A Lyon et Grenoble, les commerçants scandent toujours : « laissez-nous travailler »

REPORTAGE. A la veille de l'allocution d'Emmanuel Macron qui devrait préciser ce soir les contours d'un début de reconfinement, les commerçants et les restaurateurs ont manifesté à nouveau ce lundi à Lyon -et pour la première fois à Grenoble-. Ils maintiennent la pression et demandent toujours la réouverture au plus tôt de leurs établissements, avec un focus sur le secteur hôtellerie-restauration en pleine incertitude, mais aussi des garanties supplémentaires de l’Etat à l'égard de leurs charges fixes.
A Grenoble, près de 800 personnes -selon les renseignements généraux- ont manifesté face à la préfecture de l'Isère pour demander la réouverture des bars, restaurants et commerces jugés non-essentiels, ainsi qu'une exonération des charges.
A Grenoble, près de 800 personnes -selon les renseignements généraux- ont manifesté face à la préfecture de l'Isère pour demander la réouverture des bars, restaurants et commerces jugés non-essentiels, ainsi qu'une exonération des charges. (Crédits : ML)

« Laissez-nous travailler ». Tel était le message scandé et répété par les manifestants, vêtus de noir, aux portes de la préfecture de l'Isère, où le préfet Lionel Beffre a rencontré ce lundi après-midi des représentants de l'UMIH, des saisonniers ainsi que des commerçants de l'association Label Ville.

Réunis pour la première fois à Grenoble à l'appel de l'une des principales fédérations du secteur (l'UMIH), les professionnels de l'hôtellerie-restauration, de l'événementiel et du tourisme ont posé symboliquement un genou à terre pour symboliser la menace économique planant sur leurs professions, à l'arrêt à nouveau depuis début novembre. « Aujourd'hui, ce sont deux établissements sur trois qui craignent pour leur survie à la suite de ce second confinement », rappelle Danièle Chavant, présidente de l'UMIH 38. Avec une inquiétude également marquée pour les professionnels de l'événementiel et du tourisme, dont la saison d'hiver imminente s'annonce déjà amputée.

Relayé par le réseau des chambres consulaires ainsi que par la CPME 38, ce rassemblement en terre iséroise a réuni près de 800 personnes selon les renseignements généraux. Avec, au micro, des témoignages de chefs d'entreprises parfois au bord des larmes.

Parmi eux, Théodore Pellegrain, traiteur à la salle de réception Midinette à saint-Martin d'Hères (38), qui déplore une année gâchée : «La saison de mariage n'a pas pu reprendre, mais il ne faut pas oublier que ce secteur fait travailler tout un ensemble de sous-traitants, que ce soit des fleuristes, des spécialistes de la décoration, des DJ... combien de ces professionnels sont en train de crever », s'exclame-t-il.

Luc Magnin, représentant de la branche des saisonniers au sein de l'UMIH se demande : « A l'aube d'une saison qui s'annonce déjà amputée de deux mois, va-t-on agir avec des mesures fortes et concrètes avant que nos hôtels deviennent des friches touristiques ? ».

manifestation UMIH Grenoble 2

Une incompréhension s'installe

A quelques mètres de la préfecture, beaucoup évoquent leur incompréhension, et désormais leur colère, à ce que l'Etat se soit basé sur une étude américaine, arguant d'un taux de contamination supérieur au sein des restaurants, pour justifier la fermeture de leurs commerces.

« Nous avons tout fait, suivi toutes les consignes sanitaires pour pouvoir recevoir les gens dans de bonnes conditions. Nous sommes des professionnels, nous ne sommes pas en Amérique », clame l'UMIH au micro.

Partout, l'impératif sanitaire se heurte désormais à l'impact économique. Même les clients se sont mêlés aux manifestants, à l'image d'une jeune trentenaire, qui élève la voix clamer une déclaration de soutien à ses commerçants de quartiers, avec un message sous forme d'alerte : « Quand tous les cafés auront fermé, il restera Starbucks... Quand toutes les libraires auront fermé, il restera Amazon. Est-ce dans ce monde-là que nous voulons vivre ? ».

Jérôme Lopez, président de la CPME 38, admet que « le credo : "pour éviter de mourrir, il faut arrêter de vivre" passe de plus en plus mal auprès des commerces ». Et d'ajouter : « Il s'agit d'un choix cornélien puisqu'aujourd'hui, on craint directement pour ce qu'il va advenir de toutes les entreprises qui ont engrangé un PGE pour renflouer leur trésorerie et qui ne parviendront pas à le rembourser ».

Sur place, tous demandent désormais non plus le report, mais l'annulation de leurs charges fixes, qui pèsent sur leurs trésoreries déjà exangues, ainsi que le retour au travail dès que possible pour éviter une casse sociale qu'ils anticipent déjà. Plusieurs en appellent également aux assureurs, dont les contrats passés pour les pertes d'exploitations se sont révélés insaisissables durant cette pandémie. « Les assureurs brillent par leur absence », a reconnu à son tour Danièle Chavant.

La vente en emporter ne suffit pas

« Avec près de 70 % de pertes et des employés au chômage partiel, nous conservons un faible volume d'activité, de l'ordre de 10 à 20 %, lié à la vente à emporter. Cela permet tout juste de sauver les meubles, mais pas de payer les charges fixes, car nous avons toujours la CFE, ou encore la TVA sur ce que l'on vend, les loyers, etc », rappelle Théodore Pellegrain.

Même situation au restaurant le Coq en velours, situé à Aoste en Nord Isère, dont le gérant, Michel Bellet, a fait le déplacement : « Notre établissement existe depuis quatre générations et près de 120 ans, mais comment continuer d'exercer notre métier avec passion comme nous le faisions jusqu'ici avec 4 mois et demi de fermeture ? ». Situé en territoire rural, ce dernier a dû fermer ses portes mais continue de payer ses factures, qu'il nous liste : « CFE, abonnement de gaz, d'électricité, taxe foncière calculé sur l'année précédente... Comment payer ces charges quand on est à zéro ? ». Tous repoussent désormais d'un revers de main le PGE, estimant que s'endetter pour payer ses charges courantes n'est « tout simplement plus envisageable. »

manifestation UMIH Grenoble 5

La présidente de l'UMIH 38, Danièle Chavant, qui rappelle que l'Isère compte près de 11.000 salariés de la filière de l'hôtellerie-restauration, dont les emplois sont directement menacés à court terme, a affirmé que sa délégation venait de remettre une série de propositions à la préfecture de l'Isère. L'objectif : encadrer et assouplir la reprise d'activité à venir, en fonction du calendrier qui sera précisé cette semaine par le gouvernement.

Ce lundi, seules les 3 tonnes de marrons de chauds, offerts par un vendeur ambulant, auront réchauffé un peu les cœurs face à l'absence de réponses précises sur le terrain de leurs revendications.

A Lyon, une quatrième manifestation

Dans la capitale des Gaules, les indépendants ont choisi un autre symbole en ce lundi après-midi : ils ont troqué leurs habits noirs pour brandir des drapeaux aux couleurs de la France. Bleus pour les commerçants, blancs pour les travailleurs de l'hôtellerie-restauration, bars et discothèques et rouges pour ceux de l'évènementiel et du spectacle. Place Bellecour, ils se regroupés pour le quatrième lundi de suite afin d'obtenir la réouverture de leurs établissements.

« Beaucoup d'entre nous restent sans activité. [...] Vous avez réussi une chose : nous réunir ici, issues de milieux différents, parfois concurrents, à parler d'une seule voix », lance à l'adresse du gouvernement Anne Delaigle, du collectif Au Nom des indépendants.

En effet, plusieurs fédérations sont à l'origine de l'organisation : l'UMIH (Union des métiers et des industries de l'hôtellerie), les Toques blanches, l'union des professionnels solidaires de l'évènementiel, la CPME, et les fédérations de l'habillement, l'USPE (Union des professionnels solidaires de l'évènementiel ) collectif Les Non-essentiels.

Ces organisateurs de tous bords ont demandé une nouvelle fois au gouvernement l'indemnisation de la perte d'exploitation par les assurances, la modification du statut d'indépendants avec l'ouverture des droits au chômage quand il y a une cessation d'activité et une prise en charge des loyers.

quatrième manifestation indépendants Lyon

Une solidarité interprofessions

«Nous seront peut-être les premiers à rouvrir, on attend la décision de "Dieu" demain soir. Mais si on peut rouvrir, ça ne nous intéresse pas d'être dans une ville morte sans bars et restaurants », tonne Jean-Sébastien Veilleux au micro, président de la Fédération nationale de l'habillement en Rhône-Alpes.

Et Brice Etienne, vice-président de l'UPSE, de poursuivre, en précisant que l'évènementiel est à l'arrêt depuis 36 semaines : « Comment pouvons-nous vivre sans salaire si longtemps ? »

Dans la foule, Pierre Viret, traiteur évènementiel, affirme : « On n'a aucune perspective. On a été les premiers à s'arrêter, et les derniers à repartir. On atteint aujourd'hui tout juste 10 % de notre chiffre d'affaires.» Le cortège est ensuite parti en direction de l'Hôtel de ville, galvanisé par la musique d'un puissant camion-sono.

Patrick Tiffon, coiffeur et co-président de Lyon Côté Croix-Rousse, marche avec un drapeau bleu : « On revient manifester aujourd'hui parce que, même si on rouvre, on soutient eux qui n'auront pas cette chance. »  Sur la place des Terreaux, Camille Dargaud, du restaurant Fistons abonde : « On travaille tous ensemble avec les commerçants, si l'un ferme, les autres ne travaillent pas. Tout le monde est dans le même sac. »

En fin d'après-midi, une délégation a été reçue par le Grégory Doucet, le maire de Lyon, pour lui demander de prendre un arrêté municipal permettant la réouverture des commerces dès ce week-end, sous un protocole sanitaire strict dans les magasins et l'espace public. Pour les restaurateurs « le chemin sera encore un peu long » , soufflait Laurent Duc, à l'issue de cette rencontre.

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