Usine Ferropem : face au retournement du marché du silicium, l’Etat veut pousser Ferroglobe à revoir son PSE

Engagé dans un plan de restructuration depuis début 2021, le dossier du fabricant de silicium Ferropem à Château-Feuillet (Savoie) a pris une autre tournure : car après deux crises successives, sanitaire d'abord, et désormais géopolitique avec la guerre en Ukraine et son incidence sur le cours des matières premières, Bercy reconnaît que la justification économique du PSE a du plomb dans l'aile. L'Etat s'apprête à tenter un nouveau coup de poker auprès de la direction. Objectif : sauver les 225 emplois du dernier fabricant français de dérivés du silicium pour les marchés du BTP et de l'automobile, avant la clôture du PSE, toujours prévue le 1er avril prochain.
Les discussions se resserrent d'un cran au niveau du dossier de l'usine Ferropem de Château-Feuillet car cette fois, c'est également l'Etat qui reconnaît que les justifications économiques du PSE avancé par le groupe américano-espagnol sont tombées face au marché du silicium et aux enjeux stratégiques qui montent en flèche avec la guerre en Ukraine.
Les discussions se resserrent d'un cran au niveau du dossier de l'usine Ferropem de Château-Feuillet car cette fois, c'est également l'Etat qui reconnaît que les justifications économiques du PSE avancé par le groupe américano-espagnol sont tombées face au marché du silicium et aux enjeux stratégiques qui montent en flèche avec la guerre en Ukraine. (Crédits : DR/ML)

Depuis avril 2021, un plan de restructuration conduisant à la fermeture de l'usine de production de ferrosilicium oppose les salariés de l'usine Ferropem de Château-Feuillet (Savoie) à leur direction, l'américano-espagnol Ferroglobe.

Une cinquantaine de représentants des salariés de l'usine électrométallurgique n'ont pas baissé les bras et sont remontés à Paris vendredi dernier. Après avoir manifesté devant Bercy, une délégation a été reçue par le cabinet de Bruno Le Maire, en présence, entre autres, du délégué interministériel aux restructurations d'entreprises et du conseiller de la ministre en charge de l'Industrie, Agnès Pannier-Runacher.

Car malgré un revirement partiel de leur direction, qui avait conduit en novembre dernier à l'annonce de la remise en route du second site en Isère concerné par le plan de sauvegarde de l'emploi (PSE) en cours, le site savoyard de Château-Feuillet est toujours à l'arrêt, tandis que son plan social doit se clôturer le 1er avril prochain.

Une aberration pour le syndicats, qui brandissent les résultats annuels du groupe (soit "une année record à 1,179 milliards de dollars de chiffres d'affaires, intégrant 9 mois de fermeture du site de Château-Feuillet"), ainsi que le retournement spectaculaire du marché du silicium, rehaussé par une hausse de la demande enregistrée depuis la crise sanitaire, mais également désormais par la perspectives des impacts de la guerre en Ukraine sur les cours des matières premières.

Selon eux, "il est complètement illogique, dans ce contexte de fermer une usine de production de silicium comme celle de Château-Feuillet, alors même que nous parlons de souveraineté de la production nationale et que nous n'avons plus de production en France". "Il n'existe pas de justification économique à ce PSE", estime le secrétaire du CSE et délégué syndical CGT, Mustapha Haddou. 

Les derniers résultats annuels du groupe, publiés le 2 mars dernier, se félicitent d'ailleurs d'avoir enregistré "des revenus trimestriels les plus élevés depuis 2018 et un Ebidta ajusté trimestriel record". Ils établissent notamment un "retour à la rentabilité au quatrième trimestre, avec un bénéfice attribuable à la société mère de 66,3 millions de dollars, contre une perte de (96,6 millions de dollars) au trimestre précédent", mais aussi un  "retour à un flux de trésorerie disponible positif, générant 14,2 millions de dollars de flux de trésorerie disponibles au quatrième trimestre, contre 42,9 millions de dollars au trimestre précédent".

Les liquidités du groupe s'améliorent également avec un total disponible de 116,7 millions de dollars au quatrième trimestre, "en hausse de 21,6 millions de dollars par rapport au trimestre précédent."

A la lumière de ces chiffres, Mustapha Haddou ajoute : "On nous compare souvent désormais aux Whirpool, mais à la différence près que leur projet n'était pas forcément viable alors qu'aujourd'hui, le nôtre est rentable. C'est le dossier de reprise industrielle le plus facile qu'il y aurait à traiter d'un point de vue économique".

Un rapport d'expertise commandé par le CSE et actuellement en cours de finalisation "démontre de manière indiscutable et éclatante qu'à l'heure actuelle, il n'existe plus aucun motif économique au PSE. D'autant plus que l'on a entendu la ministre de l'Industrie dire que le ferrosilicium fait aujourd'hui partie des productions essentielles, pour lesquelles nous ne pouvons plus être dépendants des autres pays", ajoute l'avocat spécialisé en droit du travail mandaté par le CSE, Ralph Blindauer.

L'Etat veut relancer le dossier à travers une nouvelle missive

Un constat qui semble aussi désormais partagé par l'Etat, puisque Bercy, joint par La Tribune, se montre particulièrement attentif au dossier :

"Il est vrai que la crise ukrainienne a rendu ce sujet plus sensible sur les intrants à caractère critique pour les entreprises industrielles, et il a toujours été dans la volonté du gouvernement de préserver un outil de production et un savoir-faire en France, d'autant plus qu'il n'est pas si commun en Europe", abonde Bercy, qui rappelle que Château-Feuillet produit notamment des dérivés du silicium pour les industries du BTP et des alliages automobiles.

En coulisses, on nous indique que la ministre en charge de l'Industrie, Agnès Pannier Runacher, se prépare d'ailleurs elle-même à une nouvelle offensive, comprenant l'envoi d'un courrier imminent à la direction de Ferropem. Une initiative jugée nécessaire et en même temps urgente, compte-tenu de la date butoir du 1er avril, concernant la clôture du PSE.

Il pourrait s'agir, en d'autres mots, d'un dernier coup de poker : "Nous allons rappeler à la direction de Ferropem leur obligation de nous démontrer qu'elle a bien étudié toutes les offres qui pourraient permettre une pérennisation du site à travers la recherche d'un repreneur, et en même temps, appuyer la demande des salariés qui proposaient un plan de remise en route de 2 des 4 fours du site de manière partielle, avec une clause de revoyure sous 6 à 12 mois afin de voir si le modèle serait rentable, au regard du nouveau contexte économique", indique une source proche du dossier.

"Un plan de sauvegarde comprenant la reprise d'au moins deux fours et permettant un départ volontaire de certains salariés est une option que l'on pourrait accepter, mais le reste est inacceptable, car on voit bien aujourd'hui que la justification du PSE ne tient plus", soutient l'avocat Ralph Blindauer.

La partie de poker se poursuit

Pour autant, la négociation ne sera pas simple : car face à l'Etat et aux salariés, le groupe américano-espagnol Ferroglobe avait décidé d'entamer un grand plan de restructuration de ses actifs, imbriqué dans un plan de refinancement plus global à l'échelle mondiale, intervenu l'an dernier.

"Et malgré le fait qu'on ne peut pas nier que le contexte ait complètement changé et que le marché se soit retourné pour atteindre de forts besoins aujourd'hui, il semble compliqué au groupe de faire marche arrière à ce sujet", glisse une source proche du dossier.

Les relations sociales, complexifiées depuis le début de l'annonce de ce PSE entre la direction et les salariés, auraient elles-mêmes abouti à une forme de cristallisation du débat sur le site savoyard, qui a de son côté multiplié les actions (pétition, affichages, rencontres de personnalités politiques, déplacement à Paris...) pour défendre ses 225 emplois.

Les instruments mis dans la balance

Du côté de l'Etat, Bercy et son ministère en charge de l'Industrie auront tenté jusqu'ici de brandir tous les instruments qu'ils avaient à leur arsenal ou presque : la Loi Florange tout d'abord, qui oblige les entreprises de plus de 1.000 salariés engagées dans un PSE à engager une recherche de repreneurs, "même si celle-ci ne les force pas pour autant à céder", nous rappelle-t-on.

Mais aussi, dès le courant 2021, un système de mesures à destination des industries électrointensives, avec la compensation carbone visant à réinjecter de la trésorerie, ainsi que des dispositions anti-dumping sur le siliciure de calcium au bénéfice de Ferropem, avaient été prises par l'Etat français.

"Nous avons également fait des propositions assez incitatives dans le cadre des plans France Relance et France 2030", précise l'Etat, qui affirmait discuter notamment d'une enveloppe de "plusieurs dizaines de millions d'euros", pouvant aller jusqu'à 40% de l'investissement total nécessaire au redémarrage et à la remise à niveau du site.

"Mais la direction de Ferropem avait de son côté répondu que le reste à charge en matière d'investissements à réaliser pour relancer la production demeurait trop élevé. Or, c'est un point qui, compte tenu des bons résultats enregistrés par le groupe, avec une hausse d'Ebidta multipliée par 7 et un prix de vente du silicium en hausse de 40%, peut donner matière à rediscuter", estime Bercy.

Pour l'avocat du CSE, il reste désormais l'outil d'une nationalisation temporaire qui peut être engagée au sein du rapport de forces : "Cela passerait par une loi de nationalisation et un passage au Parlement qui peut aller très vite dans ce type de situation", assure-t-il. Pour autant, l'Etat ne semble toujours pas favorable à cette voie, défendue également par des candidats à la présidentielle comme Jean-Luc Mélanchon ou Yannick Jadot, qui s'étaient rendus sur place. "Cela ne résoudrait pas le problème car l'Etat n'a pas la compétence d'opérer une usine", rappelle Bercy.

Des 7 à 3 repreneurs potentiels

L'Etat compte également s'appuyer sur les 5 autres sites, détenus en France par Ferroglobe, et pour lesquels des dossiers et demandes de subventions ont pu être déposés, "notamment dans l'investissement à la décarbonation" et dans des dispositifs pouvant également permettre de dégager de nouveaux revenus, à travers la récupération des chaleur, pour avoir "un levier" auprès de la direction espagnole du groupe.

Du côté des repreneurs potentiels, tous les concurrents directs semblent avoir été désormais écartés au profit de 3 noms qui demeurent, et qui proposeraient des productions alternatives et "jugées assez différentes" comme de l'hydrogène ou encore un projet de transformation des déchets, voire de la production de chrome.

"Ce qu'on pousse fort, c'est qu'à minima la vocation du site industriel soit maintenue si l'on se dirigeait vers cette option, avec, si possible, une production voisine du silicium", ajoute Bercy.

Reste qu'à ce stade, rien ne prouve que le groupe américano-espagnol, qui a communiqué depuis le départ son refus de vendre à un concurrent mais aussi de conserver le site, ne fera machine arrière. Contacté par La Tribune, il n'avait pas donné suite à nos demandes d'interview.

Du côté de la défense des salariés, l'avocat Ralph Blindauer sait que la campagne présidentielle en cours peut constituer également un atout dans un dossier qui cristallise des sujets stratégiques : réindustrialisation et relocalisation, production d'actifs stratégiques pour la France... "On se souvent d'un certain François Hollande sur le toit d'une camionnette à Florange et cette fois, on a parmi les candidats l'un d'eux qui est aux manettes de l'Etat, et qui peut concrètement agir et non pas uniquement proposer quelque chose", note-t-il.

Mais le temps presse car avant que ne démarrent les licenciements prévus par la procédure en cours, "il nous reste une vingtaine de jours pour agir", rappelait à son tour le secrétaire du CSE Mustapha Haddou.

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