Leçon de débat

Automne 2003. Alors que je converse avec un ami, je prononce une « expression type d'apprenti ». Bien malgré moi.

Me croyant frère, il se dévoile. Le quiproquo est levé. Quelques semaines plus tard, ce membre du Grand Orient me propose d'animer l'une des deux « tenues blanches fermées » annuelles de sa loge - un profane s'exprime au milieu de maçons de toutes obédiences -. Objet : présenter un exposé sur les « (in)compatibilités du libéralisme et de la mondialisation avec les valeurs fondamentales de la franc-maçonnerie » qui conclut six mois de « planches » au sein de cet atelier.

 

4 juin 2004. Une ville moyenne du sud de la France. Accompagné de mon ami, je pénètre dans le lieu, abrité derrière une façade austère d'une rue étroite et sombre. Rien, bien sûr, n'indique l'existence de la loge ni même ne laisse augurer de telles installations intérieures, vastes mais sobres et même modestes. Au bar se succèdent les premiers arrivants qui me souhaitent la bienvenue. Puis tous revêtissent leur tablier, marqué des attributs de leur obédience et de leur grade, et s'installent dans le temple, édifié dans le sein même du bâtiment. Je patiente dans le couloir, et attends l'achèvement du cérémonial de l'ouverture des travaux. Les murs sont ornementés de témoignages et de photographies maçonniques, les consoles accueillent des livres d'instruction. Je suis alors invité, et traverse la salle en empruntant un strict parcours. Les rangs des sièges se font face, et épousent un ordonnancement rigoureux. Le sol et les cloisons sont tapissés de symboles. La vétusté de l'enceinte et les boiseries qui la drapent cisèlent une ambiance surannée, ésotérique, rassurante. Perpendiculaire à l'assistance, la scène (ou l'Orient), où prennent place le « Vénérable » - ou maître de la loge - et ses adjoints. J'y suis accueilli chaleureusement. Je me place devant le pupitre. Face à un auditoire qui se confond dans la pénombre, je discours pendant une heure trente. Puis viennent les questions. Le droit restrictif à la parole exhorte chaque intervenant à mûrir précautionneusement son propos et à aiguiser la question qui la conclut. Tel le maître d'école, le « Vénérable » orchestre les prises de parole. Le débat est dense. Passionnant. La grande pluralité des profils professionnels ou sociologiques, des convictions idéologiques ou politiques, rejaillit dans le foisonnement éclectique d'interrogations et de prises de position parfois oppositionnelles. Le lieu cuirasse une forte liberté de penser et de dire, délestée des jugements. Cette qualité est consolidée par l'absolu silence de l'auditoire qui protège l'audibilité et assure l'importance de chaque intervention.
Vers minuit le débat d'achève. Les frères - sœurs - des autres obédiences prennent un verre au bar, puis se dispersent. Ceux de la loge rejoignent la salle de restaurant. Les agapes peuvent démarrer. Près de moi, un artisan-potier, un chef d'entreprise, un commerçant, un enseignant...Des frères sont dévolus à la préparation des plats et au service. L'ambiance est celle d'une troisième mi-temps de rugby. Son particularisme festif répond tout à la fois de « l'esprit fraternel » maçon et de la décompression qui succède à l'intensité des échanges précédents. Vers 2 heures, les derniers maçons quittent le lieu.


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