A l’aube de l’entrée de Galileo, la transformation de l’EmLyon dans le viseur de la CRC (et du parquet de Lyon)

Le passage du statut d’association sous tutelle de la chambre de commerce et d’industrie (CCI) à celui d'une société anonyme avec investisseurs privés avait été présenté comme une avancée. Mais c'est finalement tout le contraire pour la Chambre régionale des comptes, dont le rapport épingle (entre autres) la gestion de l'EmLyon, conduisant dans la foulée le parquet de Lyon à ouvrir une enquête. Contactée, la CCI de Lyon évoque quant à elle un rapport "à charge" et brandit au contraire les améliorations déjà réalisées, à quelques pas d'une nouvelle pierre à l'édifice de sa transformation, avec l'arrivée annoncée d'ici fin octobre du groupe européen Galileo Global Education.
Après le changement de statut intervenu en 2018,  le choix du déménagement du campus historique de l'EmLyon vers un nouveau site du quartier Gerland, pour un montant global de 114 millions d'euros totalement financé sous forme d'emprunt, aura également soulevé les interrogations de la CRC.
Après le changement de statut intervenu en 2018, le choix du déménagement du campus historique de l'EmLyon vers un nouveau site du quartier Gerland, pour "un montant global de 114 millions d'euros totalement financé sous forme d'emprunt", aura également soulevé les interrogations de la CRC. (Crédits : PCA-STREAM)

Après la publication d'un rapport financier particulièrement offensif, le signalement de la chambre régionale des comptes d'Auvergne-Rhône-Alpes (CRC) aura pesé. Le parquet de Lyon a confirmé vendredi à l'AFP l'ouverture d'une enquête sur la gestion de l'établissement consulaire, qui occupe aujourd'hui le cinquième rang national des écoles de commerce, avec plus de 9.000 étudiants formés chaque année à travers seize spécialités, et 6.900 étudiants en formation continue et 172 professeurs permanents.

Un signalement portant sur la période allant de 2014 jusqu'à l'exercice clos au 31 août 2021. Soit une temporalité où l'école de commerce était présidée par l'entrepreneur Bruno Bonnell, aujourd'hui Secrétaire général pour l'investissement du Plan France 2030 et dirigée par Bernard Belletante (ex-Kedge), avant d'être remplacé durant neuf mois à la direction générale par Tawhid Chtioui (passé lui-même par plusieurs établissements :  Reims Management School, EDHEC Business School, etc) avant que n'éclate une crise de gouvernance.

"Ce contrôle sur une école emblématique a pris du temps, il a fallu analyser une galaxie un peu compliquée", a justifié le président de la chambre régionale des comptes, Bernard Lejeune, au regard des difficultés amenées par le changement du statut juridique de l'établissement, qui visait à tripler les recettes de l'EmLyon à l'horizon 2024 (avec une cible à 337 millions d'euros).

Ce rapport passe au peigne fin la gestion des deux structures, l'Association de l'enseignement supérieur commercial Rhône-Alpes (AESCRA) puis la société anonyme (SA) Early Makers Group (EMG). Les points noirs concernant principalement des sujets "techniques" mais aussi, la gouvernance passée.

Avec d'abord, le contenu de deux partenariats de 40 millions d'euros signés par l'école en 2014 et 2017 avec la société informatique IBM. Mais aussi sur la régularité de deux autres contrats de 60.000 euros, au bénéficie direct de la société de conseil détenue par l'ex-directeur général de l'établissement, sur la période allant de 2014 et 2019, ainsi que sur les conditions de départ de son successeur, qui sera parti avec une enveloppe de rémunération de 573.000 euros en 2020.

La transformation de l'école, menée en 2018, et qui visait à faire passer l'EmLyon du statut d'association sous tutelle de la chambre de commerce et d'industrie (CCI) à celui d'une société anonyme avec investisseurs privés est également pointée, non pas sur son principe, mais sur la manière dont elle a été conduite.

Pour rappel, celle-ci avait permis d'ouvrir le capital à des investisseurs, avec l'arrivée en 2019 de Qualium Investissement et Bpifrance, à travers la création de la SA Early Makers Group, ouvrant le sujet de la privatisation des écoles de commerce.

La CRC ne mâche d'ailleurs pas ses mots sur ce point et résume l'épisode ainsi : "La réorganisation juridique du groupe EmLyon : un coût exorbitant au regard de l'apport en capital obtenu et de son utilisation, des risques juridiques et fiscaux assumés et du risque de perte de contrôle de la gouvernance de l'école par la CCI".

Car le montage associé aurait coûté au total 8,5 millions d'euros en frais d'assurance et de gestion, "sans qu'aucun nouvel investissement n'ait pu être réalisé" malgré les 40 millions d'euros apportés en fonds propres par le fonds Qualium investissement, dénoncent les magistrats de la chambre régionale des comptes.

La gestion de la croissance

Mais ce n'est pas tout puisque la création de sept nouveaux campus en France, au Maroc et en Inde, qui auront nécessité une enveloppe de 29,3 millions d'euros au total, ainsi que le choix du déménagement du campus historique de l'EmLyon vers un nouveau site du quartier Gerland, pour un "montant global de 114 millions d'euros totalement financé sous forme d'emprunt", ont également soulevé les interrogations de la CRC.

Dans son rapport, l'autorité chargée d'étudier les comptes des structures publiques relève que "la croissance des recettes repose toujours sur l'augmentation des frais de scolarité et du nombre d'étudiants. Ces transformations qui ont été mal conduites, l'ont fragilisée, y compris sur le plan académique et de son développement".

Tout en accordant cependant que la "nouvelle direction", assurée par Isabelle Huault, présidente du directoire d'EmLyon business school depuis 2020, en provenance de Paris Dauphine, "a pris des mesures" afin de répondre aux sept recommandations formulées par la CRC.

Une nouvelle étape mise en danger ?

Ce rapport intervient justement alors que la CCI Lyon Métropole Saint-Etienne Roanne annonçait en septembre 2022 une nouvelle augmentation de capital de 50 millions d'euros, avec l'entrée de nouveaux actionnaires minoritaires à ses côtés, parmi lesquels Galileo Global Education, le leader européen de l'enseignement supérieur, ainsi que des entreprises emblématiques de la région lyonnaise, dont BioMérieux.

L'établissement consulaire confirmait à cette occasion une ambition renouvelée : "à l'issue de cette opération, la CCI restera l'actionnaire majoritaire de l'école, tandis que Qualium cèdera sa participation. Cette nouvelle étape s'inscrit dans la continuité de la vision de la CCI pour faire d'EmLyon une global business university figurant dans le top 15 européen."

Avec parmi les ambitions affichées pour ce nouveau tour de table, le renforcement de son développement à l'international toujours à l'agenda, avec le projet de quatre nouveaux campus à Londres, Milan, Berlin et Oslo, mais aussi la poursuite de l'hybridation de ses programmes en nouant de nouveaux partenariats (formation qualifiante à des jeunes en décrochage scolaire, la généralisation du label SDGs (Sustainable Development Goals), développement de l'apprentissage, création d'un fonds d'investissement, etc).

Ces nouvelles orientations devront elles être revues à la lumière des dernières conclusions ?

La CCI de Lyon se défend point par point

Contacté, le vice-président de la CCI de Lyon Saint-Etienne Roanne, Yves Chavent, ne mâche pas non plus ses mots face à ce qu'il évoque comme un rapport "à charge", "qui n'a pas intégré les réponses et observations que nous avions communiqué, suite à l'envoi du rapport préliminaire à l'été 2022".

"Nous n'avons pas attendu la Chambre régionale des comptes pour identifier les problématiques rencontrées, tant avec IBM qu'avec l'ouverture du campus au Maroc. Mais ce qui me choque, c'est que les personnes qui rédigent ces rapports n'ont aucune connaissance du monde de l'entreprise et des enjeux à relever. Or, je ne connais pas une entreprise qui n'a pas rencontré de difficultés lors de l'implantation d'un nouveau système informatique ou d'une croissance externe à l'étranger".

Une procédure en justice a d'ailleurs été ouverte à l'encontre de la société IBM concernant le contrat mentionné, tandis que Yves Chavent admet : "le fait qu'il n'y ait pas eu d'appels d'offres a été une pierre de plus ajoutée dans le jardin de l'ex-dirigeant Bernard Belletante, même si, lorsqu'on parle d'une société comme IBM, on s'attend tout de même à contractualiser avec une référence du secteur".

Il répond point par point aux observations qui lui ont été faites : à commencer par l'usage des 40 millions d'euros de capital n'ayant pas pu être utilisés, comme le souligne le rapport de la Chambre, aux investissements prévus au départ en matière de croissance externe : "Entre temps, nous avons identifié des enjeux de gouvernance qu'il nous a fallu prendre en main, puis le Covid est arrivé. Mais une partie de cette somme a justement pu être réinvestie dans le projet d'évolution de notre système informatique", ajoute Yves Chavent.

Après l'échec de sa filiale au Maroc, l'EmLyon a rapatrié ses étudiants sur les campus de Lyon et de Saint-Etienne et affirme que plusieurs mesures répondant aux observations de la CRC ont été prises depuis 2019 : "Nous avons changé de directoire, embauché Isabelle Huault et constitué une nouvelle équipe autour d'elle. Une grande partie des problèmes mentionnés dans ce rapport ont été traités ou sont encore en cours de traitement".

Une position qui se veut "renforcée" avec l'entrée de Galileo

Quant au choix de ne pas avoir fait appel au statut d'Etablissement Supérieur d'Enseignement Consulaire (EESC) (spécialement créé en 2014 par la Loi Mandon pour les établissements consulaires, ndlr), et qui transparaît entre les lignes du rapport, Yves Chavent ajoute :

"Nous avons expliqué que ce statut n'était pas adapté à la réalité des écoles de commerces, qui se trouvent sur un terrain très concurrentiel : comment attirer des investisseurs sans pouvoir leur verser de dividendes ? Ce n'est pas pour rien que sur 150 écoles éligibles en France, seules une dizaine ont choisi de statut".

Contactée, l'EmLyon estime elle-même que "le rapport est clair sur le statut consulaire de l'établissement et sur la pérennité de celui-ci. La CRC précise que ce statut n'est pas remis en cause par les autorités académiques. Celui-ci a été validé, en 2019, aussi bien par le Rectorat que par les autorités ministérielles compétentes, tant de la part du ministère en charge de l'enseignement supérieur et de la recherche que du ministère de l'économie et des finances."

Résultat ? La CCI de Lyon, qui demeure aux manettes de 66-67% du capital à ce stade, se prépare donc "avec confiance", elle l'assure, à la prochaine page de son histoire, qui annonçait en septembre dernier l'arrivée de Galileo Global Education à son capital.

"Nous avions joué la transparence et prévenu de la survenue de ce rapport dont nous avions connaissance. Nous n'avons pas de difficulté à ce sujet", assure Yves Chavent, qui rappelle que les dernières instances (CSE et autorité de la concurrence) sont appelées à se prononcer sur ce changement d'actionnariat dans la semaine à venir. Avec une clôture de l'opération toujours prévue pour fin octobre.

Une opération qui devrait d'ailleurs permettre à la CCI de Lyon de conserver plus étroitement les rênes de son propre outil : car là où l'accord avec le fonds Qualium projetait une part de la CCI qui aurait pu descendre jusqu'à 31% du capital (si les 100 millions prévus initialement avaient été injectés en totalité), ce ne sera pas le cas avec Galileo, où le projet d'accord prévoit que les parts de la CCI ne puissent descendre dans un premier temps que de 66 à 51%.

"L'évolution très récente de l'actionnariat du groupe EmLyon n'a aucune incidence sur le statut de l'école, s'agissant d'une simple recomposition du capital qui n'affecte pas sa structure juridique", rappelle l'école de commerce.

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