Acies : histoire mouvementée du spécialiste du crédit impôt recherche

Le crédit impôt recherche a fait sa réputation et sa richesse. Longtemps, Acies Consulting Group a dominé son monde, celui de conseiller les grands groupes à disposer de cette aide fiscale visant à soutenir et encourager, en leur sein, la recherche et le développement. Mais la reconfiguration du marché, des choix stratégiques hasardeux, et un climat social interne délétère auraient pu lui causer sa chute. Aujourd'hui, « le passé derrière elle », la société de Patrick Duvarry s'est réorganisée et diversifiée, bien décidée à défendre à nouveau son pré carré.
Acies a longtemps conseillé des grands groupes du Cac 40 pour leur crédit impôt recherche.

Pionnière dans le conseil aux entreprises sur le dispositif du crédit impôt recherche, la société lyonnaise Acies Consulting Group a longtemps dominé son marché, de ses débuts dans ce domaine en 1994 à il y a encore cinq ans.

L'une des sociétés les plus rentables jusqu'en 2009

Les plus grands groupes français comptaient parmi ses clients dont « un tiers inscrit au CAC 40 ». Très vite, en 1999, elle est devenue une référence et signait des contrats à tour de bras. L'argent rentrait dans ses caisses et les marges (très) confortables ont fait d'elle l'une des sociétés les plus rentables, classée dans le top 5 des 100 entreprises les plus profitables de France - jusqu'en 2009, occupant même la seconde place en 2008 avec une rentabilité de 47,79 %. 2008, l'année de son apogée avec des factures d'honoraires pouvant dépasser les sept chiffres, faisant alors sa richesse, celle de ses salariés et de ses dirigeants.

Une période faste - Acies grandit très vite, dépassant le seuil des 50 salariés pour atteindre celui de 130 -, dont auront aussi profité les quelques autres acteurs du CIR, avant que le marché ne soit contrarié par une réforme gouvernementale visant à ouvrir plus largement le dispositif aux entreprises - PME et ETI entre autres. Et dans le même temps, reconfigure celui des sociétés de conseils.

Dès lors, plusieurs cabinets se lanceront dans le très lucratif marché du CIR, pratiquant des prix compétitifs, mais affaiblissant peu à peu l'historique Acies, jusqu'à ce qu'elle voit dès la fin 2010, s'éroder son chiffre d'affaires et ses résultats nets.

Affaire d'espionnage

Il n'en aura donc pas fallu davantage pour déstabiliser la société, dirigée d'une main de maître par Patrick Duvarry, à sa tête depuis 1992, déjà infestée par des turbulences internes ayant éclaté à partir de 2005.

« Parce que Patrick Duvarry a nommé des personnes qui ont réussi à abuser de sa confiance. C'est là que tout a commencé. Il est devenu méfiant et a changé de comportement alors que c'était un homme respectable et respecté par ses pairs », estime un salarié parti de la société depuis.

De cette situation naîtra l'affaire d'espionnage d'anciens salariés, dont l'une baptisée « Areva » et pour laquelle Acies sera déboutée et condamnée en avril 2009. Un épisode qui marquera l'entreprise et son dirigeant, et continue, encore aujourd'hui, de hanter ses bureaux, situés en plein cœur de Lyon, rue de la République.

Une tension interne réelle, des suspicions régulières, une attitude et des méthodes de management des directeurs successifs mises en cause et provoquant un « ras-le-bol », auront conduit à une première vague de départs d'une vingtaine de personnes en 2007.

"Turn-over important"

A ce moment, « le turn-over a été très important », soulignent plusieurs salariés. La médecine et l'inspection du travail sont fréquemment alertées par des salariés. « On se demande ce qu'elles attendent pour agir », regrette toujours l'un d'eux. Acies connaît régulièrement des litiges avec certains salariés, licenciés ou partis volontairement.

Des affaires qui se règlent devant les tribunaux - parfois à l'amiable - et portent principalement sur des heures supplémentaires impayées, des primes non versées, des licenciements sans motif voire, plus grave, sur du harcèlement moral. Des dizaines ont été jugées, d'autres sont en cours de procédure, dont une quinzaine qui doivent passer devant les Prud'hommes de Lyon, en 2016.

Des faits pour lesquels Patrick Duvarry ne souhaite plus s'exprimer, préférant « s'en remettre aux juges saisis des dossiers », pour les affaires plus récentes. Le Pdg parle en revanche volontiers du renouveau de sa société, de son déménagement prochain au Pavillon 52, bâtiment du quartier de la Confluence, et des bonnes nouvelles qu'elle enregistre depuis un an.

Parmi elles, « les nouveaux contrats signés pour un montant de 2,6 millions d'euros. Une situation jamais vue depuis 2008 ». Le plan de sauvegarde de l'emploi (PSE) entamé en novembre 2014 et finalisé en mai 2015, lui a permis de « mieux se réorganiser ». Acies Consulting Group « rebondit », « embauche à nouveau », et s'est fixée comme objectif de franchir « le cap des 18 millions d'euros de chiffre d'affaires dès 2018 » contre 13 aujourd'hui.

Mises en garde

Pourquoi écrire sur cette société reste donc une affaire sensible ? Les langues se délient difficilement, la plupart des sources préfèrent rester anonymes par « crainte d'attaques en justice ». Les mises en garde auront été nombreuses durant ces semaines d'enquête - commandée soi-disant « par la concurrence » - et dont les conséquences pourraient causer la perte d'emplois et déstabiliser la structure sortant tout juste d'un PSE. Une pétition a d'ailleurs été signée par « 92 % des salariés ».

Dès lors de nombreuses questions se posent : qui est Patrick Duvarry, féru de pétanque et « puissant » Pdg contesté pour son caractère, et se décrivant volontiers comme une personne simple, tel un « paysan de l'Ain », mais roulant tout de même en Ferrari ? Quels liens unissent Patrick Duvarry à Franck Debauge son associé et actionnaire depuis toujours ? Pourquoi ce changement brutal de climat interne faisant état d'un avant et d'un après 2005 ? Dans quelles circonstances le plan de sauvegarde de l'emploi concernant 24 personnes a-t-il été décidé alors même que les fonds propres de la société s'élevaient, fin juin 2014, à 11 millions d'euros ? Et comment expliquer, quelques mois avant cette décision, que le holding Duvarry Developpement auquel appartient Acies Consulting Group décidait d'acheter 4 000 m² de bureaux dans le quartier de la Confluence, au cœur du 2ème arrondissement de Lyon ?

De confortables honoraires

Les grands comptes signaient avec elle les yeux fermés. Total, Alstom, Areva, Seb ou encore Schneider Electric comptaient parmi ses plus gros clients.

« Nous avions peu de concurrents, rappelle Patrick Duvarry. Nous étions donc les leaders d'un marché. La situation est bien différente aujourd'hui. »

D'ailleurs « il rappelait souvent que c'était Acies qui normait le marché du crédit impôt recherche », soutient une ancienne consultante financière.

La qualité du travail rendu, le montage des dossiers participent à l'identité appréciée d'Acies. L'argent rentre dans les caisses - « les frais n'étaient pas plafonnés », remarque un ancien cadre.

C'était une époque où les honoraires journaliers facturés pouvaient atteindre « 3 500 euros ». Et Patrick Duvarry - ainsi que son associé Franck Debauge - d'engendrer de précieux dividendes (deux millions d'euros par an en moyenne).

« Le modèle économique mis en place par son dirigeant a très bien fonctionné, car il était très intelligent », souligne un salarié présent dans la société à cette période.

Manque d'adaptation

Jusqu'à l'année 2010, la société lyonnaise est à son apogée, son aura l'amène à devenir incontournable dans les médias. Franck Debauge, chargé des relations extérieures, participe au Livre blanc du Medef sur le CIR en 2009 et est très présent dans différentes commissions pour appuyer le dispositif au plus haut de l'État lorsque celui-ci est remis en cause.

Le crédit impôt recherche en tête

Mais deux ans avant, la réforme de 2008 viendra modifier substantiellement le confortable business de l'entreprise, puisque le dispositif du crédit impôt recherche se verra simplifié et renforcé. Le nombre d'entreprises utilisant le CIR passe alors de 5 000 à 20 000 entre 2007 et 2011, et profite avant tout aux PME.

Deux tiers des grands comptes

Dans le même temps, cette réforme bouleverse la configuration du marché. Les cabinets de conseil deviennent plus nombreux et se démarquent en proposant des prestations plus compétitives.

Acies dont le portefeuille clients est composé pour 2/3 de grands comptes manquera de s'adapter, et constatera, impuissante, le départ de clients à la concurrence, enfermée dans un modèle économique dépassé. L'évolution du marché faisant, les clients ont su mesurer les enjeux financiers des contrats de CIR en devenant plus vigilants sur leur terme. Un coup difficile pour l'entreprise qui voit certains marchés lui échapper et son chiffre d'affaires se déliter.

« Nous n'avons pas su entendre les demandes des clients », regrette une ancienne consultante partie au moment du plan social.

L'entreprise connait une baisse de quatre millions d'euros de son chiffre d'affaires entre les exercices 2010-2011 et 2013-2014. Époque durant laquelle les premières mesures d'économies seront prises portant notamment sur les réductions d'honoraires et se poursuivant jusqu'au récent PSE.

Une situation fragile pour la PME tant en termes d'affaires que d'image, si bien que l'entreprise se refusait d'actualiser tout chiffre portant sur ses effectifs ou résultats.

« On communique toujours sur les chiffres de ses ambitions », rappelait régulièrement son dirigeant, comme pour rassurer ses clients et rester debout face à une concurrence agressive.

Peut-être aussi pour se rassurer lui-même ?

Regarder vers l'avenir

Aujourd'hui « l'entreprise va mieux », assure-t-on. Les maux seraient soignés et Acies serait entrée dans une nouvelle dynamique. Patrick Duvarry peut compter sur son nouveau directeur général des opérations Bruno Demortière, et sur certains salariés qui entendent évoquer « seulement » l'avenir et les « bons résultats de la société » plutôt que « les vieilles histoires ».

Acies

Bruno Demortière.

« J'ai connu les deux Acies et donc sa transformation. Nous prenons enfin la bonne direction », se satisfait un salarié en poste.

Engagée dans une restructuration depuis deux ans, Acies « s'est réorganisée, en menant un plan de sauvegarde de l'emploi nécessaire pour retrouver la compétitivité en adaptant ses ressources aux besoins du marché qui a évolué ».

Elle a ainsi proposé une nouvelle offre aux ETI et PME. Aussi Acies et le cabinet d'avocats Carlara auront créé Carlacies, « l'alliance du droit et du conseil opérationnel ».

« En 2013, nous avons réfléchi à revoir notre modèle, à lui apporter un second souffle. Pour cela il a fallu tout décomposer si nous voulons atteindre 18 millions d'euros de chiffres d'affaires à trois ans, et arriver à l'objectif de 150 salariés contre 83 aujourd'hui », indique Bruno Demortière qui mènera cette réorganisation.

Le turn-over ?

« Aujourd'hui, nous n'en avons pas », annonce-t-il franchement, prenant l'exemple d'une ancienneté moyenne de 4,5 ans pour les consultants scientifiques « la plus basse du secteur ».

Les conditions de travail ?

« Très bonnes, ajoutant que tous voyagent en première classe, que le salaire est supérieur aux autres, le café est à volonté, et les bouteilles d'eau gratuites. »

24 suppressions de postes

Mais ce nouveau départ ne s'est pas fait sans craintes ni casse puisque le plan de sauvegarde de l'emploi, mis en place à l'automne dernier, concernera 24 suppressions de postes dont plus de la moitié implique des consultants financiers. Un choix « justifié » selon son directeur :

« Il est lié à un marché.  Nous étions en sur-effectif sur le métier des financiers dont le volume d'heures atteignait 930 sur 1 600  heures imputables. Il a fallu rééquilibrer. »

Le PSE, qui « n'est pas facile à vivre mais indispensable dans notre cas », reconnaît Patrick Duvarry, aura coûté à l'entreprise « 1,4 million d'euros ». Depuis février, Acies aura déjà embauché 12 nouveaux consultants scientifiques.

« Malheureusement certains mal intentionnés n'acceptent pas ce genre de décision d'aller de l'avant », regrette Philippe Portenseigne, manager commercial.

Interrogation sur Confluence

Validé par la Direccte en février 2015, le PSE s'est achevé en mai, mais a suscité des doutes chez certains puisque huit mois avant qu'il ne soit effectif, la presse dévoilait le déménagement d'Acies, début 2016, dans des locaux neufs à la Confluence. Un bâtiment, le Pavillon 52, d'une surface totale de 8 000 m² construit par le groupe Cardinal, pour le compte duquel la holding Duvarry Developpement a investi plusieurs millions d'euros pour devenir propriétaire de la moitié de l'édifice.

Acies

La structure Acies Consulting Group occupera, début 2016, « 1 400 m² », indique son directeur, et devrait reverser un confortable loyer au holding de l'entrepreneur lyonnais. « Il n'y pas de lien entre le PSE et ce déménagement », prévient Bruno Demortière.

« Jusqu'à  présent, je n'ai jamais voulu devenir propriétaire et puis, finalement nous avons commencé à y réfléchir, il y a deux à trois ans », souligne Patrick Duvarry.

Pour la société, il s'agit de travailler de manière plus confortable afin d'accueillir une entreprise qui croit à nouveau, et dans le même temps, de « réaliser des économies en divisant par deux les charges ». Un point remis en cause par le cabinet Secafi, qui, dans son audit rendu en janvier 2015 portant sur le PSE, et dont Acteurs de l'économie-La Tribune a pu prendre connaissance, estime ainsi que ces nouveaux locaux « feront augmenter les coûts récurrents de 295 000 euros en année pleine à compter d'avril 2016 ». Secafi va même jusqu'à « préconiser l'abandon de ce projet de déménagement ».

Dès lors, ce dernier reste flou pour beaucoup, surtout lorsqu'il interroge sur les travaux financés par Acies, l'an dernier, à hauteur de 400 000 euros, d'aménagement de l'un des trois étages de l'immeuble que loue actuellement l'entreprise.

Lire la suite mardi 8 septembre : Acies : Patrick Duvarry, l'énigmatique dirigeant

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