[Archive 1/5] Le grand micmac de la région Rhône-Alpes

Tout au long de l'été, la rédaction vous propose de revisiter notre monde en 2008. Les espoirs, les visions d'avenir, les dialogues nourris, les grands projets structurants - encore d'actualité dix ans plus tard. Autant d'événements inspirants, de regards éclairants sur l'actualité d'aujourd'hui. Cette semaine, retour sur l'exécutif de la région Rhône-Alpes, dans la tourmente en ce mois de mars 2008. Quatre ans après qu'il ait été investi à la présidence du Conseil régional Rhône-Alpes, Jean-Jack Queyranne défend son bilan, notamment économique. Il répond aux eseignemens, sévères, de l'enquête conduite auprès d'observateurs, de partenaires, de salariés majeurs de la Région. Ceux-ci stigmatisent une organisation, un management, une gouvernance défaillants, un effectif dirigeant instable et un corps social déstabilisé, le dogmatisme et les compétences contestables d'une parties des élus et les hiérarques, une stratégie en matière économique inappropriée, enfin une dérive financière. En cause : l'hétérogénéité politique de l'exécutif. Et en question : les choix stratégiques et méthodologiques du Président, déterminé de son côté à « bousculer les habitudes ».
©Laurent Cerino/Acteurs de l'économie

Article initialement publié le 14 mars 2008, 16:10

"La Région est en panne". Professée dans les seuls rangs de l'opposition UMP, la déclamation n'aurait guère de crédibilité. Mais elle synthétise, en substance, l'examen produit par des dirigeants d'entreprise et des partenaires institutionnels majeurs, par des prestataires historiques et des spécialistes de la stratégie territoriale, par d'actuels comme d'anciens hauts cadres de l'institution.

"Ils ont brisé ma Région", résume l'un de ces derniers.

L'inquiétude, l'incompréhension, et la colère grondent, jusqu'au sein même d'établissements filialisés de l'institution présidée depuis 2004 par Jean-Jack Queyranne.

Dysfonctionnements

En cause : d'une part les dysfonctionnements organisationnels, d'autre part le déploiement d'une stratégie, en matière économique, jugée par ses détracteurs nébuleuse, erratique, et infectée par des considérations politiques et idéologiques. Deux admonestations qui ont pour germe les conditions d'accès au pouvoir et pour humus celles d'exercice dudit pouvoir.

Le réquisitoire produit par les témoins est sévère. Des vice-présidents - quinze, auxquels s'ajoutent six conseillers délégués - parmi lesquels certains concentrent " l'essentiel de leur énergie " à cuirasser leur légitimité, leur périmètre de compétence, leur part de budget, et à ourdir des luttes fratricides ; des chapelles, des rivalités claniques inhibitrices qui épousent la typologie des forces politiques en présence - socialistes, communistes, Verts - et celle des divergences idéologiques inter et intra partis ; l'enchevêtrement, au sein d'une même famille d'activité, des responsabilités qui obstruent la lisibilité, la marge de manœuvre, la capacité décisionnelle de chacune d'entre elles ; la démission ou l'éviction des cadres dirigeants - certains au nom d'une "supposée proximité millonniste", d'autres d'une "logique de purge" - auxquelles font suite le recrutement de successeurs aux expériences et au professionnalisme "plutôt suspects", et la vacance de certaines compétences ; des directeurs ou chefs de service militants, "encartés" et embauchés pour leur proximité idéologique ou partisane avec la hiérarchie directe ; une bureaucratie et un cabinet - "une soixantaine de membres", selon un responsable syndical - pléthoriques ; les dérives caractérielles de quelque vice-président nimbé de son nouveau pouvoir et désormais irascible...

"Il n'est pas rare de devoir présenter un même dossier à plusieurs vice-présidents ou directeurs de service, chaque nouvel interlocuteur s'échinant à décrédibiliser ou contester les conclusions de son prédécesseur", fulmine un expert en stratégie, prestataire de l'institution.

Gouvernance absconse

Résultat : des arbitrages et des décisions qui tardent, oscillent, s'engluent, répondant jusqu'à des logiques inertielles et "clientélistes". Situation kafkaïenne, au cœur de laquelle surgissent les directions liées au développement économique et à l'international - DERTT (économie, tourisme, recherche et technologies), DESUP (enseignement supérieur), DEFC (emploi), DERIC (Europe, relations internationales), D2E (Environnement et énergie)...

"Jamais je n'aurais pu faire fonctionner mon entreprise selon cette règle au nom de laquelle chacun doit donner son avis et l'avis de chacun doit être entendu", peste le patron d'une grande société lyonnaise, par ailleurs impliqué dans les instances régionales.

"Cette incapacité à décider constitue le principal mal du management actuel", diagnostique un haut fonctionnaire. Et résulte d'une cartographie politique alambiquée. L'activité interne de la Région apparaît en effet otage du micmac politique issu du scrutin de 2004, qui produisit une majorité hétéroclite, un entrelacs de rapports de force, et une gouvernance absconse.

L'obligation pour le président Jean-Jack Queyranne de composer avec les communistes et les Verts atrophie sa marge de manœuvre, sa liberté d'action et de décision, et favorise des arbitrages jugés douteux. "Comment justifier sinon que le budget dévolu à la coopération nord/sud et géré par un vice-président Vert gagne chaque année un million d'euros supplémentaire et dépasse désormais les dix millions d'euros?", questionne un fonctionnaire spécialiste des relations internationales.

Le mandat d'Anne- Marie Comparini, rapportent des observateurs, avait été marqué par une grave carence politique mais aussi, comme pour la compenser, par la fluidité des strates décisionnelles et une cohérence organisationnelle, par le "bon" niveau professionnel des services, "motivés et créatifs", par une relation "de confiance" avec les équipes et les prestataires, enfin par une culture de la délibération et de la co-construction qui " responsabilisait " et facilitait l'appropriation des décisions par ceux chargés de les mettre en œuvre.

"Désormais, la procédure prend le pas sur l'action", déplore Jean-Claude Carie, sénateur et conseiller régional UMP.

Grève

Le rapatriement au sein du cabinet d'une partie substantielle des prérogatives, la confusion managériale et décisionnelle provoquée par un leadership et un organigramme méandreux, la démultiplication des voies hiérarchiques et l'atomisation des centres névralgiques, le sentiment de défiance de l'exécutif à l'égard des agents, la logique autonomiste qui profite aux vice-présidents et la juxtaposition de leur pouvoir sur celui des services auraient depuis 2004 dépossédé ces derniers d'une partie de leurs compétences et appauvri le périmètre de leurs responsabilités.

L'obscurité qui caractérise le centre de gravité décisionnel se serait même soldée, selon un témoin direct, par le refus de la Commission permanente d'appliquer des recommandations présidentielles. Ainsi une partie des troupes dont dépend la qualité d'application des décisions, serait déstabilisée par l'absence de gouvernail.

"Toutes ces raisons font que nous manquons d'instructions claires et réalistes" et que, symptomatiques du dérèglement, "certains services croulent sous le travail, simplement parce que la direction méconnaît ou néglige la réalité de l'activité et le dimensionnement de ces services. Le stress et la frustration dominent", résume Henri Toffoli, cadre «A» et élu CGT.

"Le malaise est palpable", corroborent d'actuels et d'anciens hauts responsables. En 2005, une grève d'ampleur éclate, à laquelle s'agrègent massivement les cadres.

"Ils étaient furieux contre l'étouffement des initiatives, la culture de la docilité, et le modèle managérial obsolète déployés depuis un an", résume un cadre dirigeant.

Selon la CFDT, le prétexte officiel, anodin, cristallise en réalité "toute l'étendue de cette désorganisation" qui affecte d'une part les conditions de travail individuel, d'autre part "la reconnaissance et la dignité des collaborateurs". Ces mêmes représentants du personnel estiment que depuis, des efforts "significatifs" ont été entrepris par la direction pour recadrer et revitaliser le dialogue social, mais constatent que des séquelles demeurent liées à l'instabilité chronique de certains services - agriculture, recherche, économie... -, aussi aux joutes que se livrent des vice-présidents impliqués dans des dossiers communs.

"L'exaspération a fait place à la morosité", confie-t-on à la CFDT. Pour pallier à ce constat des lieux, un haut fonctionnaire exhorte au strict respect " de la loi " pour endiguer la dilution des responsabilités. "Seuls le Président de la Région et le directeur général des services sont habilités à piloter les services. Personne d'autre. Et en aucun cas les élus". Des élus dont un autre fonctionnaire récemment "muté" assimile les errements et les insuffisances professionnelles d'une part à leur "culture de l'opposition" qui ne les a pas préparés à "porter des projets", d'autre part à une paupérisation plus générale des compétences, quelles que soient les obédiences. La réforme sur le cumul des mandats aurait détourné de la Région les "meilleurs" praticiens de la politique, davantage enclins aux mandats nationaux et locaux.

Arbitrages idéologiques

Ces particularismes d'exercice du pouvoir débordent le strict fonctionnement interne, et conditionnent la stratégie de la Région en matière économique, pavée notamment par une politique régressive ou frileuse (Lyon-Turin) des infrastructures routières - " miser sur le rail ne doit pas signifier mépriser les équipements routiers, lorsqu'on sait que chaque jour, si 120 000 Rhônalpins recourent aux TER, presque l'équivalent emprunte le seul Tunnel sous Fourvière ", fait remarquer Bruno Lacroix, président du Conseil Economique et Social Régional -, la stigmatisation des OGM (l'agrochimie concerne plusieurs milliers d'emplois directs en Rhône-Alpes), ou le refus d'héberger le futur EPR.

"Autant de sujets tabous", estime-t-on jusqu'à quelque haut hiérarque - représentant un syndicat de salariés - du CESR, d'autant plus déplorés qu'ils n'embrassent pas le champ de compétences de la Région et affichent même quelque incongruité: " il n'existe aucune contradiction à promouvoir les énergies renouvelables et à refuser de condamner le nucléaire", assure cet élu du CESR.

Personne ne doute des dispositions personnelles de Jean-Jack Queyranne, reconnu pour son approche pragmatique des sujets économiques, mais contraint, là aussi, à ajuster sa politique sur les conceptions fermes, volontiers jugées dogmatiques, de ses partenaires écologiques et communistes.

Autre caractéristique de la politique économique, selon ses contempteurs : la fragmentation des moyens et l'émiettement des affectations budgétaires, selon une logique égalitariste là encore dictée par la mosaïque partisane, par la configuration politique de l'exécutif et par le renoncement du cabinet à certains arbitrages "certes déplaisants mais nécessaires".

Mais aussi par la singularité du territoire et de la jeune technostructure. Edifiée artificiellement, creuset d'une extraordinaire hétérogénéité des identités locales comme des enjeux des ressortissants - qu'ont de commun les attentes de l'agriculteur ardéchois et celles de la start-up grenobloise? - affaiblie par son mode de scrutin, la Région est animée par des élus attachés moins à construire une politique d'ensemble qu'à "ramener" vers leur territoire les subsides qui feront la preuve de leur utilité et de leur influence - et, concomitamment, contribueront à leur réélection.

Choix

Huit clusters - de l'aéronautique aux véhicules roulants, des produits biologiques au cinéma -, quatre contrats sectoriels - textile, plasturgie, économie sociale et solidaire, et artisanat -,le soutien aux quinze pôles de compétitivité, un accompagnement spécifique aux activités du BTP, de l'emballage, et à la sous-traitance... ce choix de la dissémination au détriment de la hiérarchisation est décrié.

"Il est dans la vocation de la Région - et justement de chaque élu à l'égard de son territoire - de veiller à ce que l'herbe pousse sur l'ensemble des huit départements. Mais l'herbe ne peut être bien verte uniformément que si l'on décide de faire grandir quelques grands arbres". La métaphore de Bruno Lacroix, président du CESR, est explicite.

L'avenir économique de Rhône-Alpes réclame l'élaboration d'un cap structurant et de priorités adjacentes. A ce jour "négligés, voire détruits" selon un spécialiste en stratégie territoriale. "On bâtit en faisant des choix. Ceux-ci, il fallait les faire lorsque Saint-Etienne et Lyon décidèrent de se porter candidat au titre de Capitale européenne de la culture, il fallait les faire lorsqu'il s'agit d'harmoniser l'offre aéroportuaire, il fallait les faire quand fut initié un Forum pour une mondialisation responsable que Verts et socialistes préférèrent saborder, il fallait les faire lorsque l'ensemble des conseils préconisa de capitaliser sur la recherche, l'enseignement supérieur, les bio et nanotechnologies. La liste est longue de ce qu'il fallait - et faut - faire... Or, de quoi nous parle-t-on? De « développement durable », concept fumeux dont la déclinaison économique et industrielle en Rhône-Alpes demeure limitée. De « citoyenneté », de « solidarité », de « démocratie participative», de « coopération » à Tombouctou, au Burkina-Faso, au Mali, au Pérou... Est-ce bien structurant pour doter Rhône-Alpes d'une vision et d'un avenir? Le Schéma Régional de Développement Economique (SRDE) en est l'illustration, c'est le règne de la « petite » économie, celle des artisans, des TPE et des PME de tous bords, au détriment d'un axe cardinal porté par la connaissance, l'innovation et l'international. Tout, notamment dans le domaine des affectations immatérielles (formation, social...), est diffus, non évaluable, propice au gaspillage. A l'instar de la région Poitou- Charente, la nôtre s'apparente désormais davantage à un terrain d'expérimentations pour politiques en herbe, rompus à s'opposer mais novices pour gouverner. On préféré la sécurité à l'envergure, le repli sur soi et la petitesse à l'ouverture et à l'ambition. Il y a là de quoi anéantir en quatre ans la légitimité que vingt années avaient été nécessaires pour ériger. C'est le choix d'une politique sans courage" et, complète le dirigeant d'une organisation satellite de la Région, "sans esprit entrepreneurial".

Une sentence à laquelle le rapport publié en novembre 2007 par la Cour nationale des comptes offre une corroboration: "Nous n'avons pas observé qu'il y ait au sein de l'administration régionale - Rhône-Alpes, ndlr - une expertise centrée sur le pilotage stratégique de l'économie rhônalpine comme cela aurait pu s'imaginer au regard du rôle de coordination confié aux régions depuis la loi du 13 août 2004". Ce cap, ce fil directeur, cette cohérence, "il est exact qu'ils font défaut à la politique régionale", analyse Jean Vanoye, vice-président (CFDT) du Conseil économique et social Rhône-Alpes.

"II manque un navire amiral", auquel serait arrimée une flotte susceptible d'irriguer l'ensemble de Rhône- Alpes, et d'essaimer en fertilisant la diversité économique et sociale du territoire. "Ce navire amiral on le connaît, pourtant. Il se construit autour des bio, nano, et autres technologies de l'information, à partir de l'axe Lyon-Grenoble". Un projet récemment exposé par Philippe Desmarescaux, fondateur de BioVision, devant le CESR. Et violemment rejeté par Jean-Louis Gagnaire, vice-président de la Région en charge du développement économique, qui le qualifie de "modèle soviétique".

Effet levier

Le bilan "économique" est-il aussi sombre qu'un tel état des lieux augure? Jean-Jack Queyranne et Jean-Louis Gagnaire avancent leurs arguments, qu'ils circonscrivent à une "volonté d'efficacité" et au principe pivot de "l'effet levier", dans le cadre duquel la Région initie et agglomère des compléments privés.

Et le député stéphanois d'insister sur le SRDE, "fruit d'un dialogue et de coopérations infra-territoriaux inédits" - mais aux contours jugés "ambigus" par la Chambre régionale des comptes -, sur la naissance, toutefois après un interminable accouchement, de l'Agence régionale de développement et de l'innovation (4,5 millions d'euros de budget, 70 personnes) qui chapeaute et absorbe les agences sectorielles (productique, design, métrologie, biotechs, matériaux) réparties surie territoire, sur l'élaboration des clusters ou sur une politique industrielle "dynamique".

Il met en avant les dispositifs "performants" pour soutenir la reprise - via un fond de garantie de 6,4 millions d'euros, financé pour moitié par la Région - ou la création - dispositif Déclic, panorama d'aides s'appuyant sur les réseaux Adie, France Initiative, et Entreprendre - d'entreprises...

Pour quels résultats concrets ? L'élu, dont la compétence est dotée de 60 millions d'euros de budget - le développement économique, que l'exécutif rhônalpin, au contraire de ses homologues régionaux, a fait le choix de morceler, serait d'environ 170 millions d'euros une fois les services concernés consolidés -, assure que le fond de garantie aurait généré 40 millions d'euros de prêts bancaires, et que la totalité des 6 millions d'euros consacrés par la Région à la création/reprise d'entreprises auraient entraîné 120 millions d'euros de mobilisation chez les partenaires privés.

Complexe, voire impossible à vérifier, car d'une part les dispositifs sont, de manière endogène à toute politique régionale, par nature diffus, et d'autre part certains d'entre eux existaient préalablement et sont simplement débaptisés ou redéployés. Enfin, et l'animation des clusters (qui impliquent les directions de l'agriculture, de la recherche, de l'économie, de la culture, de la santé...) en témoigne, toutes les actions embrassent la logique fragmentaire des services concernés. "Une opportunité d'enrichissement", proclame Jean-Louis Gagnaire. "Une sclérose", ripostent les détracteurs.

Le rapport de la Chambre régionale des comptes est sévère. " Des dispositifs éclatés, complexes et peu coordonnés, des aides à la portée limitée, une évaluation et un suivi insuffisant", constate-t-elle. Dans le domaine de la création/reprise d'entreprises, elle observe que "le financement des opérations ne se fait pas en réel partenariat avec les autres collectivités territoriales ou les établissements publics de coopération intercommunale", et que "l'enveloppe budgétaire allouée a été fortement réduite" - reconnaissant en revanche que "les dispositifs sont désormais mieux distingués".

Des conclusions auxquelles la Commission de suivi et d'évaluation (SUEVAL), pilotée par Christiane Puthod et chargée de mesurer les aides directes régionales aux entreprises, est censée fournir des répliques.

"Nous avons participé activement au SRDE comme au Fonds régional pour l'emploi ou la contractualisation avec les entreprises. Et nous avons préconisé la diminution des subventions directes au bénéfice des aides collectives", explique l'élue communiste.

Plébiscite de la CGPME

Il n'empêche, Jean-Jack Queyranne a su mettre en œuvre et intensifier certains choix initiés par l'équipe précédente ou profiter d'infrastructures performantes développées dans les années 80 et 90. Ainsi, Erai, otage d'enjeux toujours vifs - même apaisés - avec les CCI, a poursuivi son expansion.

Anne-Marie Comparini elle-même estime qu'en matière de modernisation, d'extension et de fiabilisation du réseau TER, d'amélioration des lycées, d'ancrage territorial des universités et de la recherche, de soutien aux clusters et pôles de compétitivité, ou de développement durable, l'action est "plutôt positive".

Les partisans des thèmes liés à la solidarité, à la coopération à l'international, ou aux luttes contre les discriminations, peuvent concrètement louer les orientations entreprises depuis 2004. Jean Vanoye constate depuis quelques mois de la part de la Région une écoute meilleure, une considération accrue - "bien qu'encore insuffisantes".

"Pour preuve", la récente conférence régionale de la chimie ou le soutien des PME à l'international. Des PME choyées par une politique - le statut d'élu régional UMP de François Turcas, président de la CGPME Rhône-Alpes, n'y est sans doute pas étranger - que Cyril Amprino, secrétaire général de l'organisation patronale, plébiscite. "Qu'il s'agisse de politique de l'emploi (notamment des jeunes dans le cadre de l'alternance), des formations (l'objectif est de passer de 33000 à 50000 contrats d'apprentissage, et nous en sommes déjà à 40000), de définition du SRDE, de régénération du dialogue social territorial, ou de déploiement d'actions collectives (clusters...), la Région nous a tendu la main, écoutés, et a intégré nombre de nos préconisations. Parmi elles: la nécessité de doubler le fond de garantie pour la transmission des entreprises, le subventionnement (à hauteur de 63000 euros) de notre participation aux travaux sur le dialogue social une meilleure transversalité des actions en faveur des PME, une plus grande prise en compte des bassins d'emploi, de la tertiarisation de l'activité (services à la personne...) ou des spécificités structurelles de la sous-traitance".

Situation financière contestée

C'est à plus long terme que, selon les observateurs, les dysfonctionnements internes et politiques pourraient sécréter de délétères effets.

"Une dizaine de kilomètres sont nécessaires au capitaine du cargo pour effectuer un virage. En terme de temporalité, le pilotage d'une Région répond d'une logique, d'un décalage comparables", indique Anne-Marie Comparini.

"Résultat, chaque jour passé à éluder certains arbitrages et des décisions cruciales en matière de priorité structurelle et stratégique hypothèque d'autant l'avenir économique du territoire", complète un conseil en stratégie. "En politique régionale, selon cette même règle, quinze années séparent une décision de sa matérialisation. Par exemple sur l'engorgement de la vallée du Rhône, rien n'est engagé. Dans quel état sera-t-elle en 2025?", redoute Bruno Lacroix.

Autre préoccupation, les comptes de la Région. "Le candidat Queyranne avait affirmé que jamais il n'augmenterait la fiscalité. Or, depuis 2004, elle a progressé de 23,5 %", insiste Jean-Claude Carie. Quant à l'emprunt, la dette, et les frais financiers, leurs montants auraient respectivement "doublé, triplé, quadruplé".

L'élu UDF Thierry Cornillet prophétise que l'endettement, aujourd'hui de 1,2 milliard d'euros - auquel les 300 millions d'euros de crédit-bail, liés au budget de fonctionnement mais en réalité affectés à de l'investissement (trains), sont artificiellement soustraits - tutoiera 2,5 milliards d'euros en fin de mandature. Les dépenses de fonctionnement, rapporte ce même conseiller régional, ont crû de 38 %, le poste constituant désormais 66 % du budget total contre 40 % en 2004. Le poste investissement est en recul de 1,3 %, "et même de 4,6% si on neutralise le budget des moyens généraux", mais il a bondi depuis 2004 - de 450 à 750 millions d'euros annuels.

Selon un ancien cadre dirigeant particulièrement autorisé, "le nombre de voyages à l'étranger ou de participations à des manifestations a explosé". Le coût du futur Hôtel de Région - dont la construction au Confluence ne suscite guère de réprobation - initialement de 90 millions d'euros, pourrait dépasser les 150 millions d'euros. "Sans compter les dépenses, non budgétées à ce jour, affectées à la réfection de bâtiments annexes nécessaires pour compléter une offre d'ores et déjà insuffisante", poursuit ce même témoin, qui regrette par ailleurs que le taux de réalisation - rapport entre crédits votés et crédits consommés - culmine "aujourd'hui à 80 % quand il atteignait 94 % sous la mandature précédente. Cela pose clairement le problème de la sincérité du budget".

"Lourd héritage"

"L'ensemble de ces dérives résulte d'un fonctionnement irraisonné et dispendieux, d'affectations budgétaires ineptes (démocratie participative), mal cernées (coopérations décentralisée), ou irrationnelles; comment peut-on justifier de dépenser 1 600 000 euros pour décliner le logo de la Région sur vingt rames de TER et sur les bus, ou 150 000 euros pour commémorer les 20 ans de Tchernobyl ? Le plus grave est que ces dérives n'ont pas pour fondement des investissements programmés pour préparer l'avenir", estime Jean-Claude Carie.

Un "lourd" héritage, poursuit un haut fonctionnaire en poste à la Région pendant de longues années, dont l'assainissement nécessitera "au moins une mandature", contraindra les futurs postulants à la présidence à une "grande pondération" dans leurs promesses, enfin devrait "dès maintenant" obliger l'exécutif à faire maigrir certains postes de fonctionnement et à déterminer quelques priorités.

Un diagnostic catastrophiste que pondère Fitch Ratings. Tout en dégradant ses perspectives de "stables" à "négatives" pour cause de détérioration de l'endettement - d'après les analystes, celui-ci, de 950 millions en 2006, devrait dépasser les deux milliards en 2010, et la capacité de désendettement s'annonce supérieure à cinq ans -, l'agence de notation a maintenu le 21 décembre 2007 ses notes à long terme "AAA" et à court terme "F1+".

Au nom d'un profil socio-économique "très favorable", de "bonnes" performances budgétaires, d'un niveau "important" d'autofinancement, "d'efforts d'investissement", d'une marge de manœuvre significative sur ses recettes, d'une pression fiscale "inférieure" à la moyenne. L'agence évalue par ailleurs à 38 millions d'euros le surcoût, pour l'institution, généré par l'écart entre les dépenses liées au transfert de compétences et la compensation versée par l'Etat.

"La Région Rhône-Alpes est une collectivité riche, gâtée, qui dispose de moyens financiers et de marges de manœuvres considérables. Les fondamentaux demeurent solides. Elle peut dépenser, investir. Mais jusqu'à un certain point. Par exemple, la technique des autorisations de programmes, démarche comptable pluriannuelle à laquelle la Région recourt massivement, engage des investissements sur plusieurs années, sans possibilité de suspension ou de retour en arrière. Intéressant lorsqu'il est couplé à une bonne maîtrise budgétaire, ce dispositif devient dangereux dans le cas contraire. Celui, incontrôlable, vers lequel tend aujourd'hui la Région. Il est désormais urgent de faire des choix, et de cesser de succomber à la surenchère financière imposée par les Verts et les communistes. Sinon, le retour de bâton sera douloureux", prévient un observateur avisé des comptes de l'institution. Jean-Jack Queyranne est-il l'homme des arbitrages ?

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