Le lyonnais IT Partner fait (aussi) le pari de la semaine de quatre jours

INTERVIEW. Depuis 25 ans, It Partner (54 collaborateurs, 6 millions d’euros de chiffre d’affaires) est une entreprise de service numérique (ESN) qui se déploie sur la scène lyonnaise. Début janvier, elle passera un nouveau cap en instaurant la semaine de quatre jours avec maintien des salaires pour l'ensemble de ses salariés. Son pdg, Abdenour Aïn Seba, revient en primeur pour la Tribune Auvergne-Rhône Alpes sur une mesure qui, annoncée également par le distributeur lyonnais LDLC, pourrait bien incarner les valeurs d'un humanisme lyonnais "nouvelle génération".
Abdenour Aïn Seba a décidé de faire passer l'ensemble de ses collaborateurs à la semaine de quatre jours, avec maintien des salaires à compter du 4 janvier prochain.
Abdenour Aïn Seba a décidé de faire passer l'ensemble de ses collaborateurs à la semaine de quatre jours, avec maintien des salaires à compter du 4 janvier prochain. (Crédits : DR)

Pour Abdenour Aïn Seba, pdg de l'entreprise de services numériques It Partner, le début de l'année 2021 marquera une nouvelle étape symbolique. Car à compter du 4 janvier prochain, son ESN passera à la semaine de quatre jours, au lieu de cinq, avec maintien annoncé des salaires. Un projet réfléchi de longue date, mais confirmé par la pandémie actuelle, qui a poussé Abdenour Aïn Seba à accélérer un virage déjà amorcé au sein de sa société.

LA TRIBUNE AUVERGNE RHONE-ALPES - Basée à Lyon mais également à Nancy et Aix-en-Provence, votre ESN propose des services d'externalisation des systèmes d'information de vos clients, en vue de gérer leurs infrastructures (serveurs, etc). Pourquoi avoir fait le choix d'instaurer une semaine de quatre jours ?

ABDENOUR AIN SEBA - Nous démarrons dès le 4 janvier cette nouvelle organisation, à l'occasion du premier jour de l'année. Cela traduit d'abord d'une forme d'engagement, car je me suis moi-même engagé depuis une dizaine d'années au sein de la société (Centre des jeunes dirigeants, CESER, Cités d'Or, Réalités du dialogue social, etc).

Nous avions connu déjà une première évolution il y a quatre ans, où nous avions fait le choix de supprimer les cloisonnements entre les différents services et d'assurer une forme d'autonomie de gestion aux équipes.

Ce modèle a ensuite été chahuté par différents événements, que ce soit une croissance externe réalisée il y a deux ans avec le rachat d'un confrère lyonnais, ou encore la puissance de la pandémie, qui nous a beaucoup interpellé. Cela nous a poussé à repenser la relation au travail, à la vie personnelle, aux clients.

Vous comparez cette nouvelle révolution des modes d'organisation du travail au passage aux 35 heures, un autre basculement que la France a connu au début des années 2000 ?

L'épisode que nous venons de connaître m'a en effet rappelé l'époque où nous sommes passés aux 35 heures. Cet épisode avait lui aussi chahuté les entreprises, faisant que l'on s'était retrouvés d'un seul coup à devoir parler de temps de travail, de temps personnel avec les jours de RTT, etc...

Lorsque le Covid-19 est arrivé, il a fallu apprendre à travailler de chez soi, voire travailler moins durant un certain temps, ce qui a amené une forme de distanciation au sein de cette sphère également : jusqu'ici, on travaillait pour gagner sa vie et avoir plus de confort. Mais que devient cette notion de confort et la gestion des priorités, dans une situation de pandémie comme aujourd'hui ?

Fort de ce constat, nous nous sommes dit que les choses ne pourraient pas reprendre comme avant.

Votre propre métier, qui s'appuie sur les services informatiques, a-t-il été touché ou au contraire boosté par la crise actuelle ?

Notre métier n'a pas vraiment été touché, car tant que nos clients existent, ils auront besoin de nos services. On peut simplement constater cette année un léger impact de l'ordre de 5 %, car certains projets ont été reportés, mais nous ne sommes pas à plaindre.

En quoi était-ce le bon moment pour en profiter pour vous transformer ?

La réflexion était là et les attentes était fortes, même si elles n'étaient pas forcément exprimées, et parfois confuses. Le sujet était surtout de savoir comment parvenir à combiner désormais la vie privée et les contraintes professionnelles et personnelles, tout en sachant que l'on a besoin d'être en lien avec ses collègues et amis, dans une forme de présentiel.

C'est un sujet de société qui se pose aujourd'hui, que seules les entreprises en bonne santé pourront adresser. Car sinon, cela signifierait de se couper des postes importants, ce qui empêcherait à mon sens de mener à bien les transformations à venir.

Que doit permettre le passage aux quatre jours que vous défendez et comment peut-il concrètement être mis en place ?

La semaine de quatre jours peut créer de nouveaux espaces de liberté individuelle, en dehors des congés, RTT, ou encore week-ends. Il s'agit d'un temps qui appartient à soi individuellement, et dans lequel on fait ce que l'on veut car le conjoint, ou les enfants sont à l'école.

Cela se traduit donc à la fois par un nouvel espace-temps, et en même temps, par une réorganisation des modes de travail, car réduire le temps travaillé nous oblige à penser à la production différemment.

Bien entendu, nous conservons l'idée d'améliorer l'attractivité de notre entreprise et de faire baisser, grâce à cette mesure, le turnover dans un marché de l'informatique très concurrentiel.

Comment développer justement le travail en équipe, si l'on est présent un jour de moins par semaine ?

Jusqu'ici, les salariés étaient sur site cinq jours sur cinq, et laissaient par la même occasion penser qu'ils étaient disponibles à tout instant.

Or si l'on enlève un jour par semaine, cela va nécessairement transformer les organisations : on va par exemple réaffecter les clients, créer des équipes plus petites, gérer des portefeuilles plus homogènes, et travailler de manière plus symbiotique si l'on se répartit mieux les missions et les connaissances.

Cela se traduira par davantage de reporting et d'anticipation, ainsi que par la chasse au gaspillage du temps, devenu très rare. L'idée étant que chaque salarié puisse avoir un jour « off » décidé au sein de son équipe, et qui soit bloqué sur un trimestre, avec une gestion des exceptions à la marge.

Cela n'aura-t-il pas un impact sur vos horaires d'ouverture ? Et plus largement, quel est l'investissement nécessaire, à la fois humain et financier, pour mettre en place une telle transformation ?

Les horaires d'ouverture ne changent pas, et nous avons même prévu quelques recrutements supplémentaires en vue d'étoffer les équipes, en faisant le pari que nous signerons aussi de nouveaux contrats à travers cette nouvelle organisation.

Ce jour « off » représente une enveloppe de 250.000 euros pour l'ensemble de l'entreprise, puisque cela suppose de financer le maintien des salaires. En contrepartie, nous pourrons par exemple revoir certains avantages comme les véhicules de fonction, puisque l'idée est de travailler davantage à distance aujourd'hui, ce qui nous permettra aussi de réduire nos frais de déplacements.

Le télétravail pourra quant à lui continuer, mais tout assurant une forme de présence accrue au cours du premier trimestre, afin de ne pas ajouter de la complexité à celle de la transformation.

Pour opérer ce virage, vous êtes passé par un accord de performance collective, signé par les organisations représentatives du personnel il y a une quinzaine de jours, qui vous engage au cours des douze prochains mois ?

Il est dommage d'avoir dû en passer par là pour concrétiser notre projet, car ces accords de performance collectives ne sont en réalité pas des outils qui ont été faits, à l'origine, pour tirer les choses vers le haut, mais plutôt, pour mettre un voile pudique sur la réduction des charges salariales.

Or, nous ne prévoyons pas de réduire la voilure mais au contraire, de maintenir les salaires, dans une logique d'amélioration de la production et de montée en compétences. Nous avons cependant annonce qu'en 2021, il n'y aurait pas d'augmentation des salaires lors de la mise en place de cette nouvelle organisation.

Dans le projet que nous avons choisi d'appeler le New Deal en référence à Roosevelt, nous réaffirmons justement le fait que le client doit rester la boussole de l'entreprise, ce qui suppose d'abord des exigences en matière de qualité de la production et la satisfaction des clients.

Comment les salariés eux-mêmes accueillent-t-ils cette transformation ?

Les salariés ont bien entendu la volonté d'avoir un travail qui participe au bien-être, et c'est là où le cinquième jour « off » a du sens. Mais il faut aussi reconnaître que tout changement génère des doutes et des inquiétudes. C'est pourquoi nous avons travaillé cette question avec les élus du personnel, qui se sont eux-mêmes entourés de collaborateurs pris au sein d'un échantillon plus large, afin de bâtir le texte de l'accord de performance collective et d'en discuter les améliorations possibles.

Contrairement à ce que l'on pourrait penser, les équipes peuvent elles-mêmes faire remonter des difficultés. Certains vous diront par exemple qu'ils n'arrivaient déjà pas à terminer leurs tâches jusqu'ici.

Il faut donc faire preuve de dialogue et de pédagogie, car certains ne voient pas ce qu'ils ont à gagner mais plutôt à perdre : comme de pouvoir arriver à 9h au lieu de 8h, ou encore de faire une place de parking ou un véhicule de fonction... Le plus difficile, c'est que nous n'avons aucun exemple auquel nous raccrocher aujourd'hui pour le démontrer.

Un autre lyonnais, le distributeur informatique LDLC, avait annoncé dès cet été son passage à venir également à la semaine de quatre jours, début 2021 également. Vous êtes-vous inspiré ou concerté ? Et comment cette démarche est-elle accueillie par les chefs d'entreprise de votre entourage ?

Non nous ne l'avons pas fait, mais ce qui est amusant, c'est que ce sont finalement des boites d'informatique qui fassent cette transformation, et en premier lieu à Lyon... On pourra dire que la notion de tradition d'un patronat humaniste lyonnais n'est pas usurpée !

Nous serons en tout cas les fers de lance de cette démarche. Qui sait, peut-être d'ici quelques années, nous formerons un club d'une dizaine d'entreprises...

Pour l'instant, j'ai déjà évoqué la question avec un certain nombre de chefs d'entreprise, qu'il s'agisse de TPE ou de grands groupes, et ils trouvent cette idée super, bien qu'ils considèrent qu'elle ne soit pas applicable à leur propre entreprise !

On raisonne encore trop souvent en matière de temps dévolu à ce sujet, au lieu de parler de la gestion des priorités. Or, le rôle d'un patron d'entreprise est avant tout de créer de nouvelles idées, en comprenant qu'il vaut mieux anticiper les choses qui changent autour de lui, plutôt que de les subir. Aujourd'hui nous créons l'histoire, mais je suis certain qu'à l'avenir, beaucoup d'entreprises n'auront en réalité pas le choix.

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Commentaire 1
à écrit le 23/12/2020 à 9:25
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Si vraiment il y a une réponse intelligente à cette crise tout en répondant également à la crise environnementale dans le milieu du travail c'est bien celle-là, bravo à lui, ça manque cruellement cette capacité de réflexion et d'adaptation en UE.

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