Covid-19 : Comment le respirateur MakAir a fait naître une filière grenoblo-nantaise

Le Covid, un accélérateur de solidarités au sein du secteur public et privé ? Les exemples de collectifs qui s’unissent au cours des dernières semaines pour fournir des pièces à destination des soignants se multiplient. Dernier exemple en date : le projet d’un collectif de Makers nantais qui ont, contre toute attente, noué un partenariat inédit avec le CEA de Grenoble, ainsi qu’une quinzaine d’industriels, pour la plupart isérois, pour développer un nouveau respirateur dédié au coronavirus.
La région Auvergne-Rhône-Alpes, présidée par Laurent Wauquiez a apporté son aide pour financer les coûts de développement -estimés entre 3 et 7 millions d'euros- réalisés par le CEA de Grenoble ainsi qu'un collectif de makers nantais.
La région Auvergne-Rhône-Alpes, présidée par Laurent Wauquiez a apporté son aide pour financer les coûts de développement -estimés entre 3 et 7 millions d'euros- réalisés par le CEA de Grenoble ainsi qu'un collectif de "makers" nantais. (Crédits : DR)

Leur objectif : monter, en moins d'un mois, un prototype de respirateur avec intubation, avec la création d'une nouvelle filière industrielle. Un pari déjà en passe d'être réussi puisque le respirateur MakAir devrait être testé dès la semaine prochaine sur des patients, à travers une nouvelle phrase d'essais cliniques coordonnés par le CHU de Nantes.

En parallèle, de premiers exemplaires devraient même commencer à être assemblés au sein de l'une des dix usines françaises du groupe Seb, qui assurera l'industrialisation de ce nouveau respirateur.

Ce projet open-source s'est monté sous l'égide de l'entrepreneur Quentin Adam et du professeur Pierre-Antoine Gouraud, avec l'idée de constituer, au sein du bassin nantais, une alliance (Makers for Life) regroupant plus d'une centaine de personnes (startups, individus, grands groupes, universités et hôpitaux, etc). Avec, parmi les points de contacts isérois, l'entrepreneur Erik Huneker, Ceo de la medtech Diabeloop.

"Le collectif recherchait au départ un poumon artificiel pour réaliser son prototype. Nous en avons trouvé un à leur envoyer. Quand les premiers résultats sont arrivés, s'est posée la question de l'industrialiser", se souvient Emmanuel Sabonnadière, directeur du CEA-Leti.

Une idée qui coïncidait, en région Auvergne Rhône-Alpes, avec le manque de près de 150 respirateurs pour faire face aux besoins anticipés dans les hôpitaux lyonnais. Le CEA a ainsi proposé aux makers nantais de s'installer à Grenoble pour poursuivre les développements du prototype au sein de sa plateforme d'open innovation Y.Spot, tout juste inaugurée en début d'année.

"Quand ils sont arrivés le 24 mars dernier, on était encore loin de la situation actuelle, avec 1 100 morts du Covid en France, contre près de 20 000 aujourd'hui", glisse Emmanuel Sabonnadière.

Un écosystème réuni en moins d'un mois

Une soixantaine de salariés du CEA Leti ont participé au projet, en associant les ressources du centre d'impression 3D Poudr'Innov et de l'institut Clinatec, dédié à la recherche clinique. Le CEA a également ouvert son carnet d'adresses en vue de connecter un large écosystème de partenaires. Avec, parmi eux, des industriels locaux tels que STMicroelectronics, HP France, Michelin, Tronico, Diabeloop ou encore Seb, Renault, Legrand, Parrot, SleepInnov...

"STMicroelectronics a par exemple fourni les cartes de développement intelligentes, et son sous-traitant Tronico, les cartes de contrôle commande. Le moteur a été fourni par Parrot et ramené de Chine grâce à un avion sanitaire français qui se rendait sur place et pour lequel nous avons dû solliciter l'aide de l'ambassade et de Matignon", explique Emmanuel Sabonnadière.

Le constructeur Renault a également apporté son aide pour la numérisation de la maquette et les tests de vieillissements de l'ensemble, tandis que Michelin a accompagné le sourcing des pièces de tuyauterie. Car après avoir démarré avec des composants issus de l'impression 3D, le développement a rapidement évolué vers des pièces disponibles rapidement sur étagères et en grande quantité.

La région Auvergne-Rhône-Alpes, présidée par Laurent Wauquiez, a apporté son aide pour financer les coûts de développement - estimés entre 3 et 7 millions d'euros. Et a même endossé un premier temps le rôle de fabricant, en vue de déposer une demande d'homologation à l'ANSM (Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé).

"Cela démontre notre capacité à produire en un temps record un produit stratégique. A long terme, ce respirateur à bas cout sera un moyen de lutter contre le Covid dans les pays qui n'ont pas les moyens de se procurer massivement des respirateurs", s'est félicité Laurent Wauquiez.

Une nouvelle phase d'industrialisation

A peine un mois plus tard, l'industriel Seb reprend désormais en main le projet en vue d'assurer une industrialisation en petite et moyenne série de ce respirateur. Avec un objectif : fabriquer le plus rapidement possible quelques centaines d'exemplaires et à bas coût, en vue de répondre aux besoins des hôpitaux régionaux, voire nationaux.

"Les collaborations issues de cet écosystème ont permis de sortir en deux semaines un prototype qu'on aurait habituellement mis 6 à 12 mois à réaliser", estime Hugues Oger, vice-président des opérations industrielles du groupe Seb.

Le fabricant de petit équipement domestique jouera ainsi le rôle d'assembleur en vue de regrouper les composants sourcés, au préalable, auprès d'une cinquantaine de fournisseurs. Alors que la décision a été prise il y a moins d'une semaine, le groupe se prépare déjà à lancer de premières opérations dès la semaine prochaine, sur l'un de ses dix sites de production basés en France, dont la localisation n'a pas encore été arrêtée.

"Chacun de nos sites est capable de réaliser ces opérations, qui ne nécessitent pas d'investissement lourd", affirme Hugues Oger.

Après avoir réduit fortement les activités du groupe en raison du confinement, 15 à 50 salariés pourraient donc bientôt être remobilisés pour produire jusqu'à "plusieurs centaines de respirateurs par semaine", selon les besoins. Un approvisionnement a déjà été sécurisé pour produire les 5000 premiers exemplaires.

"Notre vocation est avant tout sociétale, puisque notre objectif était d'aider ce projet à aller vite. Ce ne sera que dans un second temps nous déterminerons s'il peut s'agir ou non d'un nouvel axe de diversification stratégique", complète Hugues Oger, qui rappelle que le groupe ne produisait jusqu'ici aucune gamme de produits médicaux.

La question du tarif de ce nouveau respirateur n'a pas encore été tranchée. Une seule chose est sûre : Avec un coût des prototypes estimé à à 1 300 euros pièce (hors main d'œuvre), "on devrait être bien en dessous du prix habituel des respirateurs, allant de 15 000 à 35 000 euros pièce", nous confirme l'un des acteurs.

Un atout certain pour les hôpitaux français, dont les besoins se sont avérés criants au cours des dernières semaines, mais également pour d'autres pays comme le Mali, qui indiquaient manquer eux aussi cruellement de respirateurs.

Reste cependant une question en suspens et non des moindres : comment Seb gérera-t-il la question du caractère open-source de ce prototype, dans l'optique d'une possible pérennisation de ce produit sur ses propres étagères ? Pour l'instant, aucun modèle n'existe à ce sujet sur le terrain, très concurrentiel, des grands groupes industriels.

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