Patrick Légeron : "L'urgence, c'est le management"

Fondateur du cabinet Stimulus et coauteur du rapport de l'Académie de médecine sur le burn-out, le psychiatre Patrick Légeron détaille sa vision pour une meilleure prise en compte des conditions de travail et milite pour qu'évoluent les modes de management. Second volet de notre série consacrée au bien vivre au travail à l'occasion de la semaine pour la qualité de vie au travail.
(Crédits : Estelle Poulalion)

ACTEURS DE L'ECONOMIE-LA TRIBUNE. Bonheur, bien-être, bien-vivre, qualité de vie au travail..., tous ces termes tiennent une place importante dans le débat. Ont-ils finalement la même signification ?

PATRICK LEGERON. Nous constatons des effets de mode. Ça vient et ça repart, alors que les problèmes persistent et que rien n'est résolu. Si nous voulons être rigoureux, le thème qui unit tout cela porte le nom de santé psychique au travail. Santé au sens que l'a défini l'Organisation mondiale de la santé en 1946. Malheureusement, cette définition, on l'oublie un peu trop. La France est en retard quand, en Europe du Nord, les premiers accords avec les partenaires sociaux ont été signés à la fin des années 1970. Chez nous, il a fallu attendre 2008. J'ai toujours regretté qu'en France, la santé au travail ne soit pas prise en compte par le ministère de la Santé, mais seulement par celui du Travail ou par l'Agence nationale pour l'amélioration des conditions de travail (Anact). Deux ministres qui ne se parlaient pas. Avec le nouveau gouvernement, la tendance semble s'inverser. Enfin.

Pour quelle(s) raison(s) ces notions suscitent-elles autant d'intérêt aujourd'hui ? Et sensibilisent désormais autant les entreprises que les salariés ?

Les entreprises ont longtemps été dans le déni et en avaient plutôt assez d'entendre régulièrement les discours de harcèlement et de risques... Avec les termes de bien-être ou de qualité de vie au travail, elles ont adhéré plus facilement et ont été séduites, car ces notions sont moins angoissantes. Quant aux salariés, ils revendiquent désormais avec force   parfois de manière un peu excessive   le bien-être. Ils veulent être heureux et ne veulent plus souffrir. Poussés aussi par des jeunes qui choisissent leur emploi en fonction de leur qualité de vie. La valeur travail est différente de celle des anciennes générations.

Les entreprises ne peuvent donc plus l'ignorer et doivent lutter contre les risques psychosociaux et les souffrances. Mais, elles ne doivent pas endosser non plus toute la responsabilité. L'entreprise n'est pas le monde des bisounours. Ce n'est pas à elle de produire le bonheur.

Les salariés sont-ils aussi responsables ?

On oublie souvent ce niveau, mais l'individu lui-même doit se protéger et augmenter sa capacité de résistance au stress. Le stress ne touche pas des gens au hasard. Nous observons que les personnes très investies laissent de côté leur vie personnelle et se surinvestissent au travail donc sont plus sujettes à ce risque. Nous le voyons notamment chez les cadres.

Que faut-il entreprendre pour qu'un salarié soit heureux au travail ?

Quatre facteurs peuvent y participer : la prise en compte de la vie personnelle des individus ; l'interface entre vie personnelle et vie privée (crèche, télétravail, etc.) ; les arguments fournis dans l'environnement de travail (convivialité, salle de sport, etc.) ; le travail en lui-même avec une reconnaissance, une autonomie et une responsabilisation dans votre quotidien. Si vous avez un travail répétitif, avec peu de reconnaissance, le sens que vous lui donnerez vous affectera. C'est sur ce dernier niveau que les entreprises peinent à vouloir se diriger, car cela remet en cause leur management.

Le management doit-il être alors repensé, corrigé, adapté, et évoluer ?

La priorité est de repenser le travail de tous les corps de métiers, d'une caissière, d'un facteur. L'urgence, c'est le management ! Et notamment quand les entreprises sont en difficulté, il faut s'y atteler. Chaque année, plus de 500 000 personnes craquent à cause de leur travail, ce qui coûte cher au régime général. Anticipons ! Nous observons que les entreprises qui vont bien sont celles où les dirigeants s'impliquent et sont sensibilisés à ces questions. Malheureusement, souvent, les connaissances du dirigeant sont faibles. Cette implication peut venir spontanément, par observation de la concurrence, par incitation financière, ou encore par la loi et des décisions juridiques d'ampleur.

Si le management est à revoir, les écoles qui forment les futurs encadrants ont-elles leur part de responsabilité ?

La France a un record : celui d'avoir les étudiants les plus stressés, avec un manque de reconnaissance et un niveau d'exigence fort. Dans les écoles préparatoires de nos futurs managers, on apprend tout sauf le management. difficultés.

Lire aussi : Bien-être, bonheur, qualité de vie au travail : des mots et des maux

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