
"Tout le monde à la rage face à ce qu'il se passe", lâche Bernard Clapié, président de Vélos Repérages, installée à Fontaine (Isère). Cette structure d'insertion par l'activité économique (SIAE), référence dans le domaine de l'économie sociale et solidaire dans l'écosystème grenoblois, a été placée en redressement judiciaire début novembre. Son activité de réinsertion des personnes en difficulté via la récupération, la rénovation et la vente de vélos pourrait être liquidée début janvier, faute de fonds propres suffisants pour payer les salaires. En cause : un retard de paiement de plusieurs mois à l'URSSAF, ainsi qu'aux organismes de cotisations retraites, d'un montant cumulé de 109 000 euros. L'URSSAF a porté plainte le 7 novembre.
Procédure de licenciement et plainte au pénal
Si le président de la structure d'insertion économique "a la rage", c'est qu'il n'avait pas, selon lui, connaissance des lourds dysfonctionnements financiers à l'œuvre dans la structure. Cette dernière se trouve désormais face à un imbroglio : alors que Repérages apparaissait officiellement saine (résultat net de 12 951 euros en 2015, et bilan positif sur les trois dernières années, comptes validés par le commissaire aux comptes), elle a été placée en redressement judiciaire. Son activité d'insertion est en péril. 19 salariés de la structure, dont 13 en insertion - certains touchés par des problèmes sociaux, d'autres au RSA - pourraient être licenciés.
La responsabilité du désormais ex-directeur, Hyacinthe Karambiri, est clairement pointée du doigt par la présidence. "Des indices graves et concordants ont amené à une enquête", assure M. Clapié, le président. Mardi 20 décembre, après une rencontre entre les deux hommes, une procédure de licenciement pour faute lourde a été initiée à l'encontre d'Hyacinthe Karambiri. Une plainte, déposée par le président de l'association, a débouché sur l'ouverture d'une enquête au pénal pour abus de confiance. "Des choses nous ont été cachées", assène M. Clapié.
Défaut de gestion
Cette décision radicale résulte d'un long processus de prise de conscience. Au début de l'année 2016, quelques mois après son arrivée à la tête de l'association, le président met en place un nouveau conseil d'administration. "J'ai réuni ce CA composé de 11 personnes, notamment des cadres de HP, EDF ou encore Schneider qui ont une expérience de gestion économique." Cette "task force" s'intéresse alors en profondeur à la gestion budgétaire de l'association.
"Nous avons commencé à nous poser des questions. Mais au niveau financier, nous n'avons rien vu puisque toutes les instances ont validé les comptes : l'ancien conseil d'administration de l'association, le comptable ainsi que le commissaire aux comptes", énumère Bernard Clapié.
Les collectivités territoriales ou les agences de l'Etat, qui subventionnent la structure (75 % des 559 701 euros de revenus de l'association) et qui contrôlent l'utilisation des deniers publics ne relèvent également aucune anomalie.
Mais en septembre 2016, le nouveau commissaire aux comptes, nommé quelques mois auparavant, déclenche subitement une procédure d'alerte auprès du Tribunal de Grande Instance de Grenoble. L'institution ouvre une enquête. Repérages est sous le choc.
"Créances clients irrécouvrables de 266 540 euros"
Un mois plus tard, un autre fait vient éclairer la situation délicate dans laquelle se trouve alors l'association. Le 19 octobre, en réaction à la procédure d'alerte, le directeur Hyacinthe Karambiri, déclenche une action auprès du Fonds Régional d'Action d'Urgence. Un audit est réalisé par la région Auvergne Rhône-Alpes.
Le document révèle que des "créances clients irrécouvrables de 266 540 euros" empoisonnent le bilan financier de la structure. Le consultant à l'origine de l'audit commente : "la situation de trésorerie laissant envisager une cessation de paiements à court terme." De son côté, le président estime que "le consultant en charge de l'audit n'a pas eu tous les bons documents de la part du directeur", sous-entendant des dysfonctionnements encore plus importants.
Ces "créances clients irrécouvrables" résultent d'une activité parallèle à celle de l'association. À côté de la réparation et vente de vélos dans son atelier isérois, Repérages commerçait avec différents pays d'Afrique, une activité portée par son directeur.
Un commerce avec l'Afrique douteux
Bernard Clapié récapitule : "De 2001 à 2014, Repérages a envoyé 6 000 vélos Burkina Faso et au Mali". Cependant, ces convois (qui intègrent le prix du camion d'occasion, le convoyage à Marseille, le transport en bateau à Abidjan ou Accra et remonte au Burkina Faso) n'auraient pas toujours été réglés, notamment par les acheteurs burkinabés. Résultat : sur 10 ans, les créances se seraient accumulées.
"Nous allons essayer de les récupérer même si cela sera difficile en Afrique. Des relances ont tout de même été envoyées", détaille le président qui se demande comment une telle négligence a été possible. "Lorsque l'on se rend compte qu'un convoi, puis un autre, puis encore un autre n'ont pas été réglés, il aurait fallu arrêter. Ce n'a pas été le cas."
Ancien président de l'association pendant 13 ans, Gérard Roblès confirme qu' "effectivement toutes les créances n'ont pas été réglées. Mais elles devaient être absorbées par l'association, d'après le commissaire aux comptes de l'époque" (les créances sont passées de 266 540 euros en 2013 à 186 662 euros en 2015). Il ajoute n'avoir "jamais vu de mauvaise gestion et n'a jamais soupçonné cela."
Hyacinthe Karambiri, joint par téléphone par Acteurs de l'économie - La Tribune, s'explique lapidairement : "j'étais au courant des créances non payées", même s'il assure que "certains convois envoyés en Afrique ont été réglés par les clients". Il s'est depuis retranché dans le silence en attendant les décisions de justice. La voix éraillée, il avoue être dans une fragilité psychologique avancée suite à l'annonce de sa procédure de licenciement.
Courage des salariés
Face à cette situation compliquée, les forces vives de l'association démontrent leur bonne volonté. Ils s'engagent à suivre les conclusions de l'audit de la région Auvergne Rhône-Alpes du mois d'octobre et font appel au dispositif local d'Accompagnement (DLA) qui permet aux associations solidaires de bénéficier de prestations d'accompagnement.
Mais la crise interne impacte directement les 19 salariés, à l'instar de Valérie Vogel, coordinatrice de la structure. Elle croît cependant plus que jamais en l'intérêt du projet. L'audit de la région confirme sa conviction : "les taux de sorties positives (CDD, CDI, formation qualifiante et professionnalisantes) sont de l'ordre de 45 à 55%", explique le document, qui montre aussi un bon taux d'intégration après une période d'emploi effectuée à Repérages. Des résultats qui permettent de maintenir la motivation des salariés, qui n'hésitent pas à se mobiliser. Le 14 décembre, un appel aux dons a été lancé sur le site de l'association, afin de "sauver les 19 emplois".
Le président se veut confiant : "si nous survivons aux mois de janvier et février, nous pourrons remonter la pente en deux ou trois ans", espère-t-il. Le destin de Repérages s'écrira dès le 5 janvier, avec son passage devant le tribunal de grande instance de Grenoble.
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