
Le dernier rebondissement est intervenu le 21 février au Parlement italien. La Chambre des députés a voté une motion demandant au gouvernement de réétudier la totalité du projet Lyon-Turin, dans des termes suffisamment vagues pour que le M5S comme la Ligue y trouvent leur compte.Comme lors de chaque rebondissement dans ce dossier, les soutiens et les opposants au projet ont aussitôt brandi leurs arguments, soit pour accuser l'étude de parti pris, soit pour se féliciter des conclusions du rapport. Les partisans du Lyon-Turin soutiennent que la ligne ferroviaire, fret et passagers, aspirera le trafic routier qui sature les tunnels du Fréjus et du Mont-Blanc, soustrayant au moins un million de poids lourds contribuant fortement à la pollution des vallées alpines, où les alertes à la pollution aux particules sont devenues aussi récurrentes que dans les grandes métropoles comme Paris et Lyon.
De leur côté, les détracteurs de la liaison mettent en avant que le trafic routier entre la France et l'Italie n'a pas augmenté autant que les premières études, datant des années 1990, l'envisageaient. Ils pointent aussi le prix démesuré d'un tel chantier qui n'atteindrait pas ses objectifs de fréquentation, alors que la rénovation de la ligne ferroviaire existante suffirait à absorber les échanges commerciaux transportés par la route. Quant au coût, l'écart d'appréciation est considérable : ses partisans le chiffrent à 18 milliards d'euros contre 26 milliards d'euros selon ses adversaires, avec une participation de l'Union européenne susceptible de s'élever à 40 % voire 50 % de la note.
Atermoiements inquiétants
De ce côté-ci de la frontière, le gouvernement français s'agace du débat italien. La ministre des Transports, Élisabeth Borne, a demandé publiquement au gouvernement italien de trancher sur la poursuite du projet. « La France respecte clairement le temps qu'ont souhaité prendre nos partenaires italiens, expliquait-elle-sur la chaîne Public Sénat. Mais aujourd'hui, on dit clairement aussi aux Italiens qu'il faut que cette décision vienne. » La ministre disait s'inquiéter que les atermoiements italiens conduisent l'UE à réduire sa participation financière. En effet, quelques jours plus tard, la Commission européenne faisait savoir lors du conseil d'administration de Telt (Tunnel Euralpin Lyon-Turin), le promoteur chargé par la France et l'Italie de la réalisation de la section transfrontalière de la ligne ferroviaire, que 300 millions d'euros pourraient effectivement être coupés, sur les 813 millions d'euros promis par la Commission européenne sur la tranche de subventions portant jusqu'en 2020. À défaut d'une imminente publication des avis de marchés, ce montant sera retenu de la contribution européenne, pointe la Commission. Mais rien ne dit que cette injonction suffira pour que le gouvernement italien débloque les appels d'offres.
Mais en plus du chantier en cours du tunnel transfrontalier, percé sur 57,5 km sous le massif de la Vanoise pour un coût de 8,3 milliards d'euros, les chantiers des voies d'accès au tunnel principal n'ont pas encore commencé. Il s'agit de relier les voies intérieures de chaque pays à ce tunnel à double tube. Sans ces accès, les convois ferroviaires de fret et de passagers ne seraient plus limités par le tunnel, mais par les lignes ferroviaires historiques entre Lyon et Saint-Jean-de-Maurienne.
Et si, en Italie, l'utilisation des fonds publics dans le Lyon-Turin n'est pas tranchée, la France n'a pas validé le financement de ces voies d'accès. C'est que l'addition est salée : pas moins de 7,7 milliards d'euros sont prévus pour relier le contournement ferroviaire de Lyon au tunnel transfrontalier, permettant également la mise en service d'un train à grande vitesse de Lyon à Turin.
Ce montant s'explique notamment par le percement de tunnels sous le massif de la Chartreuse (25 km) puis sous le massif de Belledonne (19 km), enfin sous le massif du Glandon (9 km) pour parvenir jusqu'à Saint-Jean-de-Maurienne. Un autre tunnel de 15 km est prévu sous les massifs de Dullin et de L'Épine pour relier la grande région lyonnaise à Chambéry... hors du tracé direct entre Lyon et Turin, afin de permettre à Chambéry de se doter d'une gare internationale, selon le voeu de l'ancien maire chambérien Louis Besson, ex-ministre de François Mitterrand, qui était parvenu à faire entrer cet accès dans le projet global du Lyon-Turin.
Réduire l'addition
Mais le couperet pourrait bien tomber sur certains de ces tunnels afin de réduire l'addition. Le 1er février, une réunion de travail entre la ministre des Transports et les élus locaux s'achevait sur la décision de revoir le phasage des travaux avec l'objectif de ramener la note à 4 milliards d'euros, soit deux fois moins que prévu. Dans ces conditions, l'Union européenne a laissé entendre qu'elle pourrait participer au financement à hauteur de 40 à 50 % de la facture totale, comme elle prévoit de le faire avec le tunnel transfrontalier.
L'objectif est bien d'anticiper la réalisation des accès au tunnel transfrontalier, prévu pour achèvement en 2030, sans attendre l'année 2038, date à laquelle le rapport Duron, présenté il y a un an par le Conseil d'orientation des infrastructures, préconise de s'intéresser à la question.
Mais comment diviser par deux le coût des accès ? Chambéry sera-t-elle finalement écartée du tracé du Lyon-Turin ? Préfèrera-t-on rénover des voies ferrées existantes, comme celle surplombant les rives du lac du Bourget, pour éviter de creuser de coûteux tunnels ? Dominique Dord, président (LR) de la communauté d'agglomération Grand Lac, qui s'étend tout autour du plus grand lac naturel glaciaire de France, et opposé au Lyon-Turin, n'a pas souhaité répondre à La Tribune. Le cabinet de la ministre des Transports n'a pas non plus répondu à nos demandes, notamment quant au délai prévu avant de procéder à une décision définitive sur les accès français au tunnel transfrontalier.
"Il s'agirait de construire dans un premier temps un seul tunnel, la question se pose entre celui de Dullin et la Chartreuse", avance Étienne Blanc (LR), premier vice-président de la Région Auvergne Rhône-Alpes qui a relancé le dossier en rencontrant la direction Mobilités et transport de la Commission européenne.
Des hauts et des bas
Quelle que soit la décision qui sera prise, les accès français seront réalisés dans le cadre de l'enquête publique du Lyon-Turin, a prudemment précisé la ministre des Transports début février. On n'imagine pas qu'une nouvelle enquête publique doive être menée, allongeant encore les délais de réalisation du chantier des accès français. Sans compter que la déclaration d'utilité publique (DUP) de 2018 fait elle-même l'objet d'un recours, déposé devant le Conseil d'État début 2018 par des associations et particuliers qui lui reprochent de reposer sur des éléments infondés. « Les prévisions de trafic routier se sont révélées deux fois supérieures à celles contenues dans l'enquête publique », pointe Daniel Ibanez, opposant au Lyon-Turin et requérant devant le Conseil d'État.
Depuis le lancement de l'idée du projet, il y a trente ans, le Lyon-Turin a toujours connu des hauts et des bas. Mais aujourd'hui, "tout est possible", confie un acteur du dossier : la reprise des appels d'offres, ou l'arrêt définitif du chantier par le gouvernement italien, qui contraindrait l'Italie à dédommager la France et l'Union européenne à hauteur d'au moins 4 milliards d'euros.
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