Dominique Piron, le vigneron, le Beaujolais et la Chine

Dominique Piron, qui porte haut les valeurs viticoles du Beaujolais, peut arriver à l'improviste chez Miguel Fernandez, pour évoquer les questions existentielles et profondes. Chez le sculpteur règne une forme de bonheur paisible, une ouverture liée à l'expérience. De son exil de jeunesse dans les années 1960 vers la France, terre d'accueil et de liberté, il a su tracer une belle route qu'il partage volontiers.

A Saint-Lager, dans le Beaujolais, la demeure de Miguel Fernandez est la maison où tous les poètes aimeraient poser leur sac. Une maison douce, entourée de vignes et de collines, où l'on compte plus de fenêtres que de murs, et qui protège ses hôtes de la rugosité du monde. Pour y parvenir, il faut traverser lentement un jardin animé d'un beau silence, dans un savant désordre d'herbes et de fleurs - c'est le royaume de Mireille, son épouse.

En surgissent les sculptures en métal de l'artiste d'origine andalouse, à présent retiré des galeries. Squelettes dépouillés et animés, ossatures blêmes et maigres, dressées fièrement, tels des cris puissants dans le ciel, quand l'âme du chevalier Quichotte sur les terres désertiques de l'Espagne, exalte toujours sa fameuse quête.

Philosophie et Beaujolais nouveau

Dans ce jardin sinueux, même le chat semble au diapason de la vocation artistique du lieu : prenant une pose délicate offerte à qui sait voir... Un jour que le sculpteur était absent de sa maison, un cheval est rentré dans son atelier. Échappé de l'on ne sait quel joug, il s'est retrouvé ici, sans un pas de travers qui eût pu abîmer quoi que ce soit, au beau milieu des sculptures callipyges d'orme et de peuplier, odes amoureuses à la volupté féminine, et autres totems monumentaux, avec l'intention louable d'un peu d'exotisme pour pimenter sa servilité. « Je travaillais sur le thème amour et maternité, précise Miguel avec humour, devant ses œuvres, mais j'ai arrêté, ce n'est plus d'actualité ! »

C'est la porte de cette maison que le vigneron Dominique Piron aime parfois pousser, quand il quitte ses vignes et la gestion des 55 hectares de son domaine. Aujourd'hui, c'est son beaujolais nouveau qu'il apporte, alors que Miguel s'affaire pour nous offrir une assiette de tapas.

Miguel Fernandez

Avec son épouse, ils ont bâti une dynastie familiale aimante, liée à l'épopée d'exilé et au destin incroyable de Miguel. Lui qui sait ce que la valeur du chemin signifie, quand dans les années 1960, il déserta à 20 ans l'armée franquiste non par conviction politique, mais par soif éperdue de liberté et par refus du conflit guerrier, tourné de tout son être vers l'Ailleurs. Pas la peur au ventre, malgré les risques, mais confiant son destin au grand voyage, comme on sait le faire à 20 ans quand on a rien à perdre, et que le guide intérieur est « l'inaccessible étoile ». Au terme de ces 2 000 km parcourus à pied et dans les années qui ont suivi, tout est venu à lui : chance, amour, et succès artistique.

« Des vins faciles à comprendre »

Dominique Piron qui exporte déjà en Chine, a été le seul vigneron rhônalpin à trinquer en décembre 2013, avec Xi Jinping, le président chinois en goguette dans le pays, et lui a fait apprécier son côte de py 2011.

« Nous ne sommes pas ici dans l'univers du luxe, ni dans celui des vins de base, avait-t-il dit au président chinois pour évoquer sa région viticole. Nous sommes dans le cœur de gamme, avec des vins faciles à comprendre. Pourquoi ne pas venir investir chez nous ? Pas par la puissance financière trop souvent écrasante et qui rend une intégration difficile, mais par la porte normale, celle du travail, comme nous, et comme vous savez le faire ! »

Dominique Piron a sans conteste bien réussi : son arbre généalogique lui donne des ancêtres vignerons depuis 1690, il a su tisser un bon réseau relationnel, et s'il est respecté par ses pairs, il n'en est pas forcément aimé. Mais au final le propos est amer :

« Oui ça tourne. Nous avons bonne réputation, mais il y a une telle pression économique, de telles charges. Nous n'avons pas le droit à l'erreur. Cette année, nous avons eu pas moins de 20 contrôles. Vous imaginez l'énergie que cela demande ! », souligne-t-il.

Pour lui, la région vit une fin de cycle : « Il n'y a pas vraiment de projet de reconstruction du vignoble, pas de chemin tracé. »  Mais il reconnaît que c'est aussi, simultanément, une phase de renaissance : des jeunes gens bien arrivent et s'installent, une forme d'énergie nouvelle qui fait contrepoids à la fatigue et au désinvestissement des anciens : « Malgré tout, je reste optimiste mais, globalement, la région descend. Son potentiel extraordinaire n'est pas mis en valeur. Et pour rester stable, il faut être costaud ! » Miguel Fernandez sourit.

Dominique Piron Miguel Fernandez

Heureux et libre

L'artiste porte un regard bienveillant sur ces petits villages et ces « gens, nés quelque part ». Lui a vu le jour sur une plage d'Almería dans une cabane de pêcheur, marin dans l'âme, contemplatif, mais pas belliqueux. Il a peu fréquenté l'école. Et encore moins l'armée où « l'autre devait être un ennemi ». Désir d'horizons nouveaux, soif de rencontres :

« Je n'étais pas intéressé par la politique. L'Espagne était un pays fermé, duquel on ne pouvait ni entrer ni sortir. Ce qui m'intéressait, c'était l'aventure de la vie, pas chercher des trésors. Je voyais montagne après montagne, au niveau des Pyrénées, et je me demandais où j'allais. Mais j'étais heureux et libre comme un lapin ! », dit-il en riant.

Il prend le temps d'admirer les berges du Rhône, la Saône, et il rencontre des gens qui l'aident spontanément. Un commissaire de police qui le prend « sur son aile » (sic), des amitiés nées au détour d'un café, d'un quartier. Époque bénie... Miguel a fait un compagnonnage pour être ébéniste. C'est sa seule formation, car le talent était en lui, vibrant. Et la chance est venue : « J'ai gagné des concours, notamment pour Alcatel, j'ai exposé au Grand Palais, mais je n'ai rien fait : tout est venu à moi ! », dit-il avec émotion.

Il ne commente pas son travail, pas un mot ! Ses œuvres semblent inspirées par les Assyriens, l'Océanie, mais aussi par l'art roman des cathédrales, elles sont l'expression d'une âme connectée à l'universel, unifiées dans le silence d'une même symbolique, et touchent immédiatement par leur puissance vivante. À 61 ans, Miguel, qui ne trouvait plus du tout sa place comme artiste, s'est arrêté et a demandé sa retraite : 600 euros mensuels pour l'artiste ! Pas mal, non ?

« Auparavant, les gens avaient un engouement pour certains artistes, et ce rapport était beau. Aujourd'hui l'art est  tombé dans la spéculation. Les gens riches s'enrichissent en prenant en main certains artistes complètement idiots ! Il faut les laisser faire, car ce qui est beau reste et ce qui n'est pas beau disparaît. »

Mais qu'importe ces blessures que l'humain décadent inflige à la dignité, il tient la barre avec le sourire. Miguel incarne ici les valeurs encore vivantes de l'Andalousie : fraternité, lien social, paix, amour... « Il faut être heureux, conclut Miguel en ouvrant une dernière bouteille, sinon on fait tout tordu ! » Heureux... et libre.

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