Biodistrict de Gerland : nouvelle « place to be » pour le monde de l’immuno-infectiologie ?

Déjà bien avant la crise sanitaire et le mandat des écologistes, l'ancien maire de Lyon Gérard Collomb voulait faire de ce quartier du 7e arrondissement une marque. Objectif : attirer de nouvelles entreprises de biotechnologies au sein de ce nouveau hub de la santé lyonnaise. Presque une décennie plus tard, les projets ont poussé au coeur de ce que l'on surnomme "le petit Boston lyonnais" : future Académie de l'OMS, nouveau siège de l'Anses, du CIRC ... Et le projet de nouveau Biocluster en immunologie esquisse encore une nouvelle étape pour l'écosystème local.
Parmi les grands projets qui sont en train de sortir de terre dans le Biodistrict de Gerland, figure le nouveau siège du Centre de recherche contre le cancer (CIRC) de l'OMS, qui s'apprête à être livré d'ici la fin d'année pour une ouverture prévue courant 2023.
Parmi les grands projets qui sont en train de sortir de terre dans le Biodistrict de Gerland, figure le nouveau siège du Centre de recherche contre le cancer (CIRC) de l'OMS, qui s'apprête à être livré d'ici la fin d'année pour une ouverture prévue courant 2023. (Crédits : DR)

En 2014 déjà, l'objectif était clairement affiché : celui "d'attirer davantage les biotechs". Avec une spécialisation dans les domaines du vaccin, du diagnostic et de l'immunologie.

Un peu moins de dix ans et une crise sanitaire d'ampleur mondiale plus tard, le Biodistrict de Gerland n'a pas perdu de ses ambitions. Au contraire. C'est désormais une série de projets qui arrivent à maturité et se dévoilent, au coeur d'un écosystème lyonnais déjà reconnu pour le poids de son économie dans le domaine de la santé. Avec, chose notable, l'un des rares dossiers où les différents bords politiques parviennent encore à s'accorder sur le soutien à une cause commune.

A l'époque de sa création, ce quartier, qui recoupait près de 100 hectares de foncier, avait été aménagé par l'ancien maire LREM Gérard Collomb selon une double logique : afficher la spécialisation d'un territoire, puis s'afficher sous la forme d'une marque afin de convaincre ensuite les investisseurs et les grands projets industriels ou publics.

Déjà, le Grand Lyon nourrissait le rêve de devenir l'un des principaux « clusters » mondiaux en santé et biotechnologies. Après avoir accueilli le premier pôle de compétitivité de la santé Lyonbiopôle en 2015, c'est également un Institut de Recherche Technologique en Infectiologie (IRT Bioaster), seul projet d'IRT en santé retenu par l'Etat dans le cadre des Investissements d'Avenir, qui s'y était installé en 2015.

"A l'époque, l'idée de construire un institut de recherche sur les maladies infectieuses a aboutit sur une formule inédite : étant donné que cet institut devait être branché sur les besoins industriels, il a été convenu que son pied principal serait au sein du Biodistrict à Lyon, ce qui explique que nous avons aujourd'hui 80% de nos équipes sur place, contre seulement 20% à Paris", confie Alexandre Moulin, directeur général adjoint de Bioaster.

Le Biodistrict, préfigurateur du futur Biocluster ?

Aujourd'hui, alors que la Métropole de Lyon, en charge de son foncier, nourrit officiellement toujours l'ambition "de positionner Lyon dans le top 10 mondial des sites majeurs en biotechnologies et santé". Mais elle reste cependant convaincue que c'est d'abord "la proximité permise entre les chercheurs et les entreprises de la filière de la santé reste un facteur clé d'innovation". En d'autres mots, rayonner d'abord local avant de songer à l'international.

Et le quartier pourrait même être témoin d'une nouvelle étape en ce sens, avec le projet de création d'un Biocluster en immunologie, soutenu par l'écosystème local et la Région. Un dossier a été déposé, suite à l'appel à projets lancé par l'Etat français dans le cadre du plan Innovation Santé 2030. Avec à la clé, une enveloppe qui pourrait atteindre 80 à 100 millions d'euros et venir alimenter directement la filière régionale (sur un total de 300 millions annoncés pour les trois projets de bioclusters en lice).

Les résultats ne sont pas encore connus, mais ils sont attendus de manière imminente et font du Biodistrict un élément de poids au sein du son dossier de candidature lyonnais.

Pour Franck Mouthon, président de France Biotech et Pdg de la biotech lyonnaise Theranexus, le "Biodistrict actuel est un peu le préfigurateur du futur Biocluster en projet. Car il ancre déjà clairement, et de manière légitime, l'existence d'un tissu très dense de grands industriels, PME, biotechs, acteurs académiques et professionnels du numérique dans un même lieu, et avec une masse critique qui n'a pas d'équivalent ailleurs".

Et d'ajouter : "Tout est lié puisque le vaccin, qui est une compétence historique du tissu lyonnais, est aussi un enjeu de réponse immunitaire. L'immunologie peut quant à elle avoir des implications plus larges dans les champs de la cancérologie, des maladies inflammatoires. Toutes les grandes maisons lyonnaises qui ont travaillé dans le domaine du vaccins disposent donc de compétences de pointe dans ce domaine".

De nouveaux projets dans les cartons

Il y a huit ans, le quartier regroupait déjà une cinquantaine d'entreprises d'universités et d'instituts de recherche (ENS de Lyon et université de Lyon, Inserm, ANSM, Anses...), soit près de 5.000 emplois en santé et biotechnologie, avec des acteurs de poids (dont Sanofi Pasteur, Merial, Genzyme), mais aussi des PME innovantes (Aguettant, Episkin, Genoway, Imaxio...), ainsi que le premier pôle de santé français, Lyonbiopôle.

Aujourd'hui, ils sont près de 70, et le décompte des emplois n'est pas encore finalisé, "mais il est en croissance", souligne à La Tribune la cheffe de projet du Biodistrict pour le Grand Lyon, Clémence Labat. "Il s'agit d'un écosystème très équilibré qui regroupe à la fois de grands  groupes, des forces académiques, mais aussi des biotechs ou des PME".

"Lorsqu'on se promène dans la rue, on rencontre une concentration exceptionnelle d'acteurs du monde de la santé, avec le seul laboratoire civil à manipuler des pathogènes de niveau 4 avec Jean Mérieux, le centre international du cancer de l'OMS, ou encore le siège français de Boehringer Ingelheim, qui est moins connu en France mais qui représente tout de même la 16e entreprise pharmaceutique au monde", souligne à son tour Alexandre Moulin.

"Sur la scène nationale, il n'existe pas beaucoup de secteurs en France où l'on retrouve une telle concentration entre de grands et plus petits industriels, PME et biotechs, à l'exception peut être de Saclay, qui est plus orienté vers le tissu académique. Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si la direction des Hospices Civils de Lyon (HCL) vient installer également à Gerland sa direction de l'innovation", concède Philippe Sans, président de Lyonbiopôle et directeur général délégué de l'Institut Mérieux.

Un succès qui se confirme par les m2

Un succès et une adhésion des acteurs de la santé, qui se mesure dans les m2 encore disponibles : car côté foncier, la réserve se réduit même si la Métropole ne possède pas de décompte chiffré à ce stade, mais surtout, "les candidats à l'implantation continuent d'affluer auprès de la métropole", confirme Clémence Labat, qui doit jongler entre projets d'implantations et rénovation urbaine à compléter.

C'est ici que la future Académie de formation de l'OMS, dont l'implantation a été soutenue directement par Emmanuel Macron, a décidé de poser ses valises. Ou encore que l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses) vient de poser la première pierre d'un bâtiment commun avec l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (Ansm).

Avec à la clé, un investissement de près de 33 millions d'euros (dont 12 millions d'euros financés par la Métropole de Lyon, la Ville de Lyon prendra en charge les frais de démolition des bâtiments existants et de dépollution du site, soit 2 millions d'euros) pour une livraison courant 2024.

Autre projet porté par l'OMS : le déménagement du Centre international de recherche sur le cancer (Circ), créé en 1972, qui se prépare à quitter d'ici la fin d'année 2022 le quartier de Grange-Blanche pour le Biodistrict de Gerland. Avec là encore, un projet d'ampleur (60,6 millions d'euros avec un concours Etat, Région, Métropole et Ville de Lyon) et l'ambition de renforcer les collaborations avec les acteurs locaux et d'y accueillir ses 300 salariés sur quelques 15.200 m2.

Avec une autre contrepartie du succès du quartier qui se profile aussi : "Depuis notre déménagement ici, nous passons notre temps à gérer des questions de voisinage de chantier, de poussière et de vibrations aussi. Mais c'est plutôt bon signe, ça reste de bons problèmes", confirme le directeur général adjoint de l'IRT Bioaster.

Un point d'équilibre dans un filière mondialisée

Pour les acteurs présents sur place, l'attractivité comme le rayonnement du quartier n'est plus à prouver ou presque. Pour Alexandre Moulin, cette anecdote l'atteste : "nous avons été en contact avec un patron étranger du groupe qui réfléchissait à développer une implantation sur différentes zones, et après une courte visite ici, il en a conclu que s'il devait s'installer à Lyon, ce serait forcément à Gerland compte-tenu de la densité d'acteurs déjà présents sur place, qui permet de compter à la fois sur un effet de masse et de visibilité".

Selon Franck Mouthon, l'ambition de positionner Gerland dans le top 10 des destinations mondiales de la santé ne doit pas être revue à la baisse, compte-tenu de la densité et de la taille de l'écosystème présent :

"Tout ce qui peut permettre de montrer que l'excellence médicale se concentre à un endroit est une bonne chose. Je ne sais pas si cela est attribuable directement au Biodistrict, mais c'est certainement une zone qui est vue par les investisseurs étrangers comme étant un endroit où il se passe quelque chose. Et l'on sait bien que plus les investisseurs viennent tôt, et plus on est en mesure de créer un cercle vertueux pour l'économie de la filière".

Et si le Biodistrict représentait finalement pour cette industrie "un point d'équilibre", dans un milieu où les acteurs ont d'une part conscience de la nécessité de jouer une compétition mondiale, mais en même temps de savoir se rassembler lorsque cela est nécessaire en local ?

C'est en tous cas ce que défendent les acteurs interrogés sur place, avec un mélange entre une forme de compétition et de coopération, souvent cité comme une force de cet écosystème lyonnais, héritage d'une longue histoire commune, issue des laboratoires Pasteur, Sanofi et Mérieux.

Ces échanges auront permis de nourrir des projets collaboratifs dont une part n'auraient, selon ses instigateurs, pas pu s'implanter réellement ailleurs : "C'est par exemple le cas du Hub VPH, une initiative publique-privée impulsée par 9 acteurs majeurs de l'écosystème de santé régionaux qui vise à établir un centre de référence de dimension mondiale en santé publique vétérinaire. Ou plus récemment du projet Covid AURA, dont le rayonnement est régional mais dont le barycentre est situé à Lyon, et notamment à Gerland où il n'est pas compliqué de se retrouver", illustre Alexandre Moulin.

Et l'étape d'après ?

Reste que demain, l'enjeu de Gerland pourrait être aussi celui de sa croissance : car après avoir attiré des centaines de nouveaux salariés avec l'implantation de nouvelles structures, le quartier devra à la fois continuer à grandir, tout en veillant à offrir toujours une meilleure qualité de vie aux jeunes talents, susceptibles d'y trouver non seulement une première, voire une seconde partie de carrière.

"Il existe aujourd'hui sur place une dynamique de création d'entreprise et de projets très forte au sein du Biodistrict. On voit d'ailleurs qu'on a opéré un virage, au cours des dernières années, avec l'arrivée de nouvelles générations d'entrepreneurs qui sont aujourd'hui montés en compétences", constate Franck Mouthon.

Pour favoriser l'accueil de ces nouveaux arrivants, la Métropole a elle-même planché sur un renforcement des mobilités actives, avec l'arrivée du T6 et prochainement du T10 à venir, et plus largement, sur une nouvelle politique de réaménagement urbain et paysager, comprenant entre autres, une connexion au parc de Gerland ainsi que la construction de nouveaux logements pour les nouveaux arrivants.

"Nous travaillons également à une connexion de toutes les nouveaux projets d'implantations au réseau de chaleur de la Métropole, qui comprend déjà un incinérateur et une chaufferie biomasse installés à Gerland, ainsi qu'une centrale de production de froid récemment inaugurée aux abords du Rhône. Cela peut représenter un élément déterminant pour l'accueil de ce type d'industries", évoque Clémence Labat, qui rappelle que le prochain chantier que s'est fixé le Grand Lyon sera d'accompagner la décarbonation des industries de la santé présentes au sein du quartier.

Avec comme prochaines étapes aussi, la nécessité, pour les biotechs et PME installées, de trouver à la fois du foncier mais aussi des équipements de recherche pointus, pouvant parfois être mutualisés pour continuer à se déployer.

A ce titre, bien que des projets soient déjà portés par la sphère privée sur des sites plus à l'Est de la Métropole, comme à Grange Blanche, le sujet des infrastructures reviendrait fréquemment au sein des adhérents de Lyonbiopôle :

"Cela va devenir un enjeu, à mesure que l'on accueille de nouvelles pépites qui se développent", concède Philippe Sans. "On observe, depuis la période Covid, une forme d'appel d'air très fort concernant le développement de surfaces additionnelles de laboratoires".

Et d'ajouter : "Nous pouvons accueillir les startups dans leur phase de développement, mais cela devient plus compliqué lorsqu'elles passent le cap supérieur".

Un enjeu abondé également par le président de France Biotech, qui concède que l'un des grands sujets pour soutenir l'attractivité et le développement du territoire lyonnais sera "de pouvoir continuer à offrir des surfaces de laboratoires équipés, qui permettent aux entreprises de la filière de diminuer les risques. C'est ce que la Wallonie a déjà mis en place et dont nous pourrions nous inspirer".

"Il existe probablement un nouveau schéma de développement à développer sur cette zone, compte-tenu de la rareté du foncier disponible, afin de construire la vision des années à venir", ajoute Philippe Sans. Avec par exemple, un point d'interrogation qui demeure sur l'avenir de l'ancien site de Boehringer Ingelheim.

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