Semi-conducteurs : « De nouvelles générations moins intéressées par l’argent que par la qualité des projets » (Marie-Claire Granados, CEA) (4/4)

INTERVIEW. Alors que le secteur de la microélectronique ne connait pas la crise, il est un autre acteur, public cette fois, qui profite lui aussi des plans massifs annoncés, au cours des dernières années. Reconnu comme un pilier mondial dans son domaine, le CEA Leti, issu de la Direction de la recherche technologique (DRT), devra lui aussi recruter massivement pour répondre aux nouveaux programmes de recherche et collaborations industrielles lancées avec ses partenaires. Tout en tentant la délicate mission de tirer sa propre épingle du jeu, assurée par sa DRH, Marie-Claire Granados.
Nous ne sommes pas en concurrence avec des acteurs comme Soitec ou ST car nous n'attirons par les mêmes personnes, au même stade de leur vie, estime la DRH de la Direction de la recherche technologique du CEA, qui devra recruter 1.370 collaborateurs sous différents statuts (dont 256 CDI et 293 CDD) sur l'année à venir.
"Nous ne sommes pas en concurrence avec des acteurs comme Soitec ou ST car nous n'attirons par les mêmes personnes, au même stade de leur vie", estime la DRH de la Direction de la recherche technologique du CEA, qui devra recruter 1.370 collaborateurs sous différents statuts (dont 256 CDI et 293 CDD) sur l'année à venir. (Crédits : DR/Andréa AUBERT/CEA)

La Tribune - Les derniers investissements annoncés dans la microélectronique, privés comme publics, se sont traduits par un contexte de besoins en main d'œuvre inédit, même pour un organisme public de recherche à caractère scientifique, technique et industriel (EPIC) comme le CEA ?

Marie-Claire Granados - Il s'agit en effet d'une période assez inédite dans la mesure où post-Covid, on a donné beaucoup d'importance à la notion de souveraineté nationale sur un certain nombre de sujets. Avec l'idée de relocaliser des pans entiers de l'industrie, qui sont des actifs stratégiques.

Des financements et des partenariats industriels importants se sont mis en place et projettent le CEA, et globalement la Direction de la recherche technologique (DRT), qui est opérateur de la recherche française, sur le devant de la scène, de par la réputation mondiale que possède par exemple son centre du Leti dans le domaine de la microélectronique.

Le Leti avait d'ailleurs déjà bâti des partenariats structurants avec un grand nombre d'acteurs du secteur comme STMicroelectronics, Soitec, mais aussi avec des startups qui ont essaimé du CEA Leti.

Comment se traduit cette tension dans le domaine des ressources humaines concrètement ?

Comme pour d'autres, nous ressentons clairement les tensions sur la scène du recrutement.

Nous payons également le fait que des générations de jeunes scientifiques sont plutôt allées dans les rangs des écoles de commerce plutôt que dans l'industrie, vers des métiers de la finance jugés plus rémunérateurs.

Cette désafection des jeunes pour les métiers scientifiques a déjà mené à des tensions sur le terrain des thèses et des post-doc depuis un certain temps. Sans compter que bien souvent, les jeunes préfèrent s'orienter vers des travaux autour des énergies alternatives.

Votre présence sur le bassin grenoblois est-il devenu une chance ou un handicap à ce sujet ?

Nous arrivons tout de même encore à recruter à Grenoble, et notamment grâce à la présence d'un environnement de recherche technologique unique, qui nous permet de proposer aux jeunes à la fois un cadre, mais aussi des moyens pour mener leurs projets de recherche.

Ici, nous ne sommes pas dans la reproduction de technologies ni dans leur optimisation, mais nous traçons bien de nouvelles feuilles de route. C'est un facteur d'attractivité pour de nouvelles générations qui sont aujourd'hui moins intéressées par l'argent, que par la qualité des projets à mener.

Grenoble permet aussi de vivre dans un cadre intéressant, à un quart d'heure des montagnes, tout en restant au cœur d'un bassin où se concentrent des entreprises de renommée mondiale.

Entre les grands groupes, les startups, le monde de la recherche et les écoles d'ingénieurs, la Presqu'ile scientifique concentre un niveau d'intelligence collective qui est quand même assez exceptionnel et permet aux collaborateurs de circuler d'une organisation à l'autre, avec des passerelles entre industrie et recherche, et de cultiver une vie de famille localement.

Votre statut est-il un atout pour vous battre sur ce terrain ?

Etant un EPIC, c'est-à-dire un organisme public de recherche à caractère scientifique, technique et industriel, il est certain que nous ne pouvons pas offrir une grille de salaire aussi évidente d'autres acteurs industriels de la région. Mais en même temps, nous pouvons proposer des trajectoires qui sont moins soumises au marché et à la concurrence.

Beaucoup de jeunes, comme de gens d'expérience, choisissent de revenir vers le monde de la recherche et c'est un atout pour nous, qui nous permet de nous appuyer sur leur expérience précédente dans le monde de l'industrie pour constituer un "go between" intéressant avec nos partenaires.

Combien de postes vous préparez-vous à recruter d'ici à 2023 ?

Nous aurons, au sein de la DRT qui comprend à la fois le CEA Leti, le Liten, le List et le CTReg, près de 1.370 postes à pouvoir, dont 256 CDI, 293 CDD, 159 thèses, 35 post doc, 178 alternants ou encore 448 stagiaires. Ces volumes sont à peu près similaires depuis 3 à 4 ans, et sont concentrés, pour la moitié des CDI et le tiers des CDD, au sein du CEA Leti, où nous employons déjà 1.800 collaborateurs dont 1.360 permanents.

Ces recrutements sont liés à des programmes de développement et d'investissement autour de la microélectronique, mais aussi des énergies alternatives, comme avec Genvia dans le domaine de l'hydrogène par exemple (qui est une coentreprise créée par le CEA et Schlumberger, ndlr). Nous avons aujourd'hui des projets structurants dans lesquels nous nous plaçons aux côtés des industriels dans leurs développements.

Avec quelle proportion de techniciens et d'ingénieurs ? Cela peut-il passer également par la voie de la reconversion ou par des recrutements de profils issus d'autres industries convexes, comme pour le cas de STMicroelectronics ?

Près de 25% des recrutements annoncés sont des techniciens, qui sont des profils sur lesquels nous avons beaucoup de tensions car bien souvent, les jeunes choisissent désormais la voie de la poursuite d'études vers les cycles d'ingénieur. Cela nous amène aujourd'hui à travailler de concert avec des partenaires locaux comme le Greta et des lycées professionnels afin de développer des formations conjointes pour des niveaux opérateurs ou techniciens, avec des certifications à la clé.

Nous travaillons pour cela avec Pôle Emploi afin d'identifier leurs compétences et de leur proposer des équivalences. Nous allons commencer avec des profils de niveau bac pour les amener au rang de technicien de maintenance, qui est l'un de nos métiers les plus pénuriques.

C'est l'occasion d'aller chercher des profils issus de métiers convexes, comme des chauffeurs de taxi, etc, qui peuvent avoir envie de changer de trajectoire et de nous rejoindre. Car il y a encore des personnes qui ignoraient que le CEA était l'un des environnements vers lesquels ils pourraient se tourner pour obtenir une formation qualifiante.

Cette situation de tension est-elle amenée à durer, comme on l'entend au sein de l'écosystème, encore deux à quatre ans au fil de la livraison des moyens de production attendus ?

Tout ce que nous savons, c'est que les partenariats que nous sommes en train de mettre en place ne vont pas s'arrêter tout de suite.

Cependant, il faut rester vigilant, et notamment concernant l'impact de la question de la hausse des coûts de l'énergie sur l'industrie et la production, qui pourrait être tout de même avoir un effet de ralentisseur sur les volumes attendus, même si nous n'avons pas d'information précise à ce stade...

Pour recruter face aux fortes prévisions annoncées par vos partenaires comme STMicroelectronics ou Soitec, sur quels avantages misez-vous ? Les salaires ont été revus à la hausse ?

Nous avons déjà mené une revue sur nos salaires à l'embauche, qui ont été valorisés, et nous sommes en attente de signature d'un accord avec les partenaires sociaux concernant la proposition d'une prime de revalorisation pérenne, qui puisse prendre en compte l'évolution de l'inflation.

Mais le CEA ne peut globalement pas s'étalonner sur l'industrie, avec des acteurs qui, lorsqu'ils voient ralentir leurs programmes, peuvent procéder à des ajustements d'effectifs. Nous sommes sur un positionnement plus protecteur de l'emploi et nous devons donc de demeurer prudents.

Parvenez-vous à faire valoir certains avantages tout de même face aux grands groupes ?

Nous avions jusqu'ici un petit avantage qui était le nombre de congés annuels, fixé à 52, avec 28 jours de congés payés et 24 RTT, mais cela est désormais partagé par un certain nombre d'entreprises du secteur lorsqu'on regarde désormais leur package.

Nous avons aussi un accord de télétravail, mais notre principal outil, c'est de proposer un job très intéressant au milieu d'un écosystème de partenaires académiques et industriels. Car il n'existe pas tellement d'endroits où l'on peut faire de la recherche de ce niveau en France.

Nous proposons des thématiques qui ont du sens, au sein d'un milieu où se pratique tous les jours un mélange de générations au sein des équipes, avec un management à la fois vertical mais aussi basé sur une organisation applanie au sein d'une communauté de pairs, qui offre de la liberté de manœuvre.

A ce titre, nous ne nous trouvons pas en concurrence avec des acteurs comme Soitec ou ST car nous n'attirons par les mêmes personnes, au même stade de leur vie : certains commencent chez nous pour partir ensuite se faire une expérience dans l'industrie, puis reviennent parfois quelques années plus tard.

Le contexte actuel pèse-t-il tout de même sur le turn-over du laboratoire ?

Nous avons, somme toute 20 à 30 départs supplémentaires par rapport à l'année précédente, et nous restons bien en dessous de la moyenne nationale pour l'instant. Pourvu que cela reste comme cela.

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