Raymond Le Moign (HCL) : "Ce vaccin est la meilleure nouvelle que nous ayons eue"

ENTRETIEN. Aux Hospices Civils de Lyon (HCL), le second CHU de France, le coup d'envoi de la campagne de vaccination a démarré depuis plusieurs jours. Son directeur général Raymond Le Moign, l'ex-directeur de cabinet des ministres Agnès Buzyn et Olivier Véran et ancien dg du CHU de Toulouse, nous livre son premier bilan aux avant-postes d’une campagne inédite, où il sait déjà qu’il lui faudra redoubler d’efforts pour expliquer et convaincre pour contrer "l'hésitation vaccinale".
Le directeur général des Hospices civils de Lyon, Raymond Le Moign, ainsi que l'ensemble des membres du directoire des HCL, se sont fait vacciner cette semaine sous l'oeil des caméras pour envoyer un message fort.
Le directeur général des Hospices civils de Lyon, Raymond Le Moign, ainsi que l'ensemble des membres du directoire des HCL, se sont fait vacciner cette semaine sous l'oeil des caméras pour envoyer un message fort. (Crédits : DR/HCL)

LA TRIBUNE AUVERGNE RHONE-ALPES - La campagne vaccinale pour lutter contre le Covid-19 se met doucement en branle depuis quelques semaines sur la scène nationale. Comment un établissement comme les Hospices Civils de Lyon,  second CHU de France qui regroupe au total quatorze établissements de santé (dont sept sites spécialisés et quatre structures gériatriques) vient s'inscrire dans cette stratégie ? Quel sera votre rôle au cours des prochaines semaines, alors que vous venez vous-même de prendre les commandes de cet établissement en juin dernier ?

RAYMOND LE MOIGN  - "Il faut tout d'abord rappeler que cette campagne nationale dépend de contraintes majeures, que sont les conditions de stockage et la spécificité de la chaîne d'approvisionnement des vaccins, qui requiert une chaîne du froid très particulière. Celle-ci ne peut être assurée que par de grandes structures régionales déjà équipées d'infrastructures, et qui ont ensuite la charge et la responsabilité d'irriguer et de réapprovisionner certains points sur le territoire comme la nôtre.

Ces contraintes devraient progressivement s'alléger, à mesure que d'autres vaccins deviendront disponibles sous d'autres modalités de conservation. Mais pour l'instant, nous sommes également contraints par le nombre de doses de vaccins mobilisables au démarrage de cette campagne, car les chaînes de production de Pfizer, qui demeure le seul vaccin autorisé à ce stade en France, présentent une capacité limitée. Le nombre de doses distribuables n'est pas extensible, et doivent donc être adressées à des publics prioritaires, qui ont été définis par la Haute Autorité de Santé (HAS)".

Vous avez donné le coup d'envoi de votre propre campagne vaccinale le 28 décembre dernier au sein de vos établissements : comment va s'échelonner concrètement cette campagne, et avec quels publics cibles ?

"On va d'abord retrouver une population de personnes âgées, qui se trouvent en établissements de santé ou en USLD (unités de soins de longue durée), et pour laquelle nous devons assurer un approvisionnement en vaccins pour le compte de différents établissements, comme les centres hospitaliers d'Albigny, de Sainte Foy les Lyon ou de Neuville sur Saône. Nous vaccinons également nos propres patients des unités de soins de longue durée.

Les HCL vont aussi déléguer des doses de vaccins aux établissements de santé qui souhaitent vacciner eux-mêmes leur personnel, dès lors qu'ils ont plus de 50 ans ou présentent des facteurs de comorbidité : c'est par exemple déjà le cas pour le Centre Lyon Bérard, ou encore du Centre Hospitalier Le Vinatier.

Nous aurons également la possibilité de vacciner notre propre personnel sur ces mêmes critères d'âge ou de prédisposition à des risques graves, ce qui représente environ 9.000 salariés sur les 23.000 agents que nous employons.

Enfin, les professionnels de santé libéraux peuvent également bénéficier de cette campagne vaccinale en se rendant dans les plateaux de consultation qui sont mis en place au sein des HCL, en collaboration avec les URPS de santé. Nous avons mis en place des systèmes de réservations, avec une prise de rendez-vous".

Parmi le processus prévu par le gouvernement, se trouve le recueil du consentement des personnes vaccinées, qui doivent être volontaires : est-ce un défi majeur à adresser au sein d'une telle campagne, notamment auprès des publics comme les personnes âgées ?

"Les patients hospitalisés ou en EHPAD sont en effet ceux dont le recueil du consentement prend le plus de temps. Mais il s'agit d'un effort qui de même nature que ce que l'on pouvait déjà pratiquer lors ce que ces personnes devaient passer un examen médical par exemple. Cela nécessite bien entendu un savoir-faire, puisque nous devons vérifier durant cette étape les antécédents médicaux pour les personnes qui présentent des risques de contre-indications."

Combien de patients sont actuellement concernés par la première phase de cette campagne vaccinale, coordonnée par les HCL ?

"Pour l'instant, on ne parle que des patients résidant dans des établissements publics de soins, soit près de 800 personnes au total. Ce chiffre pourrait augmenter significativement lorsqu'on passera à la seconde phase du dispositif, à partir de la mi-janvier, où les établissements privés seront également concernés.

Mais à ce moment-là, c'est tout un système d'organisation qui devrait être mis en place et pourrait comprendre également des dépositaires pharmaceutiques, qui pourraient ensuite acheminer les doses au sein des pharmacies en officines, afin de couvrir l'ensemble du territoire."

En attendant, quelle organisation avez-vous dû mettre en place à l'échelle des HCL (23.000 salariés) pour supporter cette première phase ? Et plus largement, quelles équipes seront amenées à porter demain, l'organisation de cette campagne sur la durée ?

"Il nous a fallu construire une chaîne de vaccination, reposant tout d'abord sur du personnel volontaire au sein de nos établissements. Nous avons d'ailleurs commencé à recruter des postes additionnels en secrétariat médical, afin de construire des équipes dédiées et de dégager du temps infirmier. Car dès lors que la campagne va durer plusieurs semaines, nous devons nous préparer à déployer des capacités supplémentaires.

Par la suite, on voit déjà que les pharmaciens hospitaliers seront en première ligne pour gérer et sécuriser la chaîne d'approvisionnement de ces produits de santé fragiles et relativement rares.

Les spécialistes de la vaccination sont habituellement les services de médecine infectieuse, mais dès lors que l'on pense à un public prioritaire âgé, ce sont les gériatres qui seront également en première ligne. Tandis que du côté des professionnels de santé, les équipes de médecine du travail devraient aussi être mobilisées, même si elles ne sont pas bâties pour gérer des volumes aussi importants."

Du point de vue logistique, la conservation des vaccins à -80°C suscite un certain nombre de défis. Étiez-vous déjà équipé en interne et avez-vous dû procéder à de nouveaux investissements ?

"Nous avions heureusement anticipé, en nous dotant nous-mêmes d'une série de congélateurs, tandis que Santé publique France nous a également mis à disposition plusieurs unités.

Je ne peux pas dire combien nous en avons actuellement, mais nous avions déjà l'habitude de travailler avec ce type d'équipements puisque les CHU sont supposés conserver, de par leurs activités, une collection de produits et d'échantillons biologiques. Ce point n'a pas particulièrement posé de défi pour un établissement comme le nôtre."

On parle également des enjeux de livraison des vaccins, qui doivent à la fois pouvoir être acheminés, mais aussi repartir des HCL vers les établissements tiers que vous desservez. Comment gérez-vous la question du transport ?

"Là encore, notre pharmacie centrale présente au sein des HCL est pour l'instant livrée directement par Santé Publique France, et nous avons ensuite le rôle d'approvisionner les pharmacies centrales d'autres établissements comme l'hôpital de la Croix-Rousse, Edouard Herriot, etc. Nous savions déjà le faire, puisque nous les approvisionnions déjà en produits de santé, dans le respect absolu de la chaîne du froid.

Mais l'un des défis de cette campagne est que, dès lors que les produits vaccinaux sortent de chez nous, ils sont décongelés et doivent donc être consommés dans les cinq jours.

C'est pourquoi le circuit logistique -qui utilise notamment des méthodes de conservations comme de la neige carbonique, ndlr- demeure très délicat et étroitement lié à la capacité de pouvoir délivrer les vaccins très rapidement à réception, en planifiant rigoureusement le volume attendu."

Justement, quel est le volume de personnes ayant déjà pu être vaccinées à ce stade au sein de vos établissements ?

"Nous avons démarré le 28 décembre auprès des personnes âgées, et depuis ce début de semaine auprès du personnel soignant, qui présente des facteurs prioritaires.

Rien que sur la journée d'hier, nous avons par exemple vacciné 200 personnes et nous sommes passé à 300 sur la journée d'aujourd'hui, avec une montée en puissance progressive.

Nous devrions aussi être en mesure de boucler la campagne auprès des EHPAD et des USLD de nos quatre établissements d'ici la semaine prochaine."

Vous vous étiez d'ailleurs vous-même prêté au jeu, en vous faisant vacciner devant les caméras en début de semaine. Dans un contexte où la méfiance de la population et les voix des lobbys anti-vaccins s'élèvent depuis plusieurs jours, était-il important pour vous d'envoyer un signal fort ?

"La campagne vaccinale pose plusieurs défis que nous avons évoqués, et l'un d'entre est bien entendu de gérer l'hésitation vaccinale. Elle existe au sein de la population générale, mais également chez les soignants. Or, nous considérons sur ce point que nous devons être exemplaires. C'est pourquoi nous avons décidé que l'ensemble des membres du directoire des HCL, qui réunit les principaux responsables médicaux de l'établissement, se fassent vacciner de manière symbolique.

C'est un message fort, qui vise à dire que l'analyse des risques est désormais documentée. On sait qu'il peut exister des effets indésirables mais ceux-ci rapportés au bénéfice collectif et individuel font que l'avantage tiré du vaccin s'avère significatif.

Il ne faut pas oublier que ce vaccin est la meilleure nouvelle que nous ayons eue depuis longtemps sur le terrain cette épidémie."

A contrario, plusieurs dénoncent actuellement la lenteur de la campagne vaccinale française : vous heurtez-vous également, en parallèle, à l'incompréhension de certains soignants, qui aimeraient se faire vacciner alors qu'ils ne sont pas compris dans les publics jugés prioritaires ?

"Bien entendu, il existe des débats en interne avec des soignants qui se demandent pourquoi ne pas avoir priorisé l'ensemble du personnel des unités de réanimation par exemple, qui sont au contact des patients au quotidien.

Mais ces priorités découlent des décisions de la Haute Autorité de Santé, que nous respectons. Même si bien entendu, il existe des frustrations de soignants qui sont les premiers à dire qu'il faudrait aller plus vite".

Justement, la lenteur de la vaccination en France interroge depuis plusieurs jours, face à nos homologues étrangers dont certains ont déjà vacciné plusieurs milliers de personnes, parfois à l'aide de « vaccinodromes ». Vous qui êtes passé par le cabinet d'Olivier Véran avant de rejoindre les HCL, comment expliquez-vous ce choix et pensez-vous qu'il sera nécessaire, comme certains le disent déjà, de « territorialiser » davantage la campagne à venir, en accordant plus de latitude aux acteurs de terrain ?

"La comparaison entre les pays est toujours un peu compliquée à réaliser et pourra probablement mieux se faire d'ici fin janvier, une fois que l'ensemble des pays auront avancé sur leur stratégie. Les citoyens ont demandé d'aller plus rapidement, et les pouvoirs publics ont d'ailleurs répondu favorablement, en ajoutant les professionnels de santé à la liste, alors qu'ils ne faisaient pas partie des publics prioritaires au départ.

Il faut, de plus, rappeler que nous avons toujours la contrainte de ne pas pouvoir disposer d'un stock illimité de vaccins, ce qui force les autorités à prioriser les publics.

Même s'il l'on peut toujours faire mieux, je demeure optimiste.

Il sera plus facile d'imaginer demain des solutions qui soient pilotées par les collectivités territoriales, lorsque les futurs vaccins autorisés sur le marché ne seront pas aussi sensibles, en matière de conservation, que le produit actuel.

Mais il faut d'ores et déjà s'y préparer, car cela nécessitera aussi de construire une organisation à l'échelle du pays."

Quel est l'impact financier de la pandémie actuelle sur un établissement comme les HCL , qui affiche un budget annuel de 1,84 milliard d'euros ? La hausse des dépenses générées par la gestion de l'épidémie, ainsi que la campagne de vaccination qui s'enclenche, ont-elles été entièrement compensées par l'Etat ?

"Le Ministère de la Santé a été clair sur ce point : les pouvoirs publics assumeront la totalité des surcoûts engendrés par le Covid.

En 2020, les HCL ont ainsi été accompagnés dans la prise en charge des dépenses exceptionnelles générées par l'épidémie, en recevant par exemple un accompagnement financier de 100 millions d'euros, qui comprend à la fois les surcoût RH, à l'achat des produits, d'équipements de réanimation et à l'armement des lits, à la mise à jour des systèmes informatiques, etc.

Mais nous ne savons pas encore à ce stade quel sera le surcoût engendré par la campagne de vaccination à venir."

Vous vous battez toujours sur le terrain de la gestion de l'épidémie : alors que la région Auvergne Rhône-Alpes était celle qui comptait le plus grand nombre de patients en réanimation durant cette seconde vague, quel est le bilan que l'on peut dresser en ce début d'année à l'échelle de notre territoire ?

"Selon les chiffres arrêtés le 6 janvier, nous avions encore 180 lits de réanimation armés, contre 137 lits, tandis que nous nous sommes revenus qu'à 70 % de notre potentiel d'activité habituel, en raison des déprogrammations réalisées ainsi que de l'armement des lits de réanimation, qui ont nécessité de prendre des moyens au sein d'autres services.

L'expérience nous a démontré qu'il faut demeurer humble dans nos prévisions, en rappelant aux professionnels de santé qu'ils ont jusqu'ici réussi à faire face. Mais nous devons faire attention au phénomène de « stop and go », car il n'y a rien de plus épuisant que de défaire et de rebâtir des organisations.

Nous devrons encore gérer au cours du premier semestre une troisième vague, qui pourrait ne pas être aussi virulente que la précédente, tout en coordonnant cependant en parallèle une campagne vaccinale, amenée à se poursuivre sur les prochains mois. Cela va donc demander une mobilisation supplémentaire de nos équipes."

Les HCL disposent également du Centre national de référence virus des infections respiratoires, dirigé par le virologue Bruno Lina, chargé de surveiller les mutations du virus sur notre territoire et d'identifier notamment l'arrivée du variant anglais. Quelle est la stratégie actuelle que vous appliquez pour détecter cette mutation au sein des tests réalisés ?

"Nous avons en effet la capacité de diagnostic la plus importante à l'échelle française. On sait qu'il s'agit d'un virus qui n'est pas plus virulent, mais plus contagieux. Cela signifie que s'il venait à s'installer sur le territoire, nous devrions redoubler d'efforts, ce qui n'est pas encore le cas pour l'instant.

Actuellement, dès lors qu'un diagnostic ou une réaction à un test virologique met en exergue la présence du virus auprès d'un patient venant d'un pays où cette mutation est déjà présente de manière importante, un échantillon est transmis pour une investigation complémentaire.

Cela ne représente pas encore un volume de tests importants, mais nous nous préparons à une possible montée en volumes."

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