Et si demain… La montagne était privée de neige ?

Si demain, les Alpes du Nord étaient privées de la moindre couche de neige et du moindre flocon, à quoi ressembleraient les stations de sports d’hiver et les vallées ? Dans deux récits distincts, deux visions s’expriment. Acteurs de l’économie-La Tribune a imaginé, à l’occasion de la sortie de son ultime numéro, neuf scénarii pour la région Auvergne-Rhône-Alpes. Autant d’évolutions, de transformations, de métamorphoses, tour à tour anecdotiques ou révolutionnaires mais ni futuristes ni absurdes. Ils proposent un éclairage nouveau, un regard distancié, qui pourraient, un jour, interroger l’écosystème du territoire, et soulèvent des problématiques de natures sociale, environnementale, politique, culturelle et économique qui font sens et questionnent… aujourd’hui. Troisième volet de notre série publiée chaque jour pendant la trêve de Noel.
(Crédits : Laurent Cerino / ADE)

Article initialement paru dans le numéro 143 d'Acteurs de l'économie - La TribuneLionel Laslaz, maître de conférences en géographie et directeur du département géographie et aménagement à l'université Savoie-Mont-Blanc, imagine que la haute montagne resterait toujours la haute montagne, avec l'attrait naturel dû à sa pente...

"S ans neige, les acteurs socio-économiques des sports d'hiver s'adapteraient, conduisant à transformer les stations sur une saisonnalité plus longue. Il serait difficile d'abandonner la glisse, surtout que les pentes seraient toujours là. On pourrait utiliser des matériaux favorisant la glisse ; il ne faut pas sous-estimer la capacité d'investissement des entreprises et des collectivités. Les stations intégrées de haute altitude n'abandonneront pas l'activité. On ne démantèlera pas du jour au lendemain des centaines de remontées mécaniques et des sièges débrayables qui auront coûté des millions d'euros. C'est la pente qui permet le ski, davantage que la neige ! On skie à Dubaï et à Amnéville, sur des surfaces artificielles.

Alors on dévalera les pentes des Alpes du Nord avec d'autres moyens. Sans la neige, la montagne n'aura pas le même cachet. Mais une bonne partie de la clientèle viendra pour les activités sportives en tant que telles. Les stations de basse et moyenne altitude devraient se reconvertir totalement. L'abandon du ski sera d'autant plus envisageable pour elles qu'il n'aura pas été un outil économique capable de porter le territoire.

En vallées, les conditions de circulation et d'accessibilité s'amélioreront. Cela pourrait favoriser l'installation de résidents à l'année, et ainsi occasionner un regain d'attractivité. Les destinations qui pourraient tirer leur épingle du jeu sont les moyennes montagnes, auxquelles on ne reprochera pas leur faible enneigement, puisque ce sera la même chose en haute altitude.

Toutefois leurs capacités d'investissement demeureront limitées. Il ne faudra donc pas s'attendre à un effet de transvasement total entre les stations de haute montagne et celles-ci."

De son côté, Samuel Depraz, maître de conférences à la faculté des lettres et civilisations de l'université Lyon 3, imagine la haute montagne devenir un territoire clivé entre des stations laissées à l'abandon et d'autres réservées à une élite, seule capable de fournir les ressources financières au maintien des équipements.

"Nous montons en direction de la station de La Glacière (nom aussi fictif que le récit, NDLR) sur une route de montagne défoncée en raison de l'abaissement des nappes phréatiques, qui provoque des effondrements de terrain. La chute de fréquentation due à l'absence de neige empêche les collectivités d'assumer les coûts d'entretien de la route.

Par la fenêtre, nous voyons les vallons bétonnés qui servaient de bassins de rétention pour alimenter les canons à neige. Mais les coûts devenus insurmontables en raison de l'absence de froid ont conduit à les abandonner. À présent, l'eau stagne dans ces vallons. Sans gel, les moustiques y prolifèrent. Le moustique-tigre s'est installé et répand la dengue et le chikungunya.

Arrivés à la station, nous sommes frappés par l'état de délabrement des immeubles de cette ancienne usine à neige des années 1970. L'entretien du béton, qui a mal vieilli, est trop coûteux. Des bailleurs sociaux ont tenté d'installer des populations défavorisées à l'année. Mais des ghettos se sont formés en l'absence d'infrastructure sociale. Les immeubles sont donc laissés à l'abandon et aux trafics en tous genres, malgré la politique de la ville qui a créé les zones franches montagnardes sur le modèle des zones franches urbaines.

Dans une autre station, les choses sont bien différentes. C'est la station-village de Saint-Martin-des-Alpes - que les initiés appellent Saint-Mart' (noms aussi fictifs que le précédent, NDLR) : elle prend sa revanche sur le passé, quand elle n'était pas assez rentable pour le ski intensif. Désormais, c'est la station où il faut être.

Saint-Mart' a bénéficié du soutien de la Direction de l'aménagement du territoire et de l'adaptation climatique (Datac), elle-même financée par l'Union européenne depuis que la France ne dispose plus de moyens financiers. La Datac a labellisé des pôles de fraîcheur, où la population peut s'abriter durant les canicules. Cela a conduit à supprimer les forêts qui étaient envahies par les tiques porteuses de la maladie de Lyme. Les arbres sont maintenant à résine artificielle. Pour trouver de l'ombre et se protéger des effets de la chaleur, on déploie des dômes à la demande.

Mais Saint-Mart' n'est pas ouverte à tous. Les visiteurs doivent verser un droit d'entrée pour financer les investissements. Cela a mené à une gentrification climatique : la station est devenue exclusivement fréquentée par les plus riches.

Sans la neige et le froid, la montagne a été réorganisée, mais toujours en reproduisant les conditions sociales. Il y a ceux qui peuvent se permettre l'altitude, et ceux qui ne le peuvent pas.

En vallées, la chaleur urbaine a rendu des territoires quasiment invivables en été. La climatisation est devenue inaccessible en raison de l'explosion des coûts de l'énergie.

Les populations d'autres régions tentent de se réfugier dans les Alpes du Nord pour y trouver de la fraîcheur. Mais l'arrivée de ces populations est régulée : l'accès aux Alpes fait même l'objet de restrictions."

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