Sur les traces de Dominique Perben

Mai 2004. Il a quitté la Saône-et-Loire et s'est installé à Lyon en septembre dernier. Objectif : conquérir la ville et l'agglomération.
©Laurent Cerino

Le nouveau vice-président du Conseil général du Rhône chargé de la vie associative et de l'innovation sociale dispose de trois années pour séduire les Lyonnais. Trente-six mois pour opposer au bilan de Gérard Collomb une alternative convaincante, pour espérer ressouder une droite locale que la déroute aux élections régionales a précipitée pour les prochaines années dans un rapport de forces et d'ambitions inextricables. Interview exclusive, auscultation de son bilan économique, politique, et « méthodologique » à Chalon - qu'il a administrée pendant vingt ans -, présentation des réseaux décisionnels qui charpentent son implantation entre Rhône et Saône, examen de son action ministérielle par le monde lyonnais de la justice... autant de voies concrètes qu'Acteurs de l'économie a explorées pour tenter de répondre : qui est Dominique Perben ?

Le « manque d'ambitions » de Gérard Collomb constitue l'une des motivations de Dominique Perben pour conquérir l'agglomération. Ses projets et sa méthode convaincront-ils le milieu décisionnel lyonnais ? Et, au plan politique, saura-t-il résoudre les bouleversements provoqués par l'échec aux Régionales ?

 



« Lyon a besoin d'une dynamique »

 


Pour quelles raisons briguez-vous la mairie de Lyon ?

 


D'une part, l'envie de me réinstaller à Lyon, où je suis né, où j'ai fait mes études, où j'a passé une partie de ma vie professionnelle. D'autre part, celle de participer à une nouvelle ambition pour cette agglomération qui dispose d'atouts extraordinaires à condition de faire les bons choix en matière économique, universitaires, de transports. A condition aussi de savoir repérer les potentiels - chercheurs, milieux associatif, sportif, culturel... -, de les rapprocher, de les mettre en réseau, d'impulser une dynamique collective, de rendre possible le changement : voilà ma conception du rôle de l'élu, que j'ai appliquée au sein du gouvernement comme lors de mes mandats à Chalon-sur-Saône.

 



Quelles critiques faites-vous de la politique de Gérard Collomb qui justifient votre engagement ?

 


Mon engagement se justifie par lui-même. Les vertus de la concurrence valent autant en démocratie qu'en économie : j'observe d'ailleurs que depuis m déclaration comme candidat on entend beaucoup plus monsieur Collomb s'exprimer...Quant à sa politique, j'en isole deux caractéristiques : le manque d'ambitions, et l'insuffisance de partenariats.

 


Les transports et les infrastructures font l'objet d'âpres négociations, voire de blocages, entre l'Etat et les collectivités locales. Quelle répartition faites-vous des responsabilités ?

 


On ne peut pas faire porter au seul Etat l'origine des blocages. Lorsqu'une volonté commune se dégage sur le terrain, le dossier avance. Pourquoi le Contournement Ouest de Lyon stationne ? Pas à cause de l'Etat qui ne manque pas d'argent pour d'autres projets, mais parce qu'aucun consensus ne se forme localement. Le dernier CIADT a été encourageant, puisque d'importantes décisions ont été prises concernant les liaisons Lyon-Saint Etienne et Lyon-Turin. Pour Lyon, ces deux projets doivent s'intégrer dans une stratégie de grande métropole, qui passe par un vrai réseau de villes avec d'abord Grenoble et Saint-Etienne, puis les autres agglomérations de Rhône-Alpes et bien sûr avec cette partie la plus dynamique de l'Italie constituée par le couple Milan-Turin. Or ce travail de réseau, je constate qu'il est insuffisant.

 


Que proposez-vous concrètement pour l'avenir de l'aéroport Saint-Exupéry, que la fusion Air France-KLM pourrait singulièrement assombrir ?

 


Les choix techniques ont été bons. Notamment la liaison routière puis par le tramway spécial avec le centre de l'agglomération. Ce qui est désormais en cause, c'est la manière dont Air France-KLM va vouloir utiliser l'aéroport. Or ce choix ne relève pas de décisions administratives ou publiques, et dépend du partenariat qui sera noué avec la compagnie aérienne. Mais Saint Exupéry sera d'autant plus puissant, attractif, et susceptible de solliciter des liaisons transatlantiques que le tissu local proposera un potentiel économique à la hauteur de l'enjeu. Tout se joue dans les deux sens. Pour cette raison, en terme de stratégie économique, je crois beaucoup au pari de « l'intelligence ». Cette conjugaison entre l'Université, les pôles de recherche, et l'industrie de pointe constitue un axe majeur de mon projet pour Lyon, car elle permettra le renouvellement et la création des emplois nécessaires à la compensation de ceux qui s'essoufflent ou se perdent dans d'autres secteurs. L'enjeu pour les vingt prochaines années est là.

 


Gérard Collomb fait régulièrement référence à Barcelone. Quel est votre propre modèle de métropole européenne ?

 


Les deux grandes métropoles de l'Europe du Sud sont Barcelone et le tandem Turin/Milan. Plus à l'est, le développement de Budapest est intéressant. Lyon a l »avantage d'être merveilleusement située dans la partie nord du sud de l'Europe, ouverte sur Marseille, le nord de l'Italie et la Catalogne. Encore faut-il avoir beaucoup d'ambition et faire preuve d'exigence, notamment dans le domaine culturel, pour donner de l'agglomération une image valorisante.

 



Sur quels réseaux et quels hommes du milieu économique lyonnais allez-vous vous appuyer ?

 


Ma méthode est celle de « l'ouverture ». Dès les prochaines semaines, je proposerai à tous ceux qui ont des responsabilités et prennent des initiatives dans les domaines économique, social, ou culturel, de participer à l'élaboration de lignes d'actions nouvelles et donc d'un projet alternatif. Depuis huit mois que je suis sur le terrain, je suis frappé par le nombre et la diversité de ces initiatives. La tradition lyonnaise dans le domaine de l'innovation sociale est toujours aussi vivace : j'en veux pour preuve le grand nombre d'associations et d'actions parfois discrètes mais très intéressantes qui portent sur la réinsertion des jeunes délinquants ou la protection des victimes mineures.

 



Le monde décisionnel lyonnais a plutôt une bonne opinion de Gérard Collomb. Sur quels arguments pensez-vous le convaincre de vous rejoindre ?

 


Je mise sur la dynamique et le savoir-faire que j'ai mis en application avec beaucoup d'efficacité lors de la reconversion industrielle de la région chalonnaise, sinistrée avant mon arrivée en 1983. J'ai alors mis en place des partenariats avec les milieux économiques, et en vingt ans nous avons inversé la dynamique, créé de nombreux emplois, renouvelé le tissu économique et industriel. Ce sont les chefs d'entreprises qui font l'activité et l'emploi ; dès lors qu'on favorise leur environnement, notamment en allant chercher ailleurs des investisseurs et des partenaires, on parvient ensemble à des résultats positifs. Encore faut-il faire des choix, décider de lignes stratégiques, bien articuler le couple entreprise/formation. Car ce qui fait la réussite d'une implantation d'entreprise, c'est la qualité des hommes qu'elle va pouvoir trouver sur place.

 


Comment rêvez-vous Lyon ?

 


Je rêve d'une ville qui garde son charme, sa lumière si singulière, le foisonnement de sa vie, son côté à la fois discret et chaleureux, et qui mette à ce service d'une part un vrai dynamisme, d'autre part une grande capacité à maitriser le développement dans l'espace. Cela me semble essentiel, et passe par une grande préoccupation de l'aménagement et notamment par la construction d'un Est lyonnais équilibré, de qualité, sécurité.

 


Revenons aux Régionales, dont les résultats ne seront pas sans conséquence sur l'élaboration de votre candidature. Les électeurs ont-ils sanctionné davantage la politique d'Anne-Marie Comparini ou celle du gouvernement ? Quelles erreurs le tandem Comparini-Gaymard a-t-il commis ?

 


Ce résultat est, en France, celui de l'extrême politisation d'un scrutin dont les électeurs n'ont pas perçu « l'intérêt local ». Ils ont fait de cette élection de mi-mandat une forme d'avertissement, conscient qu'elle ne modifiait pas la majorité gouvernementale. Ce fut particulièrement vrai en Rhône-Alpes. D'autre part, Anne-Marie Comparini a été gênée par l'absence de majorité claire au Conseil régional ; ainsi, elle n'a pas toujours pu affirmer ses grands choix, alors qu'elle a fait du bon travail par ailleurs. Enfin, la campagne a été cannibalisée par le débat national et les électeurs, notamment rhônalpins, n'ont pas eu droit à un véritable débat régional.
Souhaitons que ces conditions électorales et la victoire de la gauche n'entravent pas le processus de décentralisation, dont je suis un ardent partisan : en termes de développement économique et social, de capacité d'innovation et de création, de promotion des territoires, ou de partenariats, les collectivités territoriales doivent occuper un rôle essentiel. Nous devons poursuivre dans ce sens.

 


En Rhône-Alpes, l'union UMP/UDF avait été bâtie au forceps et contre nature. L'échec libère les critiques, les aigreurs. Comment pensez-vous reconsolider cette droite lyonnaise désunie ?

 


Mon ambition est bien de réunir. Cette union, on doit la faire bien sur avec les acteurs politiques, mais aussi avec tous ceux qui n'ont pas nécessairement un engagement politique et qui constituent un  « ciment » autour des personnalités plus expérimentées. On y arrivera en travaillant sur le terrain, en constituant des équipes de réflexion et de propositions capables de construire un projet à l'échelle de l'agglomération. Ce « sang neuf » est décisif pour progresser.
Lorsqu'elle est sincère, claire, et poncture une concurrence loyale au premier tour, l'union s'avère performante. La victoire dans le 5ème canton de Michel Havard, soutenu au deuxième tour par Bénédicte Louis, en est la démonstration.

 


L'UDF pouvait être disposé à vous céder Lyon en contrepartie de la Région. Les résultats bouleversent la donne. Comment votre stratégie l'intègre-t-elle ?

 


Je construis l'union sans aucun frein. Et rien ne remet en question mon partenariat avec Michel Mercier.

 


La candidature « Millonnistes » aux cantonales a rappelé que leur intégration au sein de la droite lyonnaise n'est pas une réalité. Comment allez-vous gérer cette présence qui pèse lourdement au conseil municipal et semble peu compatible avec une coalition avec l'UDF ?

 


Les « Millonnistes » ont fait ma campagne et son prêts à continuer de le faire. Cessons de compliquer la situation : il faut aller de l'avant, se sortir des aigreurs, et rassembler. Je ne vais pas passer ma vie à demander à mes partenaires ce qu'ils ont fait quelques années plus tôt...

 


Seriez-vous prêt à accueillir Charles Millon sur votre liste ?

 


Ecoutez ! Monsieur Millon est ambassadeur et représenta la France dans une organisation internationale - la FAO, ndlr -. Voilà.

 


L'UMP est exposée aux dissensions entre les différents courants qui la composent. Partagez-vous cette autocritique ? L'échec aux Régionales n'est-il pas aussi celui d'une organisation monolithique qui a choisi davantage de diluer ses différentes sensibilités que de leur permettre de s'exprimer ?

 


Je suis de tradition gaulliste. Et je suis donc d'accord sur la nécessité de développer un débat interne à l'UMP, plus approfondi. Lorsque j'ai créé « Dialogue et initiative » avec Jean-Pierre Raffarin, Michel Barnier et Jacques Barrot, j'ai justement voulu démonter que l'union signifie « additionner » des sensibilités différentes en les respectant ; c'est essentiel pour enrichir la réflexion commune. Cela vaut pour l'UMP au niveau autant national - après ces deux années post-Présidentielle et Législatives, qui réclamaient de marquer l'unité - que local : l'UMP du Rhône doit elle aussi permettre à toutes les sensibilités d'exister, y compris celles qui ne se retrouvent pas systématiquement dans les trois grandes familles gaulliste, libérale, et démocrate chrétienne et peuvent évoluer au gré des sujet - Europe... -.

 



Serez-vous candidat à la succession d'Alain Juppé à la tête de l'UMP ?

 


Non.

 


La loi Perben 2 suscite d'importantes critiques dans les rangs de la justice lyonnaise. Les détracteurs stigmatisent un dispositif « ultra-sécuritaire », qui affecte les droits des citoyens, et même qui peut entraver la bonne marche de la démocratie...

 

 

Le volet « liberté » de la loi Perben 2 est désormais parfaitement clarifié : lutter contre la grande délinquance de dimension internationale, traiter plus rapidement et plus simplement la petite délinquance. Dans les deux cas, elle est un facteur de progrès et rencontre la volonté des citoyens. Nous disposerons dorénavant des mêmes armes que les justices des grandes démocraties pour combattre le terrorisme et es mafias ; et nous favoriserons une justice plus accessible, plus rapide et donc plus humaine : une décision qui attend un an pour sanctionner un petit délit n'est pas bonne, alors que la même décidée au bout d'un mois est d'une valeur pédagogique très supérieure. Parce qu'elle est au cœur de tous les maux de la société, la justice a besoin de se moderniser, de s'humaniser, et de faire preuve de davantage de coopération au niveau européen. Voilà mon ambition de Garde des Sceaux.

 

 

 


Article 2

Dominique Perben et Gérard Collomb se disputent les réseaux économiques

Dominique Perben ne perd pas de temps. A marche forcée, le Garde des sceaux rencontre et consulte pour cimenter la base de ses soutiens dans le monde économique lyonnais. A la table de Michel Noir, l'industriel Michel Brochier lui a ouvert son carne d'adresses : « il a rencontré une quinzaine de chefs d'entreprise lyonnais. Mais, pour l'instant, il n'y a pas de groupe de travail, ce sont des rencontres bugne à bugne » explique-t-il sans vouloir citer de nom. Sans préjuger de l'avenir, Dominique Perben peut d'ores et déjà s'assurer du soutien de certains caciques lyonnais de l'entreprise : Robert Paris, le patron du Medef Rhône-Alpes, qu'il a rencontré, ou Jean-Paul Mauduy, le candidat à la présidence de la CCI de Lyon. Quant à François Turcas, le bouillant patron de la CGPME Rhône-Alpes, il s'est aussi entretenu avec le candidat Perben, et nul doute que ses convictions politiques - François Turcas figurait sur la liste de Charles Millon aux élections régionales de 1998 et sur la liste UMP-UDF en 2004 - le pousseront bientôt à ne plus soutenir aussi publiquement son « ami Gérard Collomb ».
Le chef d'entreprise Jean Girma (Monétique chèque edit), secrétaire départemental de l'UMP, a également rencontré quelques patrons avec Dominique Perben : il évoque notamment Michel Garcia, le cofondateur de Jet Services, ou Roland Tchénio, le patron de Toupargel, qui a d'ores et déjà eu l'occasion de travailler avec la maire de Chalon-sur-Saône, où le groupe possède une importante unité. En octobre dernier, le Garde des Sceaux a également fait salle comble au club du Prisme, devant un parterre de 70 chefs d'entreprise. Officiellement pour parler de sa fonction de ministre. « C'était une excellente prestation, mais sous le Garde des sceaux, perçait le candidat Perben » remarque l'un des patrons présents. L'autre club lyonnais de chefs d'entreprise, le Cercle de l'union, a d'ores et déjà lancé une invitation formelle pour la fin de l'année. Son président Xavier Chalandon se défend toutefois de toute arrière-pensée politique : « C'est Perben garde des sceaux qui vient » explique-t-il. Pourtant maire depuis 2001, Gérard Collomb, lui, a du attendre 2004 pour être invité sous les lambris dorés de la place Bellecour...

 

Pour qui « roule » le Pack ?

 

Gérard Collomb doit d'ailleurs aujourd'hui constater que les réseaux qu'il n'a eu de cesse de tisser dans le monde économique lorgnent vers son adversaire. Aucune des trois têtes d'affiches qui avaient sonné le rassemblement à la veille des élections n'est le leader espéré : le sulfureux Thierry Ehrmann s'est glissé dans l'anonymat que lui imposaient ses atermoiements de chef d'entreprise ; Bruno Bonnell apparaît aujourd'hui davantage Américain que Lyonnais ; enfin, Alain Godard, démissionnaire de la présidence d'Aventis Cropscience quelques semaines après l'avènement de Gérard Collomb, s'investissait aussitôt dans l'exploitation d'un domaine viticole en Provence. De retour à Lyon en 2003, il a pris les rênes du « Conseil de développement ». Créé dans le sillage de « Millénaire 3 », ce « think-tank » prospectif tente de mettre en perspective les opinions d'environ 800 représentants de la société civile.
En créant un « pack » d'acteurs - une soixantaine - de cette même société civile, « l'électron libre » Maxence Brachet avait longtemps fait figure de « catalyseur » es intérêts du maire de Lyon et de « propagandiste-lobbyiste » auprès des milieux décisionnels. Ce rassemblement avait été décidé puis a grandi dans une grande discrétion, synonyme de confusion Certes, l'initiative de l'ancien sherpa du patronat lillois a utilement essaimé ; mais le « Pack » tarde à donner sa pleine mesure et s'est même émancipé de Gérard Collomb. Celui-ci ne verse pas un subside et, selon Maxence Brachet, donne l'impression « que le mouvement lui a échappé ». Est-ce la raison pour laquelle le président de l'agglomération apparaitrait « dans une grande solitude et replié sur lui-même face à un milieu décisionnel qui maintient une certaine distance ? ».
D'aucuns estiment que le « Pack » opère désormais un changement de cap en direction des intérêts de... Dominique Perben. « Cette déviance est indiscutable » affirme un membre du mouvement. Maxence Brachet, lapidaire, rappelle qu'il n'a « jamais été un homme de gauche... ». Le maire a riposté par le lancement de « Lyon 2020 », un ersatz destiné à tricoter un réseau dans la perspective des échéances de 2007 et dont l'approximation des fondations inquiète l'un des premiers dirigeants sollicités. Un décideur lyonnais situe le « point de séparation » entre Gérard Collomb et les dirigeants lyonnais au Congrès de Dijon, qui propulsa le Maire au conseil national du PS : « depuis ce jour, les patrons ne peuvent plus le soutenir sans s'exposer politiquement ; c'en est trop pour eux ».



Article 3

La justice lyonnaise juge le Garde des Sceaux
Prisonnier de sa propre loi ?
    
La loi Perben 2 mécontente les représentants lyonnais des magistrats et des avocats. Le petit mais puissant cénacle de la justice sanctionnera-t-il le candidat aux municipales ?

Peut-on prétendre circonscrire la personnalité de Dominique Perben et augurer de l'accueil que lui réservera le microcosme judiciaire lyonnais d'ici à 2007 dans le prisme de son action ministérielle ? L'exercice est périlleux. Il n'empêche, il existe un « avant » et un « après » Perben 2. L'avant ? Un ministre qui rompait avec le comportement d'Elisabeth Guigou, volontiers jugé arrogant. « Dès son arrivée, il a entrepris une tournée des barreaux, et s'est même rendu en Ardèche » confirme Erice Jeantet, Bâtonnier de l'Ordre des avocats de Lyon. Les premières mesures sont saluées par les professions du droit : l'assouplissement des conditions de « déclaration de soupçon » imposées par la loi européenne sur la sécurité financière ; le retrait des experts-comptables du champ de la création d'entreprise ; la nomination de magistrats supplémentaires ; ou encore l'ouverture à la consultation des débats préliminaires à la loi Perben 2.
Mais la conclusion de cette dernière marque une rupture. Eric Jeantet et son prédécesseur Philippe Genin confirment qu'à leur arrivée au Palais Bourbon les textes de la future loi « n'étaient pas aussi sévères ». Les presque mille (!) amendements déposés par des parlementaires soucieux d'exaucer les exigences sécuritaires de leur électorat et « motivés » par les puissants lobbies du ministre de l'intérieur Nicolas Sarkozy, ont durci et surenchéri l'écriture finale jusqu'à accoucher d'une loi dont le caractère liberticide est communément stigmatisé. Le Conseil constitutionnel a, certes, prononcé des « réserves », notamment sur la définition de la « bande organisée » qui légitime les pouvoirs d'exception autorisés par la nouvelle loi. Mais l'extension de la « garde à vue » à 96 heures, l'intervention d'un avocat au bout de la 48ème heure, les perquisitions de nuit, le développement des écoutes téléphoniques, ou l'introduction contestée du « plaider coupable » ont été avalisés. Philippe Genin résume ainsi le mécontentement général : « Personne ne conteste que la délinquance et l'insécurité réclament de nouvelles dispositions pour renforcer certains pouvoirs d'investigation de la police. Mais absolument rien ne justifie que, parallèlement, les droits de la défense soient atteints. On ne peut pas durcir sur tous les tableaux. Or là, on privilégie la politique de « l'aveu » sur celle de l'intelligence. Et la justice n'apparaît plus en mesure de contrebalancer la politique policière ultra-sécuritaire de la Place Beauvau ».

 

Le plaider-coupable contesté

 

Parmi les nouvelles mesures, le « plaider-coupable » ne manque pas d'intérêts. Principalement celui de désengorger les tribunaux, et d'accélérer le traitement de litiges en rapprochant la date de sanction de celle du délit. « C'est essentiel pour favoriser une prise de conscience salutaire chez le délinquants. 90 % des infractions pourraient être traitées dans ce cadre » indique Jean-Jacques Gauthier, délégué régional de l'Union Syndicale des Magistrats (USM). Le hic, c'est justement... la nébulosité de ce cadre. « Regardez : les textes de « Perben 2 » pèsent 2 kg de papier ! Plusieurs centaines de pages. Nous n'avons pas le temps de les étudier, et surtout on ne connaît toujours pas les conditions de leur application. Aucune étude d'impact n'a été réalisée. C'est comme cela depuis vingt ans : les réformes se succèdent annuellement chassent les précédentes. Et la classe politique décide sans se soucier du terrain » poursuit le substitut du procureur du TGI de Lyon. « Alors pour le plaider-coupable, il est trop tôt pour savoir s'il sera un outil performant ou inadapté ».
En revanche, il est assez tôt pour en isoler les possibles perversités.
Principalement celles de dévoyer deux principes fondateurs de la justice : la quête de la vérité, et la confiance en l'autorité. Un jeune physiquement et moralement vulnérabilisé par sa garde à vue, effrayé par la « machine » judiciaire, les intimidations policières, et la pression psychologique, pourra être encouragé à reconnaître une culpabilité et à accepter la sanction amoindrie proposée par le « plaider-coupable » quand bien même il serait innocent ou partiellement responsable. Pour le juge Dominique Brault, secrétaire général du Syndicat de la magistrature, la « thématique de la moindre peine » devrait se substituer à celle « de la vérité ».

 

Risque de dysfonctionnement démocratique

 

Mais la partie de la loi qui offusque le plus ce vice-président du TGI de Lyon en charge de l'instruction des affaires économiques et financières, concerne l'extension des pouvoirs du Parquet, dirigé par des procureurs généraux nommés par ... le ministère de la justice. L'équilibre, déjà fragile, qui chevillait l'indépendance entre les pouvoirs législatif, exécutif, et judiciaire pourrait donc tituber sous le joue d'une subordination du dernier des trois piliers. Dominique Brault décortique les dangers de ce nouveau lien ombilical qui assèche le périmètre d'intervention des juges : « il ouvre la voie à une déconstruction de l'institution judiciaire. Prenez l'affaire Juppé. Avec Perben 2, jamais elle ne serait allé jusqu'au juge et aurait été classé par le Procureur ». Quand à l'article L2211-3 qui stipule que « les maires sont informés sans délai par les responsables locaux de la police ou de la gendarmerie des infractions causant un trouble grave à l'ordre public commises sur le territoire de leur commune », il crevasse l'étanchéité entre politique et judiciaire, et, selon Jean-Jacques Gauthier, exacerbe le sentiment de « méfiance larvée » de l'ensemble du corps social sur le travail de la justice.
Cette consubstantialité accrue des champs judiciaire et politique peut-elle discréditer l'un des mythes fondateurs de la justice, « l'égalité pour tous » ? Constitue-t-elle une menace sur le fonctionnement même de la démocratie en altérant la vocation de contre-pouvoir du judiciaire sur le politique ? La levée de bouclier de la classe politique de droite - comme hier celle de gauche en faveur d'Henri Emmanuelli - contre la décision de justice dans l'affaire Juppé, « l'étonnement » du Premier ministre d'une peine jugée sévère, sont-ils les premiers symptômes d'un pernicieux dysfonctionnement démocratique ?
Eric Jeantet partage l'inquiétude : « En privilégiant les pouvoirs de la police sur ceux du juge, la loi Perben 2 déséquilibre le droit de la défense, remet en cause des libertés fondamentales, et peut annoncer une dérive. Jamais une mesure prise au nom d'une situation d'exception n'a été revue une fois le climat adouci. De toute l'Europe, on nous regarde un peu abasourdi : songez qu'en Espagne, pays ultra-exposé au terrorisme de l'ETA et toute jeune démocratie, l'avocat intervient dès la première heure... ».

 

Dissensions

 

Difficile d'extraire des enseignements sur Dominique Perben des mesures qu'il a conduites dans le cadre de sa fonction ministérielle. « Ce qui correspond à un objectif politique ne correspond pas forcément à une personnalité. Conception personnelle ou traduction de la politique du gouvernent : la loi ultra-sécuritaire n'en dit pas plus sur les convictions de son auteur » résume Dominique Brault. Rien, notamment dans son passé châlonnais, témoigne d'une quelconque propension sécuritaire du Garde des Sceaux. D'aucuns, à l'image de Philippe Genin, déplorent toutefois « qu'il n'ait pas sur résister à la pression du ministère de l'Intérieur, du lobby policier, et de la foule ». Un regret d'autant plus grand que Dominique Perben entretient aujourd'hui avec les avocats une amertume, selon certains un « dédain » voire un « mépris » qu'Eric Jeantet croit susceptibles de fissurer plus profondément les relations entre le futur candidat aux municipales et la profession du droit. « Dans trois ans, les avocats auront toujours en tête la loi Perben... ». « Le Garde des Sceaux s'estime trahi par les avocats : mais n'est-ce-pas plutôt sa majorité qui l'a trompé ? » questionne de son côté Philippe Genin.
« Son bilan de ministre n'apparaît pas pour l'instant constituer un levier pertinent dans le cadre de son implantation lyonnaise. Il n'est pas non plus un handicap » poursuit Eric Jeantet. L'assemblée générale de la Conférence des Bâtonniers, qui s'est tenue à Paris fin janvier, fut glaciale : « Pas un applaudissement pour Dominique Perben ». La politisation du débat et son exploitation médiatique par l'opposition avaient affecté la lisibilité des revendications et la colère des barreaux en dissuadant une partie de leurs rangs de s'engager ostensiblement. Mais au quotidien dans les puissants réseaux de l'aéropage judiciaire, puis dans l'isoloir, se souviendront-ils de Perben 2 ?

 

Une logique financière incompatible ?

 

Reste une profonde inquiétude chez les professionnels de la magistrature, distincte de la loi Perben 2  et « heureusement » repoussée à l'automne prochain : le dispositif de la « rémunération au mérite ». L'exercice de la justice peut-il s'accommoder d'une logique « d'obligation de résultats » et d'une rétribution corrélative ? La difficulté d'objectiviser les critères d'évaluation, la diversité des métiers de la magistrature soumis à autant de particularismes, les risques de dérive de notation « à la tête du client », les dangers d'empoisonner une profession dont la salubrité réclame une déconnection de considérations mercantiles, soulèvent une hostilité générale. L'imposition d'une mécanique quantitative antinomique de l'exercice qualitatif de la profession menace de déshumaniser la relation entre le magistrat et le citoyen, qu'il soit victime ou coupable. « Nous faisons un travail de l'humain. Souvent, l'affaire représente chez notre interlocuteur celle de toute sa vie. Aurons-nous d'autre choix, demain, que de la bâcler ? » s'interroge Pierre Laroque, juge d'instance au TGI de Lyon. « Et si les politiques veulent raisonner comptablement, savent-ils que les jugements à la hâte vont se solder par autant de pouvoirs en appels et grever à la fois les budgets et le fonctionnement judiciaires ? Une justice mal rendue, et c'est toute l'institution judiciaire qui va ensuite le payer ».

 


Article 4

Bilan économique à Chalon-sur-Saône
Le bon point

Dominique Perben est arrivé en 1983 dans un territoire de Chalon-sur-Saône meurtri. Vingt ans plus tard, sa politique de reconversion et de diversification industrielles est saluée. La prééminence de l'usine Kodak, dont les 5 000 emplois directs et indirects sont suspendus aux décisions du siège américain, maintient toutefois le tissu socio-économique dans une préoccupante servitude.

Chalon-sur-Saône. « Il y a un phénomène Perben ». Le dithyrambe n'émane pas d'un affidé du Garde des Sceaux. C'est Christophe Sirugue qui le confie. Chef du groupe d'opposition socialiste à la mairie de Chalon-sur-Saône et nouveau président du Conseil général de Saône-et-Loire... Elu en 1983 avec une centaine de voix d'avance, le « parachuté » Dominique Perben devait son succès étriqué à l'impréparation de l'équipe sortante, au climat cataclysmique provoqué par l'enterrement programmé du site local de Creusot-Loire, et débarquait dans un bastion enraciné dans cinquante-sept années ininterrompues de gestion de gauche. Un contexte d'opportunisme et un environnement politique hostile qui auguraient mal de la pérennité de son mandat. Dix-huit ans plus tard, il remportait son quatrième mandat dès le premier tour.
L'une des clés de cette trajectoire presque impeccable - toutefois perturbée par l'affront de son échec à la présidence de la région Bourgogne, en 1986, ourdi par son propre camp - réside dans un bilan « économique » plébiscité, « d'autant plus remarquable », assure Bertrand Gauvain, président du Medef de Saône-et-Loire (officiellement 400 entreprises adhérentes), que le cursus de cet énarque ne le prédisposait ps à faire de ces enjeux une priorité. « Il avait compris que le développement de la vielle passait par celui du tissu économique. Une idée à l'époque peu en vogue ». Mais essentielle pour capitaliser sur une géographie à la fois enviée - le long du corridor de la Saône et de l'autoroute A6 - et piégeuse - « il est difficile d'exister économique entre Dijon et Lyon » confesse Jean-Pierre Bouvet, vice-président de la communauté d'agglomération Chalon Val de Bourgogne (38 communes) -.
Première mesure, le nouveau maire lance l'Agence pour le Développement Economique pour la Région de Chalon-sur-Saône (ADERC), aujourd'hui greffée à la communauté d'agglomération. Chargée d'examiner la situation et de prospecter de nouvelles entreprises, elle est doté de 905 K€ de budget, de huit salariés, et énonce vingt ans plus tard la création de 8 200 emplois. Son action apparaît d'autant plus utile que celle de la Chambre de Commerce et D'industrie éveille plutôt les quolibets  pratiques « autocratiques », légitimité rognée, salon de « notables incompétents »... D'aucuns s'étonnent néanmoins que les organisations patronales soient exclues du fonctionnement de l'ADERC et, selon leurs représentants, « rarement » sollicitées.

 

Cité de l'image

 

Héritant d'un creuset industriel embastillé dans le monosecteur de la métallurgie, la ville a ainsi élargi son activité aux pôles de la plasturgie (environ 2 500 emplois), de l'emballage, de la logistique (en créant une zone d'activité et un IUT ad hoc), ou de la grande distribution (Carrefour, Géant Leclerc). Vezio Cossio, directeur de l'ADERC, insiste sur l'édification du parc d'activité du Val de Bourgogne, étendu sur 65 hectares, dont la moitié a été acquise par la société PRD engagée à construire 22 000 m2 de bâtiments logistiques. « Le premier locataire, la société Bacou, doit prochainement y installer une centaine d'emplois ».
Cette reconversion du tissu socio-économique s'est également portée sur la promotion du commerce - 1 100 enregistrements au registre, plus de 700 enseignes dans le centre ville -, une attractivité culturelle accrue, la promotion nationale du club de basket-ball (en Pro A), le développement du tourisme fluvial, l'extension du réseau routier, la construction de belles infrastructures (Conservatoire de musique et de dans, parkings), et l'émergence d'un réseau tertiaire de petites PME, toutefois encore insuffisant.
Christophe Sirugue concède que l'actuel ministre de la justice a régénéré l'image de la vielle, structuré son architecture administrative, modernisé une municipalité besogneuse, redessiné le centre-ville « avec succès », et multiplié les initiatives « marquantes ». En attendant le « feu d'artifice », qui tarde toutefois à briller dans le ciel chalonnais : la métamorphose de la Sucrière. La réhabilitation de ce quartier vétuste, baptisé Nicéphore Cité, capitalise sur l'histoire de la ville, berceau de la photographie, et sera dédiée à un pôle « image et son » où cohabiteront enseignement (IUT, Ensam), recherche, industrie, transfert de technologies, mais aussi logements, hôtel... Longtemps ensablé, cet enjeu stratégique semble happé par une nouvelle dynamique que l'inauguration de Nicéphore Labs, un conglomérat de structure d'expérimentation, est appelé à concrétiser d'ici à l'automne. Jean Vient, président d'une des sociétés partenaires et de la CGPME locale (210 adhérents annoncés), tempère les ardeurs des officiels. « L'avenir de ce pôle est conditionné aux financements privés qui devront prendre le relais des investissements publics français et européens, et à la bonne coopération entre toutes les institutions impliquées ; c'est loin d'être assuré ».

 

Le spectre Kodak

 

Les opposants de Dominique Perben énumèrent des critiques : dépérissement des commerces en périphérie, construction conflictuelle du nouvel hôpital, élévation « inconsidérée » du prix de l'immobilier et des logements sociaux qui déportent les couches populaires loin du centre-ville, dégradation environnementale de la zone industrielle nord - « au point que les entreprises sont découragées de s'y installer » déplore Christophe Sirugue -... « Toutefois, le bilan économique est globalement satisfaisant » renchérit-on à l'union départementale CFDT. Pourtant, la situation ou l'histoire professionnelles des « camarades » qui entourent la secrétaire générale, Sylvie Muretta, témoigne de la grande fragilité du terreau industriel. Emmanuel Chevalier fut délégué syndical de Ravensburger, dont l'implantation, célébrée à grands renforts médiatiques, généra une centaine d'emplois abruptement supprimés... à peine cinq ans plus tard. Philippe Sicard est salarié de la Société française Gardyer, filiale de Schneider Electric, dont les 500 emplois de production pourraient ne pas résister à la prochaine délocalisation vers Grenoble des cent postes du bureau d'études.
Quant à Auguste Chantaloup, l'entreprise dont il est le délégué syndical cristallise les pires affres : Kodak et ses 2 000 salariés, ses centaines d'intérimaires, et les 3 000 emplois qu'il a ramifiés chez les sous-traitants locaux, poursuit l'érosion régulière de ses effectifs. L'usine ne sera pas épargnée par le plan de réduction de 15 000 postes décidé par le groupe américain, prisonnier du retard accumulé dans le domaine du numérique. Quel est l'avenir du site châlonnais, l'un des touts premiers employeurs Bourguignons, dont les métiers demeurent concentrés sur l'argentique, certes toujours essentiel - imageries médicale et industrielle, copie de films, papier - mais que pourrait sceller une réorientation stratégique décidée au siège de Rochester ? « Les engagements de la direction en vont pas au-delà de 2004 » s'inquiète Auguste Chantaloup - la direction n'a pas souhaité répondre à nos questions -. Et dans le concert de désindustrialisation et des délocalisations sauvages, parfois irrationnelles, qui assombrissent l'Europe occidentale, l'investissement conséquent décidé en 2003 pour moderniser l'établissement ne s'érige pas en rempart imperméable. Dominique Perben a-t-il tout mis en œuvre ? « C'est aux élus politiques d'aller au-devant des dirigeants de Kodak et d'entendre leur position. Que je sache, rien n'a été fait » regrette Jean Vient.

 

Retour à l'anonymat

 

Le « cas » Kodak exhume le spectre Creusot-Loire, qui a définitivement innervé la mémoire de chaque Châlonnais, et illustre une implacable réalité : la friabilité de la typologie locale. Polarisée sur quelques entreprises phares - outre Kodak : Areva/Framatome, la constellation Saint-Gobain, Philips... - Mais désertée par les sièges sociaux et les centres décisionnels, cette configuration avait longtemps servi de tremplin local et demeure encore utile pour favoriser la « tertiarisation » du tissu. Toutefois, comme le précise un commerçant fidèle partisan de l'ex-maire, « miser autant sur Kodak ou Saint-Gobain constitue un risque énorme ».
Cette servitude avait convaincu Dominique Perben d'engager la reconversion dans la diversification, tout en maintenant la dynamique d'arborescence autour de cette poignée de fleurons industriels. Mais la course contre la montre est loin d'être gagnée. Et son départ exacerbe les peurs dans les milieux économiques ; sa posture nationale, l'attractivité naturelle qu'il exerçait auprès des pouvoirs publics, et son éclairage médiatique s'évanouissent. Le rayonnement de ses « poulains », Michel Allex à la ville et Dominique Juillot à la communauté d'agglomération, ne dépasse pas les clôtures des territoires qu'ils administrent. Longtemps accrochés aux réseaux de leur édile, les décideurs redoutent le retour de l'anonymat, synonyme de lente marginalisation. « Dominique Perben avait réussi à rassembler les élus de tous bords au nom d'un enjeu commun : le développement. Ses successeurs ont pour atout d'être tous deux des acteurs économiques - Michel Allex, Meilleur Ouvrier de France, est pâtissier-chocolatier ; Dominique Juillot dirige une scierie et préside le club de basket-ball - ; mais sera-ce suffisant pour assurer la même mobilisation ? » s'interroge Jean Vient.


Article 5

Bilan politique et analyse de la méthode
L'omniprésent

A Chalon-sur-Saône, il est parvenu à reconstruire puis à unir la droite locale, au prix d'une stratégie de quadrillage dont l'opposition, Arnaud Montebourg en tête, fustige les « dérapages démocratiques ». De nouveau isolée depuis les récentes élections, la majorité municipale et communautaire, désormais bicéphale, survivra-t-elle au départ de son chef d'orchestre ?

Chalon-sur-Saône. « Vous aurez du mal à entendre des discours libres. La politique est celle de la table rase : on écarte les têtes qui dépassent », prévient le consultant d'un cabinet d'expertise parisien prestataire de la Communauté d'agglomération. Vingt années d'administration local apprennent à cerner correctement le « style » Perben. Et la « méthode », qu'il a instaurée ans ce territoire chalonnais feutré, rétif aux esclandres, capitonné dans son effacement. Le style ? « Le gendre idéal » résume un syndicaliste. Policé, déterminé. « Très ambitieux mais calme ». Quêteur de consensus mais entier. Parfois froid et distant. « Malgré ces dispositions humaines pas toujours favorables, il est parvenu à fédérer, et même à convaincre des membres de son opposition. C'est là sa première qualité : la stratégie » précise un journaliste local, réputé pour sa fine connaissance du Garde des Sceaux.
Quant à la méthode, son auscultation révèle une certaine unanimité, quels que soient les témoins - économique, institutionnel, syndical - ou les sympathies politiques questionnés : « quadrillage » des principaux rouages décisionnels, « verrouillage », « noyautage » des associations... d'une « main de fer ». « C'est une prise de contrôle » reconnaît Jean Vient, chef d'entreprise et président de la CGPME locale. « Maisons de quartiers, centres sociaux, structures culturelles, sportives... tout passe sous sa coupe » complètement le député socialiste Arnaud Montebourg et la secrétaire départementale de la CFDT. « La méthode de la pieuvre » ose Christophe Sirugue, chef de l'opposition socialiste à la municipalité et nouveau résident du Conseil général de Saône-et-Loire. « Dès son élection, il a dégommé les gens en place et a nommé des proches dans toutes les instances névralgiques. Il a vampirisé ces structures sans état d'âme ».  L'éviction il y a quelques mois des deux directeurs du festival « Chalon dans la rue », d'obédience politique divergente de celle du maire, a marqué. « Mais, pour gouverner les coudées franches, avait-il d'autre choix après que la gauche eut prospéré aux mêmes endroits depuis soixante ans ? » réplique un rédacteur du Journal de Saône-et-Loire.

 

Pressions

 

Christophe Sirugue affirme que « deux patrons », intéressés de participer à sa liste aux dernières élections municipales, ont renoncé, « effrayés » des répercussions sur leurs entreprises ) leurs refus de témoigner n'a pas permis de vérifier l'information -. Daniel Galland, maire de Cergy et conseiller communautaire, stigmatise « l'inexistence » du débat démocratique. « Dominique Perben a recouru à des pratiques de chantage pour « retourner » des élus de gauche ou les convaincre de participer à l'exécutif de la Communauté d'agglomération. Et le conseil communautaire est devenu une vraie chambre d'enregistrement : 45 délibérations en deux heures ! Où est la confrontation ? ».
Pour « preuves » de ces méthodes « anti-démocratiques », les détracteurs de Dominique Perben évoquent les « manœuvres » qui ont finalement permis l'agrégation de dix nouvelles communes à la Communauté d'agglomération après que l'assemblée l'eut une première fois refusée. Parmi ces nouveaux entrants, Mercurey, dont le maire Dominique Juillot, par ailleurs suppléant parlementaire et dauphin désigné de Dominique Perben, a aussitôt été élu président... « Dans ce contexte où les places de représentation nous sont accordées au compte-gouttes, il est difficile d'exister et de se faire entendre. Le travail de sape de l'équipe municipale a fonctionné au-delà de ses espérances : même une partie de notre électorat s'est laissée convaincre et nous a quitté » poursuit Christophe Sirugue, dont la fonction de directeur de la communication de la ville du Creusot interroge sur son avenir chalonnais.

 

Gauche désunie

 

Cette désertion des troupes d'opposition, d'aucuns ne manquent pas d'y voir la « juste récompense » du « bon » travail municipal. Elle a pour autre origine les divorces qui infectent l'histoire récente du parti socialiste et fracturent son unité. L'irruption de l'iconoclaste Arnaud Montebourg au rang de député puis de secrétaire de la fédération départementale - à la place de Christophe Sirugue - a inspiré le rejet d'une partie des militants, agacés par son radicalisme et son combat oppositionnel à François Hollande, exaspérés par ses pratiques « brutales » qui ont provoqué l'évincement du scrutin régional d'une figure emblématique, Bettina Laville, parfois lassés de ses diatribes.
Campé de l'autre côté de la Saône, dans une Bresse dans doute peu utile à ses ambitions nationales, l'avocat divise. « Il est notre principal atout, car il détruit tout autour de lui » se félicite Jean-Pierre Bouvet, vice-président de la Communauté d'agglomération. Selon un autre témoin, l'exubérant tribun a été du « pain béni pour Dominique Perben » qui a pu observer stoïquement l'affaiblissement de son opposition. Les rumeurs, insistantes, qui programment le « parachutage » d'un autre « indépendant socialiste », Bernard Kouchner, excitent d'ores et déjà la discorde. Il n'empêche, le triomphe du 28 mars dans le Département et en Région Bourgogne pourrait bien favoriser une recomposition, même artificielle, de l'unité socialiste au nom d'une quête ultime : la municipalité de Chalon-sur-Saône.

 

Au tour de la droite ?

 

Car désormais, la ville n'est plus inaccessible à la gauche. Et le récent raz-de-marée électoral décapite l'UMP chalonnaise de deux points d'appui capitaux. Jusqu'à isoler : comment se maintiendra-t-elle dans cet environnement hostile ?
La droite locale n'est plus à l'abri des mêmes sources de dissension qui lézardent le camp socialiste. Dominique Perben cimentait une famille politique qui pouvait enfin exister grâce à ses conquêtes électorales et lui faisait docilement allégeance. Il sécrète dans le sillage de son départ d'inévitables fissures, qui fêlent le monolithe patiemment édifié. La discipline qui régnait lors des conseils municipaux - « c'était la terreur » ose Arnaud Montebourg - a laissé entrevoir les premières mésententes au sein de l'UMP, désormais livrée à elle-même. Une de ses élues, censée confirmer les tensions, a finalement renoncé a témoigner : « Je ne peux pas vous parler. Car je ne veux pas m'attirer d'ennuis ». Lionel Etiévant, président de l'association de commerçants « Chalon Commerce » et fidèle partisan de l'ex-maire, reconnaît une période de « flottement, normale lorsqu'un chef de la dimension de Perben s'en va. La guerre de succession est ouverte ». « Le Roi parti, la vie de la cour et les rapports de force entre prétendants sont bouleversés » complètent le correspondant d'une radio nationale et un rédacteur local. « Entre journalistes, on s'est toujours amusé à compter le nombre d'allusions à « Dominique Perben », au « Garde des Sceaux » récitées par les adjoints lorsqu'ils discouraient. C'était à celui qui le citait le plus ! Désormais, Michel Allex évoque son « prédécesseur » : preuve qu'il a pris le pouvoir ».
Les prérogatives que Dominique Perben concentrait son désormais partagées entre Michel Allex à la mairie et Dominique Juillot à la Communauté d'agglomération. Le renoncement du premier - un homme de terrain dont la proximité est appréciée - à briguer la présidence de la communauté d'agglomération et sn ambition exclusivement municipale sont interprétés comme une pénurie d'envergure dont l'avenir du territoire pourrait pâtir, et tranchent avec le carriérisme et le sens politique du second ; cette bicéphalie intrigue : aujourd'hui, apparemment soudée, elle sera mise à l'épreuve par le temps, au gré d'ambitions qui ne manqueront pas de grandir et des divergences qui se font jour entre les deux institutions. « Du temps même de Perben, les relations entre les services de la Ville et de l'Agglomération étaient mauvaises. Jusqu'à préférer torpiller des projets pour ne pas servir l'intérêt de l'autre » assure le représentant d'un cabinet parisien.

 

Reconnaissance

 

La vacance provoquée par le départ du ministre de la justice et, de l'avis de rédactions locales, « insuffisamment préparée », a libéré les volontés et généré la confusion. « Chacun veut sa part du gâteau ». Quelques uns affirment qu'elle désuni et, et même anarchise l'ordre qui régnait. Une configuration clanique qui dresse les raisonnables contre les affamés, les « Perbéniens » fidèles contre les opportunistes, les optimistes contre les résignés convaincus que « Chalon sans Perben est foutu »... Cela respectueusement du climat et de l'esprit chalonnais : pudiquement. Discrètement. « Je n'imaginais pas que la majorité se fissurerait aussi rapidement » claironne Christophe Sirugue. Un fin observateur corrige et souligne les vertus de l'émancipation : « Cette libération des énergies peut être positive car elle dessert l'étau et autorise l'émergence de nouvelles compétences, notamment de quadragénaires ».
Contrairement à son coreligionnaire Philippe Douste-Blazy, dont la migration de Lourdes vers Toulouse avait été encaissée comme une trahison par une partie de ses administrés pyrénéens, le départ de Dominique Perben ne grave pas d'amertume particulière chez les Chalonnais. « C'est un non-événement » observe-t-on en substance.
Ces derniers, sensibilisés depuis longtemps au futur redéploiement géographique de leur édile, ont admis que sa stature nationale étouffait dans la petit ville bourguignonne et méritait un terrain de chasse plus prestigieux. « Il a été un tremplin pour Chalon. Chalon lui est reconnaissant » indique Sylvie Muretta, secrétaire départementale de la CFDT.

 


Article 6

L'embarrassante affaire Aubert

L'affaire fait grand bruit à Chalon-sur-Saône. Et, très curieusement, n'a toujours pas franchi les frontières de la ville. Le 26 août 2003, Maitre Jean-Yves Aubert, liquidateur judiciaire au tribunal de commerce local, est mis en examen pour « abus de confiance aggravé » depuis complété de « malversation ». Il est soupçonné d'avoir détourné 320 000 euros. Dans l'attente des prochaines expertises, qui pourraient déboucher sur des missions rogatoires à l'étranger, l'ampleur de détournement pourrait être considérable. Déjà 4 millions d'euros seraient « manquants ». D'autres, à l'instar du député Arnaud Montebourg, évoquent des sommes avoisinant les 6 millions d'euros. Si 800 dossiers seraient potentiellement concernés, seule une infime partie fait pour l'instant l'objet de plaintes : les créanciers ignorant s'ils ont été floués, et le liquidateur ayant exigé des débiteurs des remboursements en liquide - selon les plaignants ), les pistes sont brouillées et entravent l'investigation. Une association de victimes est en phase de constitution, pilotée par Gabrielle Dumaret. Elle était associée d'une société, Mach 2, dont Maitre Aubert procéda à la revente quelque s mois après le dépôt de bilan. « Je n'ai jamais revu les 120 000 Francs de ma créance ».
Sous l'impulsion d'Arnaud Montebourg, le dossier a pris une configuration très politique. Figurant parmi les plus importants contribuables du département - selon plusieurs sources recoupées, entre 450 000 et 600 000 euros d'impôts par an -, Jean-Yves Aubert avait été décoré quelques mois plus tôt de la Légion d'honneur par Dominique Perben. Surtout il avait occupé le poste de trésorier du RPR et le tribunal de commerce, qui l'alimentait des dossiers des entreprises en difficulté, est présidé par André Gentien, conseiller général UMP de Buxy et ancien suppléant à l'Assemblée nationale de Dominique Perben. Il n'en fallait pas plus pour que le tempétueux avocat exploite l'affaire à grands renforts de tracts et meetings. En attendant, l'enquête devra s'atteler à déterminer la destination des détournements : s'il y a eu « enrichissement personnel », Jean-Yves Aubert a-t-il été le seul à en profiter ?
L'instruction est en cours. Un magistrat lyonnais se montre circonspect : « le Procureur de Chalon prend ses ordres du Procureur de la Cour d'Appel de Dijon, lequel prend ses ordres du ministère... la boucle est-elle bouclée ». Le député de Bresse affirme que Jean-Yves Aubert a échappé au mandat de dépôt « par miracle. La police elle-même en a estimé les raisons « troubles » ». Et il estime que cette affaire « démontre » l'inféodation du système judiciaire au pouvoir politique local. « Tribunal de commerce, liquidateurs, huissiers... tout est asservi à Dominique Perben. On ne trouve même plus d'avocat pour défendre ses opposants. Ce fonctionnement est devenu un instrument politique et de contrôle de la ville. ». De son côté, Gabrielle Dumaret cris son « dégout. J'ai passé ma vie à travailler. Aujourd'hui je vis avec 418 euros mensuels. Je dois rembourser une dette à hauteur de 25 euros par mois pendant 89 mois. Pendant ce temps, Maitre Aubert court toujours. Il n'est même pas emprisonné. C'est de sa faute si j'en suis là. Ce système à la fois m'écoeure et me décourage. Il est celui d'un escroc protégé par un Ministre ».


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