Enseignement supérieur : Et si la fin de l'IDEX venait de Saint-Etienne ?

Les statuts de la future Université cible, condition sine qua non de la validation de l’IDEX, doivent être votés d’ici la fin de l’année à Saint-Etienne et à Lyon. L’approche de la date fatidique pousse les opposants à se faire entendre de plus en plus fort. A Saint-Etienne, 12 vice-présidents de l’Université Jean Monnet viennent de donner leur démission pour protester contre la perte d’autonomie de leur établissement.

Dans un courrier récent adressé aux acteurs de l'IDEX Lyon, le ministère de l'Enseignement supérieur et de la Recherche a été clair : le projet IDEX Lyon devrait être abandonné, purement et simplement, si un et seulement un des quatre établissements devant composer la future Université Cible choisissait de se retirer du projet.

Du fait des dates de renouvellement de leur conseil d'administration respectif, l'Université Jean Monnet et l'ENS devront impérativement valider leur entrée dans cette Université cible avant le 30 septembre prochain. Lyon 1 et Lyon 3 disposent de quelques semaines supplémentaires et devront, elles, voter sur le sujet avant le 31 décembre.

Cette chronologie laisse donc reposer une lourde responsabilité sur les épaules des deux premiers établissements devant se prononcer, alors même que des voix d'opposition s'élèvent ici et là. Et tout particulièrement à Saint-Etienne où le sujet de la disparition de la personnalité morale et juridique de l'Université Jean Monnet au profit d'une fusion au sein de la future Université Cible provoque de vives oppositions. Aussi bien en interne qu'en externe, le sujet étant d'ailleurs devenu un sujet de la campagne pour les élections municipales stéphanoises.

La question est devenue si sensible qu'elle a provoqué la démission, la semaine dernière, de trois vice-présidents centraux et de huit vice-présidents délégués. Un collectif, rassemblant les opposants à ce projet, a été créé dans la foulée : il fédère au 8 juillet 277 membres, dont Baptiste Bonnet (doyen de la Faculté de Droit), Cécile Romeyer (directrice de l'IAE), Fabrice Zeni (Doyen de la Faculté de Médecine), Bruno Pozzetto (Gimap) ainsi que plusieurs directeurs et directrices de laboratoire.

Une fusion obligatoire pour l'IDEX

Pour mémoire, l'IDEX est un appel à projets lancé par l'Agence nationale de la recherche et le commissariat général à l'investissement dans le cadre du Programme d'Investissements d'Avenir. Cet appel à projets vise à faire émerger une dizaine de grandes universités de rang mondial. Après avoir été écarté, mais encouragé à poursuivre ses efforts, en 2012, le projet porté par ce qui allait devenir l'Université de Lyon a été retenu en février 2017. Mais de façon probatoire, avec une condition : une fusion , qui n'a longtemps pas voulu dire son nom, des établissements dans une seule entité juridique, la fameuse Université Cible.

Une Université Cible, qui, au fil des années, s'est réduite à quatre établissements : l'Université Jean Monnet à Saint-Etienne, Lyon 1, Lyon 3 et l'Ecole Normale Supérieure. Lyon 2 et l'INSA ont quitté le navire en cours de route. A la clé : un financement de quelque 800 millions d'euros sur 10 ans.

Un argument financier qui ne suffit pas à convaincre le collectif UJM, créé à Saint-Etienne pour s'opposer à la disparition de l'Université stéphanoise.

« C'est à Saint-Etienne que nous avons le plus à perdre »

"J'ai soutenu ce projet depuis le début, mais je me suis mis en retrait depuis un an", explique Stéphane Riou, ex vice-président en charge de la recherche, démissionnaire et membre fondateur du collectif.

"Mais à l'approche de cette date du 30 septembre, il était urgent de faire entendre notre voix. Les statuts présentés en février dernier sont inacceptables", explique-t-il, tout en reconnaissant que le sujet est devenu très sensible au sein de l'établissement, entre les pro et les anti-fusion.

"Nous nous faisons entendre à Saint-Etienne plus fort qu'ailleurs peut-être mais nos collègues lyonnais n'en pensent pas moins et il y a aussi des oppositions chez eux. C'est à Saint-Etienne que nous avons le plus à perdre".

Car contrairement aux trois autres établissements, plus spécialisés, l'Université Jean Monnet est pluridisciplinaire. Ses compétences, ses postes, ses formations seront ainsi répartis dans les huit pôles de la future Université Cible. Sans être majoritaire nulle part, y compris dans le pôle ingénierie où l'établissement stéphanois est pourtant très bien structuré.

"Nous n'aurons aucun centre de décision à Saint-Etienne. C'est une erreur fondamentale, qui portera fortement préjudice à notre territoire, à nos étudiants et à nos laboratoires. Sans compter que la crise du Covid-19 nous a démontré l'obsolescence des grands mastodontes. Dans ces périodes de crise, l'agilité est indispensable", poursuit Stéphane Riou.

Le collectif UJM saisit par ailleurs la balle au bond de l'appel à projet SFRI (Structuration de la formation par la recherche dans les initiatives d'excellence). Il était réservé aux établissements porteurs d'un IDEX ou d'un I-Site (Initiative Science-Innovation-Territoires-Economie). Objet de cet appel à projets : structurer la formation par la recherche en rassemblant des formations de Master et de doctorat autour des laboratoires de recherche de haut niveau. Les quatre établissements ont rendu une copie commune proposant 15 « Graduate Initiatives Pilotes ».

"Les experts de l'ANR viennent de rendre leur avis. Le projet global est noté C. Avec cette note, c'est à la dernière position du classement national que l'Université de Lyon se positionne", écrit le collectif en s'interrogeant : "Une question devient maintenant légitime : même si la fusion entre les établissements se réalise, l'Université de Lyon a-t-elle encore une chance d'être labellisée IDEX ?".

Le collectif demande donc à la présidente de stopper immédiatement le projet et d'ouvrir une large concertation avec les enseignants chercheurs, les syndicats, les étudiants, etc.

"Un échec de l'IDEX serait très dommageable"

Pour la présidente de l'Université Jean Monnet, Michèle Cottier, pas question de stopper la machine.

"Nous devons aller au bout du processus, le conseil d'administration décidera. J'ai été élue en 2015 sur un modèle fédéral dont nous nous sommes aperçus qu'il ne fonctionnerait pas vis-à-vis du jury. J'ai été réélue en 2019 sur ce projet de fusion. Il était parfaitement clair, il est donc hors de question de sortir des procédures démocratiques et de stopper seule le processus."

La présidente dit entendre les inquiétudes exprimées par ses collègues mais s'insurge de la manière, jugée "particulière".

Elle plaide pour l'Université-Cible.

"L'inquiétude principale, celle de la dilution de notre université, doit tout de même être mise en regard du lien vital que nous devons conserver avec Lyon. Lyon n'a pas besoin de notre Université mais nous, nous avons besoin de Lyon pour renforcer nos positions, aussi bien au niveau de la formation que de la recherche. Les partenariats sont indispensables et doivent être renforcés. Si nous faisons échouer le projet IDEX, les Lyonnais seront-ils toujours prêts à travailler avec nous ? Un échec de l'IDEX serait très dommageable pour l'ensemble du site Lyon Saint-Etienne".

Quand les politiques s'en mêlent

Lâchée par une partie de son équipe présidentielle, Michèle Cottier est également mise en difficulté par les élus locaux. Maurice Vincent, ex-maire de Saint-Etienne, avait été le premier, dès l'année dernière, à s'alarmer du projet. Inquiétudes partagées par Pierrick Courbon, candidat PS à la mairie de Saint-Etienne et son rival, réélu, Gaël Perdriau. Ce dernier est néanmoins moins tranché sur ce sujet IDEX que son prédécesseur à la mairie. Il demande ainsi instamment à Michèle Cottier de revoir sa copie et d'ajourner le projet en attendant de régler les points qu'il estime problématiques, tout en jugeant la démarche Idex pertinente.

"Le rapprochement entre les différents pôles d'enseignement supérieur de Saint-Etienne et Lyon est une condition indispensable à l'obtention de l'Idex. Pour autant, celui-ci ne doit pas s'opérer à n'importe quelles conditions et sans un cadre bien défini permettant de valoriser tous les acteurs intéressés par ce projet".

Le président de Saint-Etienne Métropole pointe deux sujets majeurs de désaccord : la perte totale d'autonomie de l'établissement stéphanois et le nom. Il demande donc un "dispositif statutaire prévoyant l'approbation par le campus stéphanois des décisions le concernant" ainsi qu'une identité faisant apparaître Saint-Etienne aux côtés de Lyon. A l'image de ce qu'a fait la CCI par exemple ou French Tech One Lyon Saint-Etienne. Le Conseil Départemental s'est lui aussi saisi du dossier.

Pour la présidente, la question du nom devrait pouvoir se régler. Celle de l'autonomie non, puisqu'il s'agit du cœur même du projet.

Dans son combat pour l'IDEX, Michèle Cottier est probablement handicapée localement par le départ de Khaled Bouabdallah, président de l'Université Jean Monnet de 2007 à 2015  puis président de l'Université de Lyon. Nommé récemment, et à la surprise générale, en Occitanie, le Stéphanois n'est plus là pour défendre le projet qu'il portait avec conviction depuis le début. Or, sa présence aux manettes de l'Université de Lyon semblait rassurer les élus locaux, comme un gage de non-agression.

Il a été remplacé il y a quelques semaines, en toute discrétion, par un administrateur provisoire : Stéphane Martinot. Celui-ci était jusqu'ici directeur général de la Fondation de l'Université de Lyon. Il est lui-même remplacé à son poste par Cécile Cassin, directrice de la communication de l'Université de Lyon.

L'élection d'un nouveau président ne peut se tenir pour l'instant, en raison d'un recours administratif déposé contre le CA actuel de l'Université de Lyon et validé le mois dernier. Elle ne pourra avoir lieu qu'une fois le nouveau CA élu, pas avant plusieurs mois donc.

En tout état de cause, Michèle Cottier ne pourra présenter son projet au vote dans les prochaines semaines. Le vote du CA de l'Université Jean Monnet devrait donc se tenir juste avant l'échéance limite.

"Compte-tenu des oppositions qui se sont faites jour depuis quelques semaines, nous devons travailler à l'amélioration des statuts, point par point, et réexpliquer les enjeux".

D'ici là, elle doit aussi préparer la prochaine rentrée scolaire et mettre sur pied une nouvelle équipe présidentielle.

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