le service des douanes, près de 10.000 entreprises commerceraient ainsi avec le Royaume-Uni, avec parmi elles, seulement un peu moins de la moitié (4.000) qui auraient l'habitude de faire affaire avec des pays situés en dehors de l'UE.

Un phénomène qui, cumulé aux impacts du Covid-19 depuis mars dernier, s'est traduit par une variation importante des échanges outre-manche au cours des derniers mois, avec « un effet de stock » provoqué par des entreprises qui se sont préparées depuis plusieurs mois, en commandant un peu de marchandises qu'à leur habitude, en vue de sécuriser leurs approvisionnements.

 « On a remarqué, lors de notre dernière étude menée au sein des entreprises régionales, que celles qui avaient déjà développé des relations avec des partenaires sur place ont majoritairement poursuivi leurs échanges. Cependant, les sociétés qui pensaient attaquer le marché anglais ont eu tendance à remettre leur projet à plus tard, compte-tenu du contexte actuel », observe Pierre Bérat, directeur études de la CCIr.

Une inconnue de taille : accord commercial ou non ?

Si la déclaration en douane ne coûtera rien en elle-même, le recours à un prestataire externe se traduira nécessairement par des frais supplémentaires pour les entreprises exportatrices. Sans compter qu'il existe encore une inconnue de taille : à savoir la tarification des droits de douane, qui pourraient être appliqués par les deux pays, en fonction des catégories de produits échangés.

« Les entreprises d'AuRA qui importent des matières premières venue du Royaume-Uni se verront imposer des droits de douane à l'entrée de la marchandise sur le territoire de l'Union, tandis que les sociétés qui exportent au Royaume-Uni seront-elles aussi soumises à des droits de douane, en fonction de la catégorie des produits exportés », illustre Aude Calvignac.

Et ce, tant qu'un accord commercial n'est pas ratifié entre l'Union Européenne et le Royaume-Uni. Or depuis plusieurs mois, les négociations entamées à ce sujet patinent.

Si quoi qu'il arrive, le Brexit se traduira par le retour de formalités de douanes et de nouvelles règles fiscales, « le projet d'accord ne visera quant à lui qu'à réduire le taux de droits de douanes appliqués. L'objectif premier étant surtout de ne pas pénaliser les échanges commerciaux à l'international, en négociant par exemple des réductions ou exemptions de droits de douane sur certains produits, sur lesquels les pays doivent se mettre d'accord en amont », explique-t-elle.

Douanes Brexit

Dans l'éventualité où un accord finisse par être trouvé, celui-ci devra encore être ratifié par les parlements de chacun des états membres de l'Union, ce qui n'est pas anodin. La démarche pourrait donc prendre encore un certain temps, et ne sera probablement pas opérationnelle d'ici au 1er janvier prochain.

Seule certitude pour les PME régionales exportatrices : en cas d'absence d'accord, le Royaume-Uni veillera nécessairement à appliquer des tarifs réduits sur les marchandises qu'elle ne produit pas ou peu localement, et qui lui sont essentielles.

« On estime qu'environ 60 % des produits pourraient arriver exemptés de droits de douane, dans les domaines de l'agroalimentaire ou de l'industrie automobile par exemple, tandis que 40 % y seraient au contraire soumis », note Aude Calvignac. D'ailleurs, Boris Johnson a déjà annoncé que dans une optique de simplification, les droits de douane les moins élevés (2%) seraient tout simplement abrogés pour faciliter la transition.

Des exports régionaux en ligne de mire

Reste qu'au niveau régional, cette part d'exportations, soumise aux droits de douane, pourrait représenter jusqu'à 50 % des matières exportées, car elle touche des domaines très exposés, comme le rappelle la dernière étude de la CCI Auvergne Rhône Alpes à ce sujet.

« Notre région est bien positionnée dans le domaine de la confiserie, chocolaterie, ainsi que sur les aliments destinés aux animaux ou des plats préparés, sans compter l'export de lait et fromages. Le textile serait également soumis à des droits de douane de même que le secteur de la chimie et la plasturgie. Dans ce dernier domaine, les tarifs seraient moins élevés mais demeureraient un enjeu au vu des volumes exportés », souligne la CCI AURA.

Les craintes découlant de l'arrivée de cette nouvelle donne au niveau du commerce international demeurent cependant réelles, y compris sur la scène locale, car elles viennent s'ajouter à un contexte marqué par des échanges en berne depuis l'arrivée du Covid-19 en mars dernier. « Le commerce international a besoin de retrouver un peu de confiance », admet Aude Calvignac.

Son dernier baromètre de l'export mené en Auvergne Rhône-Alpes qui compare la période actuelle à 2019, la CCIr constate que plus de 90 % des entreprises ont poursuivi leurs échanges à l'export (tous pays confondus) au cours des neuf derniers mois, tandis que 10 % d'entre l'ont mise en stand-by. « Et parmi ceux qui poursuivent cette stratégie, 47 % des entreprises déclaraient leurs échanges plutôt en baisse », confie la CCIr.

« On sait que l'économie aura besoin de rebondir au cours des mois qui viennent et il serait dommage de se priver d'un levier d'activité que peuvent constituer les échanges avec le Royaume-Uni », plaide Marc Cagnard, directeur international chargé de l'accompagnement des entreprises à la CCI de région.

Alors que beaucoup estiment encore qu'un « no deal » pénaliserait les deux parties, l'un des enjeux majeurs au cours des prochains mois sera de voir comment il sera possible de fluidifier les échanges, pour que le divorce entre les deux anciens partenaires ne se transforme pas en guerre commerciale.

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